Tout nouveau plaidoyer en faveur du bon usage, et même lorsqu’il s’agit d’une actualisation, court le risque d’être considéré comme une inutile et fastidieuse redite, une tarte à la crème et donne envie de « zapper » la chaîne sous le prétexte qu’on a déjà vu le film. Il en va pourtant de ces plaidoyers comme il en va des rappels de vaccination : il arrive qu’on ait à regretter de les avoir manqués, surtout dans ces temps de judiciarisation de nos pratiques médicales. D’autant que le constat est sans appel : en matière de prescriptions chez la personne âgée ou chez la femme enceinte, comme en matière de prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou de psychotropes, l’observation des pratiques montre que le bon usage est loin d’être une constante. Redire les messages ne semble donc pas a priori une entreprise inutile. Reste la question de leur impact.
Se fonder sur les référentiels « officiels » disponibles
AMM et RCP
Une insuffisance de ces RCP, qui traduisent l’état de la science au jour de leur rédaction, tient au retard de leurs actualisations malgré des mises à jour régulières en matière de sécurité d’emploi (c’est un rôle essentiel de la pharmaco-vigilance). C’est que les AMM, processus administratifs, n’évoluent pas au même rythme que les données médicales et scientifiques, lesquelles sont produites en permanence. Toutefois, ce défaut ne saurait justifier pour autant, sauf exceptions, les trop nombreuses prescriptions dites « hors AMM » recensées. Car toute anticipation par le prescripteur d’une éventuelle validation par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de nouvelles données scientifiquement robustes issues de la littérature doit être solidement étayée pour être acceptable. Une autre faiblesse des RCP, celle-là constitutive, est qu’ils ne peuvent que refléter le contenu des dossiers de demande d’AMM fournis par les firmes pharmaceutiques. Certaines populations de patients ou situations cliniques sont délibérément écartées des essais cliniques. Les enfants, par exemple, ne sont généralement pas inclus dans les essais cliniques qui ne concernent pas directement les pathologies propres à la pédiatrie ; de même les femmes enceintes… Il en résulte pour les prescripteurs des situations parfois très inconfortables face à leurs patients, justifiant alors pleinement des prescriptions hors AMM, mais avec discernement et prudence.
Avis de la Commission de la transparence et recommandations
Et en l’absence de référentiels officiels ?
Le bon usage du médicament est avant tout un usage personnalisé
Un zeste d’économie constitue-t-il une dérive ?
Des règles à respecter
Messages clés pour un bon usage des médicaments
Un traitement médicamenteux ne se conçoit que personnalisé : il doit toujours s’adapter au terrain du patient. Le bon usage exclut l’idée d’une prescription standard : on traite un patient plus qu’une maladie. Le « sur mesure » doit être préféré au « prêt-à-porter ».
Il faut respecter l’indication thérapeutique précise et souvent restreinte de chaque médicament dans l’intérêt du patient. Car cette indication, fondée sur des données robustes et validées, est la seule à même de lui garantir une balance bénéfices-risques démontrée comme favorable.
Les bonnes posologies et durées (lorsqu’elles sont signalées) des traitements doivent être respectées : ni plus ni moins. Dépasser la dose signalée comme la dose maximale ne permet d’espérer aucun surplus d’efficacité, face à un surcroît d’effets indésirables. Éviter les durées suboptimales : trop courtes, elles peuvent être causes d’inefficacité ou de résistances, par exemple pour les antibiotiques ; trop longues, elles exposent inutilement le patient aux effets indésirables du médicament.
Éviter les coprescriptions de médicaments de même mécanisme d’action.
Ne prescrire qu’avec discernement les associations de médicaments dites fixes comportant deux ou trois principes actifs, et jamais en première intention : pas toujours adaptées au besoin spécifique du patient, elles doivent être réservées aux situations stables car elles ne permettent généralement pas les ajustements posologiques parfois nécessaires, sans compter que la mémorisation de la nature de leurs composants, surtout à partir de trois, s’émousse avec le temps.
Chez la personne âgée, presque toujours polymédiquée car polypathologique, savoir adapter la nature et les modalités des traitements à l’âge et veiller à ne choisir que les produits reconnus comme les mieux tolérés, à des posologies et des durées de traitement appropriées à la fragilité et à la labilité de leur état. Savoir se fixer des objectifs thérapeutiques réalistes et s’imposer de hiérarchiser les traitements à envisager en fonction de leur utilité, en ne prescrivant que les indispensables, en tout cas les prioritaires.
Chez la femme enceinte, éviter deux écueils : faire abusivement courir un risque à l’embryon ou au fœtus en traitant un symptôme ou une affection bénigne dont on sait qu’ils seront spontanément et rapidement résolutifs ; ne pas traiter ou sous-traiter une maladie maternelle dont l’intensité de la séméiologie et le pronostic réclament une prise en charge urgente, ou encore interrompre le traitement d’une maladie chronique équilibrée par le traitement habituel. Toute prescription impose qu’on se soit au préalable documenté sur les risques tératogènes et de malformations fœtales de chaque médicament en fonction de la période de la grossesse, et qu’on en informe la patiente (antiépileptiques, par exemple…). Se méfier même des médicaments paraissant les plus anodins.
À indication thérapeutique identique et à équivalence d’efficacité reconnue, préférer celui des médicaments envisageables dont l’ancienneté aura permis d’en mieux connaître le maniement et les circonstances prévisibles de survenue de ses effets indésirables.
Être à même de justifier toute prescription hors AMM dans les situations d’impasse thérapeutique médicamenteuse, en l’absence d’alternative validée.
S’efforcer d’identifier systématiquement une automédication du patient pour limiter les interactions ou éviter un surdosage au cas où, par ignorance, la prescription concernerait le même type de principe actif que celui de l’automédication, comme on l’observe parfois dans le domaine du traitement de la douleur.
Hormis en cas de maladie chronique stable (et encore), refuser les reconductions tacites et surtout indéfiniment prolongées : une ordonnance répond à une situation temporelle précise de la vie du patient. Elle ne saurait anticiper les évolutions de sa maladie, ni la survenue inopinée d’une affection intercurrente, ni une modification de sa fonction rénale ou de ses conditions environnementales (climat, qualité de l’entourage, solitude…).
Avant de conclure à l’inefficacité d’un médicament, toujours s’assurer de sa bonne observance par le patient.
Tout traitement médicamenteux doit faire l’objet d’une réévaluation périodique systématique susceptible de conduire à son éventuelle déprescription.
En cas de constatation d’un ou de nouveaux symptômes chez un patient traité, évoquer systématiquement au moins autant un effet indésirable médicamenteux que la survenue d’une affection intercurrente : avoir le réflexe « iatrogène ».