Le risque de démence diminuerait de près de moitié (42 %) chez les patients ayant développé un cancer, par rapport aux personnes non atteintes de cancer, selon les résultats de cette étude de cohorte sur plus de 2 000 patients suivis pendant une durée médiane de 5 ans (âge moyen : 73 ans ; plus de 60 % de femmes). Cette cohorte nationale, Memento, comprend des patients suivis dans les Centres de mémoire, ressources et recherche (CMRR) qui inclut 26 centres en France.
La cohorte Memento a pour but de suivre des patients ayant des signes cliniques évocateurs d’une forme débutante de la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée, afin d’étudier l’évolution de signes précoces (plaintes de mémoire, déficits cognitifs…) et d’évaluer la valeur pronostique d’une série de marqueurs sur leur progression vers la démence clinique puis le décès. Ainsi, la présente analyse a montré que les personnes au sein de cette cohorte qui ont développé un cancer au cours de l’étude avait un risque réduit de 42 % de développer une démence, et de 45 % en considérant uniquement la maladie d’Alzheimer, qui représente la majorité des cas de démence.
Cette association a déjà été suggérée par d’autres travaux (avec un effet protecteur sur la démence estimé entre 15 % et 37 % selon les analyses), mais souvent les biais sont importants : en particulier, les personnes atteintes d’un cancer peuvent décéder précocement, avant de développer une démence (biais de survivance), ou ne pas être dépistées pour ce trouble compte tenu de leur état de santé (biais de surveillance), ce qui peut conduire à conclure à un effet protecteur fallacieux.
Or dans cette étude les chercheurs ont adopté un modèle statistique tenant compte du risque prématuré de décès par cancer pour contrôler ce biais de survivance. Ils ont également contrôlé le biais de surveillance, dans la mesure où les participants de l’étude (personnes âgées ayant des signes précoces de démence) ont tous le même risque d’être moins dépistés pour un cancer – par opposition à une cohorte de population générale où les personnes sans signes cognitifs n’auraient pas ce risque, réintroduisant le biais.
Si ce possible effet protecteur peut s’expliquer par un biais temporel, le suivi de l’étude, toujours en cours, « permettra d’établir si la diminution du risque de démence s’estompe effectivement à plus grande distance du diagnostic de cancer » (étant donné que, à ce stade, les résultats ont uniquement tenu compte des cancers survenus pendant le suivi, pas de ceux apparus avant), selon Jonviea Chamberlain, première auteure de l’étude. Il semblerait, en effet, que l’effet protecteur diminue au cours du temps : « Une étude l’a mis en évidence, avec un effet devenu pratiquement nul environ dix ans après le cancer. C’est peut-être pour cela que nous observons des différences de résultats entre les études, selon les durées de suivi et l’ancienneté des cancers considérés », explique-t-elle ensuite.
Bien que le lien de causalité ne soit pas encore démontré, plusieurs hypothèses sont évoquées : facteurs génétiques, physiologiques, environnementaux… Certaines pistes sont même déjà étudiées : par exemple, une étude récente ne montre pas d’influence des traitements anti-cancéreux sur les évolutions cognitives. En revanche, une autre suggère que des facteurs génétiques qui prédisposent à des cancers pourraient réduire la probabilité de développer une démence. Par ailleurs, l’état de stress induit par le cancer sur l’organisme pourrait aussi mobiliser des ressources cognitives protectrices à court terme…
L’étude sur la cohorte Memento se poursuit, dans le but d’étudier des modifications cérébrales potentiellement induites par les cancers (épaisseur du cortex, volume de l’hippocampe...) et leur potentiel effet protecteur vis-à-vis de la neurodégénérescence, ce qui pourrait donner des pistes pour améliorer les stratégies de prévention et prise en charge de cette dernière. Affaire à suivre…
Pour en savoir plus
Inserm. Le cancer protégerait-il du risque de démence ? 15 mars 2021
L.M.A., La Revue du Praticien