Les larva migrans sont des affections dues à la pénétration, chez l’homme, de parasites animaux non adaptés à cet hôte. De ce fait, ces parasites ne peuvent pas effectuer leur cycle évolutif normal et s’y trouvent « en impasse ». Ils peuvent néanmoins se manifester par des signes cutanés ou viscéraux (toxocarose).
Larva migrans cutanée
La larva migrans cutanée, ou larbish, ou creeping disease, est une affection tropicale due à des vers parasites du chien (Ancylostoma caninum), du chat (Ancylostoma braziliense) ou des deux (Ancylostoma ceylanicum).1 Chez l’animal, ces vers sont localisés dans l’intestin. Les femelles pondent de 5 000 à 10 000 œufs par jour, qui sont éliminés avec les excréments. En milieu chaud et humide (Asie, Amérique du Sud, Afrique), les œufs éclosent et libèrent des larves, qui muent pour devenir infestantes. Grâce à leur histotropisme et thermotropisme, les larves se fixent sur les téguments des animaux, les traversent et passent dans la circulation sanguine, puis gagnent les poumons, remontent vers le larynx et retombent dans le tube digestif pour arriver au stade adulte et pondre ; puis le cycle recommence.
Un sillon serpigineux
Chez l’Homme, les larves traversent l’épiderme à l’endroit du contact cutané avec le sol (pieds, fesses, dos), mais elles ne peuvent pas évoluer et se trouvent en « impasse parasitaire ». Elles migrent alors sur place en creusant des sillons sous l’épiderme, puis meurent en quelques semaines. Les patients se plaignent de cordons sous-cutanés de plusieurs centimètres de long, sinueux, érythémateux et prurigineux, surtout le soir et la nuit. Un ou plusieurs cordons sont observés, en fonction du nombre de larves qui ont traversé la peau (fig. 1 et 2). Ces cordons se modifient chaque jour en raison de la progression des larves de quelques millimètres par jour et se couvrent de vésicules. Le prurit est parfois très intense, provoquant une impétiginisation locale. L’évolution est favorable, avec la disparition des lésions et du prurit en quelques semaines du fait de la mort spontanée des larves. Ces parasitoses cutanées concernent surtout les enfants jouant dans un terrain humide, les baigneurs s’allongeant directement sur le sable et les personnes en contact permanent avec des chiens.2
Ancylostoma n’est pas le seul parasite en cause
D’autres parasites que les Ancylostoma peuvent provoquer des lésions similaires.
L’anguillule (Strongyloides stercoralis) infeste l’homme par voie transcutanée, puis gagne habituellement la circulation sanguine. Parfois, ses larves migrent sous la peau et forment des sillons sous-cutanés. Mais, dans ce cas, la progression des sillons est plus rapide (plusieurs centimètres par heure), d’où le nom de « larva currens ». Plus rares, Gnathostoma, Dirofilaria et Trichobilharzia peuvent aussi provoquer des larva migrans cutanées.3 En Afrique centrale, il ne faut pas confondre ces larva migrans avec le passage sous-cutané d’une filaire Loa loa, reconnaissable par le sillon presque rectiligne et transitoire qu’elle trace.
prise en charge surtout symptomatique
Le diagnostic est essentiellement fondé sur le contexte (séjour tropical, contacts répétés avec les animaux) et l’aspect clinique. Les constantes sanguines ne sont pas modifiées et l’imagerie n’est pas significative.
Le traitement est symptomatique (antiprurigineux) et anti-infectieux en cas de surinfection locale. L’administration d’un antiparasitaire (albendazole ou ivermectine) accélère la destruction des larves et donc la régression des symptômes.
Peut-on prévenir cette parasitose ?
La prévention est difficile. En zones tropicales, les chiens errants sont partout, y compris sur les plages, en quête de restes de nourriture. Si les chiens sont excusés – car ils ne savent pas lire (!) – leurs maîtres le sont moins, car les panneaux d’interdiction sont clairement visibles. Il faut donc éviter de marcher pieds nus en terrains humides et ne pas s’allonger directement sur le sable.
Larva migrans viscérale
La larva migrans viscérale, ou toxocarose, décrite pour la première fois en 1952, est due à l’infestation humaine par des larves d’ascaris de chien (Toxocara canis) ou de chat (Toxocara cati). Cette zoonose parasitaire, cosmopolite mais nettement plus présente en zone tropicale qu’en Europe, est fréquente chez les chiots de moins de 3 mois, qui émettent de nombreux œufs dans leurs excréments (fig. 3). En revanche, les chiens adultes, n’hébergeant que des larves en impasse parasitaire, ne sont pas des vecteurs de la maladie. Chez la chienne gravide, les parasites peuvent passer par voie transplacentaire ou par le lait. L’Homme s’infeste, quant à lui, par ingestion des œufs embryonnés contenus dans l’eau, dans les aliments souillés par les excréments des chiots, ou dans la terre (géophagie des enfants). Au Brésil, le sol des places publiques est contaminé par des œufs de Toxocara avec un taux variant de 3 à 100 %.4 En Europe, le taux de séroprévalence humaine varie de 2 à 8 % en ville et atteint jusqu’à 40 % dans les campagnes. Dans les pays tropicaux, ce taux s’élève à 80 %.5
symptomatologie très variée
La toxocarose peut rester asymptomatique et être découverte fortuitement (hyperéosinophilie sanguine lors d’un bilan de santé) ou provoquer divers signes cliniques peu évocateurs (asthénie, prurit, douleurs abdominales, dyspnée), ou plus prononcés (fièvre, asthénie importante, œdèmes, urticaire, troubles digestifs et pulmonaires). L’atteinte neurologique est plus rare (méningo-encéphalite, épilepsie), de même que l’atteinte oculaire (baisse unilatérale de la vision). L’examen clinique peut retrouver une éruption maculopétéchiale et une hépatomégalie ferme et indolore. Les larves d’ankylostomes d’animaux (A. ceylanicum, A. caninum) peuvent provoquer une symptomatologie pulmonaire (dyspnée asthmatiforme, expectoration mucosanglante).
Quel bilan diagnostique ?
Le diagnostic est établi sur l’hémogramme (hyperleucocytose, hyperéosinophilie), une hyperprotidémie, une élévation des immunoglobulines, et surtout la positivité du sérodiagnostic (Elisa et Western blot, plus spécifique, avec les bandes 24 et 35) [fig. 4].6
Les examens de selles sont négatifs car les parasites ne peuvent pas évoluer vers le stade adulte et les larves n’émettent pas d’œufs.
Diagnostiquer une toxocarose oculaire est plus difficile car les constantes sanguines ne sont pas modifiées, et les anticorps doivent être recherchés par ponction de la chambre antérieure. De même, une sérologie positive dans le liquide céphalorachidien permet d’évoquer une atteinte neurologique.
Antiparasitaire d’abord !
La guérison spontanée est possible mais lente.
Le traitement est fondé sur les antiparasitaires : albendazole (20 mg/kg, 3 fois/j pendant 8 jours), ivermectine (200 µg/kg en une fois) ou flubendazole (25 mg/kg/j pendant 21 jours). Les traitements anciens par diéthylcarbamazine et thiabendazole, mal supportés, sont obsolètes. En cas d’atteinte oculaire ou neurologique, le traitement antiparasitaire doit être précédé d’une corticothérapie (1,5 mg/kg/j pendant 1 mois) pour prévenir une éventuelle aggravation des lésions provoquée par une lyse parasitaire.
La prophylaxie repose sur le déparasitage mensuel systématique des jeunes chiots, qui, en outre, ne doivent pas pénétrer dans les bacs à sable destinés aux enfants. Il faut bannir la géophagie autant que possible ; dans différents pays, il existe des espaces réservés aux chiens et interdits aux enfants.
2. Stufano A, Foti C, Lovreglio P, et al. Occupational risk of cutaneous larva migrans: A case report and asystematic literature review. PLoS Negl Trop Dis 2022;16(5):e0010330.
3. Bourée P. Larva migrans. Enc Med Chir Mal Inf 2010:8-518-A10.
4. Chieffi PP, Zevallos Lescano SA, Rodrigues E Fonseca G, et al. Human toxocariasis: 2010 to 2020 contributions from Brazilian researchers. Res Rep Trop Med 2021;12:81-91.
5. Magnaval JF, Bouhsira E, Fillaux J. Therapy and prevention for human toxocariasis. Microorganisms 2022;10(2):241.
6. Rault MK, Jordan D, Auer H, et al. A new ELISA and western blot technique based on recombinant TES antigen and/or larval antigen for the detection of toxocariasis in humans. Parasitology 2021;148 (3):333-40.