La cataracte est la première cause de cécité dans le monde et l’une des étiologies majeures d’altération modérée à sévère de la fonction visuelle dans les pays développés.1
Avec près de 800 000 interventions tous les ans, cet acte est l’un des plus pratiqués en France, avec des résultats anatomiques, visuels et réfractifs très reproductibles.
Cette chirurgie est actuellement effectuée manuellement et avec des ultrasons pour émulsifier et aspirer le cristallin. La technique consiste à faire une incision de cornée de 2 à 3 mm, une ouverture de la capsule antérieure du cristallin à l’aide d’une pince et ensuite à émulsifier et extraire le contenu du sac cristallinien à l’aide d’une sonde de phacoémulsification et d’une sonde d’aspiration.
Ensuite, un implant intraoculaire souple d’une puissance déterminée en préopératoire est inséré dans le sac capsulaire pour rétablir la fonction visuelle.
Les lasers sont particulièrement utiles en ophtalmologie. Leur interaction avec les tissus oculaires produit différents effets en fonction de leur énergie, longueur d’onde ou durée d’impulsion :
– effet thermique : laser argon utilisé pour les coagulations rétiniennes ;
– effet photoablatif : lasers excimers en chirurgie réfractive cornéenne ;
– effet photodisruptif : lasers Nd:YAG pour le traitement de la cataracte secondaire ou de l’iridotomie périphérique.
Du fait de leur très brève durée d’impulsion, les lasers qui émettent un faisceau laser unidirectionnel d’une durée de l’ordre du femtoseconde (10-15 secondes) permettent une découpe des tissus oculaires en timbre-poste sans dommages collatéraux aux structures adjacentes.
Ils sont actuellement largement utilisés en ophtalmologie pour la chirurgie réfractive cornéenne ou encore pour la réalisation de greffe de cornée. Ils permettent des découpes tissulaires précises et reproductibles, et ainsi une bonne congruence des tissus cornéens en postopératoire, avec de meilleurs résultats visuels.

Apports techniques et anatomiques

Le laser femtoseconde pour la chirurgie de la cataracte (FLACS : Femtosecond-Laser-Assisted Cataract Surgery) a été développé pour réaliser les incisions de cornée et l’ouverture circulaire de la capsule antérieure du cristallin (capsulotomie), actuellement faites manuellement. Il permet également un ramollissement de la cataracte grâce à un découpage du cristallin et l’association de différentes architectures d’impact (radiaires, cubiques ou circulaires) sur l’ensemble de son épaisseur. Les morceaux de cristallin préfragmenté sont ainsi plus facilement aspirés par la sonde, réduisant le nombre et la durée des gestes pendant la chirurgie.2
Un système d’imagerie de haute résolution par tomographie à cohérence optique est couplé au laser pour visualiser l’ensemble des structures antérieures de l’œil (face antérieure et postérieure de la cornée et du cristallin, face antérieure de l’iris et bord pupillaire).
Ces structures intraoculaires sont ensuite reconstruites en 3 dimensions et en temps réel pendant la procédure laser. Ainsi, l’ensemble des impacts est positionné précisément sur la cornée et le cristallin selon la stratégie déterminée en préopératoire pour chaque œil traité tout en délimitant des zones de sécurité vis-à-vis des structures oculaires environnantes comme le bord pupillaire ou la capsule postérieure du cristallin (fig. 1 et 2).
Enfin, sa précision est aussi étroitement associée au système d’arrimage de l’œil au laser qui permet de l’immobiliser pendant la procédure tout en évitant les phénomènes de distorsion des structures intraoculaires et le risque de découpe imprécise ou touchant les structures environnantes.
Beaucoup d’études ont montré la supériorité technique de la FLACS sur la chirurgie manuelle. En effet, la capsulotomie antérieure du cristallin est significativement plus précise et mieux centrée sur l’axe optique ; le diamètre ainsi que sa circularité sont plus reproductibles.3
Par conséquent, ces découpes permettent un recouvrement complet de l’implant en postopératoire, ce qui améliore le centrage et l’alignement de celui-ci par rapport à l’axe optique de l’œil, avec des résultats visuels et réfractifs postopératoires plus performants. Les incisions de cornée ont également une architecture très précise et reproductible, fidèle en dimension à ce qui était programmé avec le laser en préopératoire.
Enfin, le ramollissement du cristallin par les impacts permet une réduction significative de l’énergie utilisée et du temps d’ultrasons pour retirer les fragments prédécoupés (observée pour toutes les densités de cataracte, y compris pour les formes les plus dures).

Bénéfices cliniques

Bien que la FLACS ait démontré une supériorité technique par rapport à la conventionnelle, le bénéfice clinique pour le patient est controversé.
En effet, les études préliminaires ont montré que la pratique du laser conduisait à une meilleure reproductibilité du geste opératoire, pouvant ainsi être associée à une diminution du taux de complications peropératoires, notamment de rupture de la capsule postérieure du cristallin, redoutée par les chirurgiens ophtalmologistes (car associée à un risque d’absence de récupération visuelle), d’œdème maculaire ou de décollement de la rétine.
En outre, l’erreur réfractive postopératoire par rapport à la réfraction anticipée en préopératoire était améliorée, grâce à une meilleure reproductibilité du geste opératoire et du positionnement de l’implant dans l’œil.
Une méta-analyse publiée en 2016 par la Cochrane ne pouvait pas déterminer la supériorité ou l’équivalence de la FLACS sur la chirurgie conventionnelle du fait d’un manque de robustesse et de puissance des données disponibles, selon les auteurs.4 Ils soulignaient aussi le risque important de biais de sélection des patients dans les deux bras analysés ainsi que de biais méthodologiques.
Face à ces données contradictoires, notre équipe a mené une étude multicentrique prospective randomisée (encadré) : les résultats ont montré qu’en dépit de ses performances technologiques abouties, le laser femtoseconde n’apportait pas de bénéfice clinique supplémentaire pour le patient et n’était pas rentable pour le système de soins (tableau).5

Perspectives

Malgré d’excellents résultats anatomiques visuels et réfractifs, la chirurgie de la cataracte fait encore face à de nombreux défis. En effet, même si le taux d’erreurs réfractives cliniquement significatives ou celui de complications per- ou postopératoires est faible, il concerne un volume important de patients traités chaque année. De plus, le nombre de procédures chirurgicales devrait augmenter dans les années futures du fait du vieillissement de la population.
Le laser femtoseconde pourrait être un outil intéressant pour répondre à ces défis, mais nécessite des améliorations et d’autres innovations pour apporter un bénéfice clinique supplémentaire pour les patients opérés. En effet, il sera probablement intéressant de développer des implants plus adaptées aux découpes précises obtenues par le laser femtoseconde que ceux actuellement utilisés pour la technique de phaco- émulsification. De plus, les technologies permettant une automatisation ou une robotisation partielle de la procédure chirurgicale pourraient aussi améliorer la reproductibilité et le temps du geste opératoire. Enfin, la diminution du coût par procédure est un prérequis indispensable pour son utilisation pratique.
Encadre

Laser femtoseconde : pas de bénéfique clinique

Une étude multicentrique française prospective randomisée a comparé le bénéfice visuel, réfractif et anatomique de la chirurgie de la cataracte au laser femtoseconde à la chirurgie conventionnelle par phacoémulsification (FEMCAT : impact Médico-Economique de la chirurgie de la CATaracte au laser Femtoseconde, CHU de Bordeaux, financé par ministère de la Santé [PSTIC 2012]).

De plus, une analyse médico-économique était réalisée afin de déterminer un ratio coût-efficacité de la nouvelle procédure chirurgicale.

1 476 yeux de 907 patients ont été randomisés et analysés sur une période d’une année. Bien que nous n’ayons pas observé de complications sévères en relation avec la procédure, il n’y avait pas de différence en termes de succès thérapeutique entre les 2 groupes, ni sur l’incidence des complications per- ou postopératoires, ni sur le taux de patients avec une acuité visuelle à 10/10e ou encore sur l’erreur réfractive postopératoire (tableau). De plus, cette technologie innovante était associée à un surcoût important.

Références
1. Bourne RR, Stevens GA, White RA, et al. Causes of vision loss worldwide, 1990-2010: a systematic analysis. Lancet Glob Health 2013;1:e339-49.
2. Palanker DV, Blumenkranz MS, Andersen D, et al. Femtosecond laser-assisted cataract surgery with integrated optical coherence tomography. Sci Transl Med 2010;2:58ra85.
3. Friedman NJ, Palanker DV, Schuele G, et al. Femtosecond laser capsulotomy. J Cataract Refract Surg 2011;37:1189-98.
4. Day AC, Gore DM, Bunce C, Evans JR. Laser-assisted cataract surgery versus standard ultrasound phaco–emulsification cataract surgery. Cochrane Database Syst Rev 2016;7:CD010735.
5. Schweitzer C, Brezin A, Cochener B, et al. Femtosecond laser-assisted versus phacoemulsification cataract surgery (FEMCAT): a multicentre participant-masked randomised superiority and cost-effectiveness trial. Lancet 2020;395:212-24.

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essentiel

La cataracte est la première cause de cécité dans le monde, et l’acte chirurgical le plus pratiqué en France.

Le laser femtoseconde permet des découpes tissulaires plus précises et reproductibles que la chirurgie par phacoémulsification.

Malgré ses performances techniques, cette chirurgie n’apporte pas de bénéfice clinique supplémentaire.

D’autres innovations telles que des implants plus adaptés sont nécessaires pour son application pratique.