Empowerment du patient : inéluctable ? Le droit français se montre respectueux de l’autonomie de la personne. Celle-ci décide pour elle-même des atteintes à l’intégrité physique qu’elle tolère, lorsque son état rend nécessaire une intervention thérapeutique (Code civil, art. 16-3, al. 1er). L’information qui lui est due lui permet de se déterminer : libre à elle d’accepter ou de refuser les propositions médicales qui lui sont faites. Le médecin doit respecter la volonté exprimée, quelle qu’en soit la conséquence. Sur ce point, la législation est très claire : « Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité » (CSP, art. L1111-4, al. 3). La recherche de l’adhésion du patient à la proposition médicale est pourtant récente dans l’histoire. Naguère, la prise de décision ne concernait que le médecin, notre système était paternaliste. Le Pr Louis Portes, premier président du Conseil national de l’Ordre des médecins, affirmait sans nuances, en 1950, que « tout patient est et doit être [pour le médecin] un enfant à apprivoiser. Que l’acte médical normal n’étant essentiellement qu’une confiance qui rejoint librement une conscience, le consentement éclairé du malade n’est en fait qu’une notion mythique que nous avons vainement cherché à dégager des faits ».1 Le recueil du consentement s’est toutefois imposé au cours de la seconde moitié du XXe siècle, favorisant la mise en place d’un modèle favorable à l’autonomie du malade. Les expérimentations médicales réalisées pendant la Seconde Guerre mondiale ont suscité une réaction internationale, puisque le code de Nuremberg de 1947 et la Déclaration d’Helsinki de 1964 ont considéré que le consentement du patient devait être recherché avant la réalisation d’un acte médical.2 L’avènement d’un modèle autonomique trouve également son origine dans une médecine plus technique menaçant davantage l’intimité, mais aussi dans une meilleure diffusion des connaissances.
La capacité juridique de la personne ne saurait toutefois être ignorée. En effet, il faut avoir 18 ans pour pouvoir exercer les droits dont on a la jouissance, l’incapacité étant exceptionnelle (Code civil, art. 414). En-deçà, la représentation par les père et mère s’impose. Cela doit toutefois être nuancé lorsque l’on réfléchit à l’engagement de la personne dans son traitement. Le code de la santé publique dispose certes que le « médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement », mais il est aussitôt précisé que « si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible » (CSP, art. R4127-42). Cette attention portée à la volonté de la personne malade, pourtant incapable juridiquement, s’explique par la nature personnelle de la situation : son intégrité physique est menacée.
Bien que l’investissement de la personne dans son traitement soit recherché, il n’en demeure pas moins qu’en l’état du droit positif c’est au médecin qu’il revient de déterminer la thérapeutique.
Le choix du traitement incombe au seul médecin. Si le sujet est associé à la prise de décision médicale, cela se limite à l’approbation des propositions qui lui sont faites. Il s’agit en effet de garantir le droit de la personne au respect de son intégrité physique. Ainsi recherche-t-on sa volonté à tous les stades de sa prise en charge après l’avoir pleinement informée. Le choix du traitement appartient néanmoins au médecin, car il a le savoir et la compétence. Dans le combat contre la maladie, il est l’allié du patient, dans la mesure où il a les connaissances pour le mener. Au cours du suivi, il prend les initiatives, ce que confirme la réglementation en matière médicale : il élabore « son diagnostic » (CSP, art. R4127-33), il formule « ses prescriptions » (CSP, art. R4127-34), il propose « les investigations et les soins » (CSP, art. R4127-35) que son état requiert. Ainsi un individu devenu tétraplégique à la suite d’un accident et souffrant d’une escarre requérant une opération chirurgicale, n’a pas obtenu gain de cause devant le juge administratif à qui il demandait d’enjoindre au CHU de Montpellier de fixer un calendrier pour cette opération. En effet, le juge, comme le malade, n’a pas vocation à s’immiscer dans le choix des thérapeutiques ; au plus vérifie-t-il que le rapport coût-avantage a bien été évalué par le corps médical, car, soulignons-le, « le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science » (CSP, art. R4127-32). En l’occurrence, ce bilan avait été fait. En outre, le patient était dénutri et addict au tabac et au cannabis, sans compter le refus systématique du suivi postopératoire de la part de tous les autres établissements de santé.3 Le fait que le malade soit lui-même médecin n’y change rien, puisque c’est le praticien qui en a la charge qui prend les décisions.4 À plus forte raison, des parents5 ou une personne de confiance6 ne peuvent pas choisir les actes et traitements médicaux. Enfin, quand bien même une procédure collégiale se trouverait engagée, par exemple en cas d’arrêt des thérapeutiques actives concernant quelqu’un hors d’état de s’exprimer, la décision incomberait au seul médecin en charge du patient.
L’indispensable alliance thérapeutique. Pour autant, la mise en œuvre du traitement choisi ne dépend pas uniquement du médecin. Elle est le fruit d’une rencontre des volontés, ce qui nécessite un échange. L’information du patient concernant son état de santé et les actes médicaux envisagés, doit être délivrée, aux termes de l’article L1111-2 alinéa 3 du code de la santé publique, lors d’un « entretien individuel. » Cela permet une interaction, non pas de maître à disciple, mais entre ceux que l’accident ou la maladie a fait « alliés ».7 Le discours doit alors être compréhensible pour le patient, et ajusté aux circonstances, raison pour laquelle il est fait devoir au médecin de « [tenir] compte de la personnalité du patient dans ses explications » (CSP, art. R4127-35, al. 1er) et, lorsqu’il annonce un pronostic fatal, de faire preuve de « circonspection » (CSP, art. R4127-35, al. 3).
En conclusion, si le médecin choisit le traitement approprié, il doit impérativement associer le patient à la prise de décision médicale, de sorte que l’atteinte envisagée à son intégrité physique soit consentie. Nous sommes passés en l’espace de quelques décennies d’un système de paternalisme médical à un modèle autonomique plus respectueux des libertés fondamentales de la personne. On peut cependant se demander si ce nouvel équilibre résistera aux aspirations d’un nombre croissant de personnes à une autonomie encore plus grande dans leur prise en charge médicale.
Patient expert : un oxymore ?
Expert, ressource, partenaire, intervenant, médiateur… les qualificatifs sont nombreux. Le malade (surtout chronique) est en effet détenteur d’un savoir personnel profane et « expérientiel » qui, de singulier, devient collectif au sein d’associations de patients.
Cette expertise peut dans certains cas être validée et reconnue, notamment par l’Université des patients, créée en 2009 par Catherine Tourette-Turgis (hébergée par l’UPMC). Cela l’autorise à exercer des fonctions, délivrer des enseignements, assurer différents rôles dans et hors du système de santé...
La société de demain, l’essor des connaissances en santé, les nouvelles formes d’accès à l’information et la crise de l’expertise mondiale dans tous les domaines de la vie quotidienne ont rendu caduc le maintien des frontières entre ceux qui détiennent le savoir, ceux qui le produisent et ceux qui en bénéficient…
L’essentiel
• Le patient exprime sa volonté concernant les traitements qui lui sont soumis : il les accepte ou les refuse.
• Le médecin choisit seul ce qu’il entend proposer au patient : il a le savoir et les compétences pour le faire.
• La délivrance de l’information en entretien individuel est un temps propice à l’échange.
• Le modèle paternaliste a vécu, le respect de la volonté du patient prévaut.
2. Debarre JM. Consentement à l’acte médical en droit. Un état des lieux. Med & Droit 2017(n° 144):57-69.
3. Conseil d’état, 27 juillet 2018, n° 422241. RJPF 2018-12/24, note A. Boulanger.
4. Cour administrative d’appel de Lyon, 15 mai 2007, n° 04LY00116, n° 05LY01022 : chirurgien vasculaire victime d’une crise cardiaque.
5. Conseil d’état, 26 juillet 2017, n° 412618.
6. Cour administrative d’appel de Lyon, 6e ch., 14 mai 2018, n° 16LY02121.
7. Verspieren P. Face à celui qui meurt, 9e ed. Paris: Desclée de Brouwer; 1999: 32.