Le non-désir d’enfant est une question sociétale qui a fait l’objet de peu d’études. Une enquête réalisée en 2021 auprès de personnes volontairement sans enfant analyse leurs motivations, qui sont un reflet des préoccupations actuelles de la société.
Le non-désir d’enfant est une question sociétale souvent interrogée médiatiquement mais peu étudiée scientifiquement. Les dernières études sérieuses sur les intentions de non-­fécondité remontent à 2010 (enquê­tes ERFI [Étude des relations familiales et intergénérationnelles] et FECOND). Le phénomène de l’infécondité volontaire représente environ 5 % de la population en France.1,* et les chiffres semblent rester stables depuis 1995.2 Cette stabilité indique une importance accordée aux valeurs familiales et des représentations toujours bien ancrées qui associent le fait d’avoir des enfants à une certaine forme de bonheur, d’épanouissement et de réussite sociale. Le non-désir d’enfant est donc un phénomène minoritaire – concernant tout de même plus de 2 millions de personnes – et les motivations de ceux qui font ce choix sont encore assez mal connues. Une enquête ­réalisée entre mai 2021 et août 2021 (encadré) permet de se fonder sur des données récentes. Elle analyse les motivations des personnes volontairement sans enfant, dénommées ici sous le terme de SEnVol.

Choix très souvent sous pression

L’infécondité volontaire, autrement dit le choix de ne pas avoir d’enfant, reste, en France, un phénomène minoritaire, toujours relativement difficile à exprimer. Si, dans certains milieux sociaux et culturels, ce choix semble être accepté, il n’en reste pas moins que 77 % des personnes ayant répondu à l’enquête disent subir ou avoir subi une pression pour faire un enfant. Comme c’était prévisible, il existe un écart important entre les femmes et les hommes. Ces derniers sont ainsi 12 % à ne jamais avoir ressenti de pression contre seulement 5 % des femmes de l’échantillon. Cela rejoint nos analyses précédentes concernant le fait que les hommes continuent d’être pensés comme des acteurs secondaires de la parentalité, dans le sens où ce qui a trait aux questions des enfants et de la fécondité est globalement dévolu aux femmes.3 Cependant, le phénomène semble pouvoir être exprimé à l’entourage, car 88 % des répondants de l’enquête déclarent que leurs proches sont, pour la plupart, au fait de leur non-désir d’enfant. Pour autant, savoir n’est pas synonyme de discussion et d’échange, car 64 % souhaiteraient pouvoir en discuter plus facilement avec leur entourage. En tendance, des SEnVol sont identifiés par leur entourage comme tels mais peuvent difficilement en discuter et déclarent ressentir une pression pour modifier leur comportement. Autrement dit, l’infécondité volontaire peut toujours être pensée sous le joug du stigmate,4 dans le sens où elle semble inconvenante à évoquer, notamment pour les femmes.

Choix en lien avec un souci du monde

Cet éloignement des convenances amène à poser l’hypothèse que l’argument écologique est un argument facilement mobilisable, et donc mobilisé. Autrement dit, pour la première fois, les personnes qui ne souhaitent pas d’enfant peuvent invoquer une raison qui est globalement partagée par l’ensemble de la société. Ainsi, 63 % des personnes de notre enquête évoquent l’écologie comme une des raisons allant vers la construction de leur refus d’enfant : 71 % des moins de 30 ans et 53 % des plus de 30 ans.
Pour autant, il ne faudrait pas perdre de vue qu’un certain nombre des comportements individuels actuels peuvent être reliés (en partie) à l’écologie sans que cela soit le moteur premier de l’action. Par analogie, prendre le train plutôt que la voiture ou l’avion est écologique mais ce n’est pas forcément pour cette raison que l’on prend le train.
Ensuite, on peut remarquer une proportion importante de personnes qui mobilisent également le fait que « le monde soit déjà trop peuplé » (74 % de l’échantillon) et/ou « trop violent » (72 % des répondants).
On retrouve aussi l’éco-anxiété des jeunes générations – et des moins jeunes -, agitée médiatiquement depuis une petite décennie. Deux éléments semblent importants à soulever. D’une part, cette « éco-anxiété » est peut-être un construit médiatique et politique, comme le soulignent D’allens5 et, dans un autre registre Schmidt.6 D’autre part, cette agitation médiatique renforce l’angoisse presque comme sous l’effet d’une prophétie autoréalisatrice. À l’heure où l’on met en avant la surpopulation, l’épuisement des ressources planétaires et ses conséquences, l’éco-­anxiété se transforme en contexte.

Choix en réaction aux normes sociales et familiales

Concernant les autres raisons sociales et politiques, il est remarquable d’observer que « l’opposition aux normes sociales et familiales » est mobilisée par une personne sur deux. La moitié des SEnVol estime donc que leur « opposition aux normes sociales et familiales » explique en partie leur refus d’enfant. Mais, quand on regarde dans le détail, les SEnVol qui ne relient pas cet argument à leur refus d’enfant sont plus affirmatifs que ceux qui font le lien. Autrement dit, 23 % ne font pas du tout de lien et 16 % le font totalement. Cela pourrait donc tendre à montrer que le choix d’une vie sans enfant ne se construit pas en premier lieu contre un modèle. Cette hypothèse est en partie confirmée par les « raisons féministes », qui ne sont mobilisées que par une femme sur cinq et un homme sur dix. Le lien entre les principes féministes et le refus d’enfant disparaît quasiment lorsque l’on s’intéresse à la réponse « Oui, tout à fait » : seulement 6 % des femmes et 2 % des hommes relient les deux items. Déjà, lors de ma recherche doctorale (2008-2012), j’avais été surprise de ce peu d’engouement pour les raisons féministes. Même si j’avais montré, qu’à l’inverse peut-être des raisons écologiques, une partie des femmes qui ne se disaient pas féministes avaient des comportements féministes (indépendance financière et conjugalité diverse notamment).7

Choix pour se consacrer à sa vie personnelle

La raison la plus mobilisée est « Je veux me consacrer à ma vie privée, mon couple, mes amis, mes voyages ». Ce résultat corrobore les données de l’enquête FECOND de 2010.1 Dans l’étude analysée ici, 86 % des SEnVol font le lien entre leur souhait de ne pas avoir d’enfant et leur volonté de se consacrer à leur « vie privée »… Une femme sur deux estime que c’est une formulation qui leur correspond « tout à fait », contre un homme sur trois.
Comment interpréter ces résultats sans tomber dans une argumentation qui s’appuierait sur l’égoïsme des femmes à ne pas enfanter ? Les hommes étant, là encore, assez peu sujets à ce type de critique. L’hypothèse qui apparaît la plus pertinente est de questionner les modèles parentaux actuels et les exigences qui vont de pair avec l’exercice de la parentalité dans un contexte où, paradoxalement, la liberté d’entreprendre et d’être soi est une valeur mise en avant. À partir du moment où les personnes – minoritaires, rappelons-le – ont fait ce pas de côté face à l’évidence du désir d’enfant, il semble inéluctable qu’elles interrogent implicitement les deux grandes valeurs sociétales : la liberté individuelle et la famille.1,3 Le fait que les femmes mobilisent davantage cette raison de « la vie privée » est, par ailleurs, en lien avec les normes parentales actuelles. Elles ont, encore aujourd’hui, plus à perdre sur la liberté individuelle quand elles deviennent mères que les hommes quand ils deviennent pères. D’ailleurs, la raison qui arrive en deuxième position, pour 71 % de l’échantillon, est le fait de ne pas se sentir « l’âme d’une mère /l’âme d’un père ». L’écart est relativement important entre les femmes et les hommes (45 % des femmes ne s’estiment pas du tout l’âme d’une mère, contre 29 % des hommes qui ne s’estiment pas du tout l’âme d’un père) et entre les générations (avec 10 points d’écart entre les plus de 30 ans et les moins de 30 ans). Les modèles parentaux, notamment du côté de la maternité, ne semblent donc plus être en adéquation avec les aspirations des jeunes générations. Cela rejoint la question des exigences à l’égard des parents qui se décli­nent principalement du côté des exigences à l’égard des mères ; lesquelles peuvent être pensées comme entrant en contradiction avec les exigences libérales d’épanouissement individuel.

Les SEnVol, reflet de la société ?

À grands traits, les SEnVol sont donc le reflet des préoccupations actuelles de notre société. Ils et elles sont mûs par un souci écologique du monde, souhaitent s’épanouir individuellement et questionnent la répartition inégalitaire des rôles entre les femmes et les hommes. D’une certaine manière, ils sont donc particulièrement ancrés dans le monde. Mais quand il s’agit de les qualifier, l’écologie se transforme en angoisse, l’épanouissement en égoïsme et l’égalité entre les femmes et les hommes en dangereux féminisme. La raison d’un tel traitement est peut-être à aller chercher dans le refus d’un questionnement en profondeur sur les modes de production des richesses, la nouvelle vague du « développement de soi » et l’inégalité structurelle entre les femmes et les hommes. À l’heure des discours alarmistes sur la baisse de la natalité, il semble parfois pratique d’en faire des boucs émissaires. En espérant que les femmes ne deviennent pas… chèvres. 
* Un sondage IFOP pour Elle, largement repris dans les médias, datant de 2022, fait état de 30 % des femmes actuellement sans enfant qui ne souhaiteraient pas d’enfant. Lu autrement, cela signifierait que 70 % des femmes, actuellement sans enfant souhaiteraient devenir mères.La Revue du Praticien a choisi de ne pas opter pour une écriture inclusive.
Encadre

Méthodologie de l’enquête de 2021

C’est principalement à partir d’une enquête réalisée avec Lauren Malka entre mai 2021 et août 2021 que nous analysons dans cet article les motivations des personnes volontairement sans enfant que, pour plus de lisibilité, nous dénommons sous le terme de SEnVol.7 Cette enquête a été auto-administrée via internet, et 4 792 personnes ont répondu. Les femmes sont dix fois plus nombreuses que les hommes à avoir répondu, ce qui, d’une part, montre le poids de la parentalité du côté des femmes et, d’autre part, amène à la nuance dans les comparaisons entre les femmes et les hommes. Les non-binaires sont également représentés, mais si faiblement (180 personnes) que les résultats sont à prendre avec prudence. Dix-neuf raisons ont été proposées aux répondants sous la forme : « Parmi les raisons qui expliquent aujourd’hui que vous ne souhaitiez pas d’enfant, la formulation suivante vous correspond-elle : « …. » ? » Quatre propositions de réponse suivaient : « Non pas du tout », « non, plutôt pas », « Oui, plutôt », « Oui, tout à fait ». C’est donc bien le lien que les personnes font entre leur non-désir d’enfant et la formulation qui est mesurée.

Le questionnaire dans sa version complète est disponible à l’adresse suivante : https://www.linkedin.com/in/charlotte-debest/

Références
1. Debest C, Mazuy M, équipe de l’enquête Fecond. Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant. Population et sociétés 2014;508(2):1-4.
2. Toulemon L. Très peu de couples restent volontairement sans enfant. Population 1995;4-5:1079-110.
3. Debest C. Carrières déviantes. Stratégies et conséquences du choix d’une vie sans enfant. Mouvements 2015;82:116-22.
4. Goffman E. Stigmates. Les usages sociaux des handicaps. 1977. Éditions de minuit.
5. D’Allens G. On veut soigner les individus, mais c’est le système qui est malade. Reporterre 29 avril 2022. https://reporterre.net/Ecoanxiete-On-veut-soigner-les-individus-mais-c-est-le-systeme-qui-est-malade
6. Schmidt F. Non les femmes qui choisissent de ne pas être mères ne menacent pas les générations futures ! Madmoizelle 13 octobre 2023. https://www.madmoizelle.com/non-les-femmes-qui-choisissent-de-ne-pas-etre-meres-ne-menacent-pas-les-generations-futures-1584609
7. Debest C. Le choix d’une vie sans enfant. 2014 PUR. 216 pages.

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Résumé

Des données inédites datant de 2021 permettent de faire le point sur les motivations des personnes volontairement sans enfant dans un contexte de forte pression sociale à concevoir et de baisse de la natalité en France. En outre, le non-désir d’enfant est toujours un phénomène minoritaire et encore sujet à une certaine forme de stigmatisation. Par ailleurs, il s’inscrit dans un contexte social où la question écologique prend de l’ampleur et où l’égalité femmes-hommes peine toujours à se réaliser. Les personnes volontairement sans enfant sont, en ce sens, bien ancrées dans la société actuelle.