Choix très souvent sous pression
Choix en lien avec un souci du monde
Pour autant, il ne faudrait pas perdre de vue qu’un certain nombre des comportements individuels actuels peuvent être reliés (en partie) à l’écologie sans que cela soit le moteur premier de l’action. Par analogie, prendre le train plutôt que la voiture ou l’avion est écologique mais ce n’est pas forcément pour cette raison que l’on prend le train.
Ensuite, on peut remarquer une proportion importante de personnes qui mobilisent également le fait que « le monde soit déjà trop peuplé » (74 % de l’échantillon) et/ou « trop violent » (72 % des répondants).
On retrouve aussi l’éco-anxiété des jeunes générations – et des moins jeunes -, agitée médiatiquement depuis une petite décennie. Deux éléments semblent importants à soulever. D’une part, cette « éco-anxiété » est peut-être un construit médiatique et politique, comme le soulignent D’allens5 et, dans un autre registre Schmidt.6 D’autre part, cette agitation médiatique renforce l’angoisse presque comme sous l’effet d’une prophétie autoréalisatrice. À l’heure où l’on met en avant la surpopulation, l’épuisement des ressources planétaires et ses conséquences, l’éco-anxiété se transforme en contexte.
Choix en réaction aux normes sociales et familiales
Choix pour se consacrer à sa vie personnelle
Comment interpréter ces résultats sans tomber dans une argumentation qui s’appuierait sur l’égoïsme des femmes à ne pas enfanter ? Les hommes étant, là encore, assez peu sujets à ce type de critique. L’hypothèse qui apparaît la plus pertinente est de questionner les modèles parentaux actuels et les exigences qui vont de pair avec l’exercice de la parentalité dans un contexte où, paradoxalement, la liberté d’entreprendre et d’être soi est une valeur mise en avant. À partir du moment où les personnes – minoritaires, rappelons-le – ont fait ce pas de côté face à l’évidence du désir d’enfant, il semble inéluctable qu’elles interrogent implicitement les deux grandes valeurs sociétales : la liberté individuelle et la famille.1,3 Le fait que les femmes mobilisent davantage cette raison de « la vie privée » est, par ailleurs, en lien avec les normes parentales actuelles. Elles ont, encore aujourd’hui, plus à perdre sur la liberté individuelle quand elles deviennent mères que les hommes quand ils deviennent pères. D’ailleurs, la raison qui arrive en deuxième position, pour 71 % de l’échantillon, est le fait de ne pas se sentir « l’âme d’une mère /l’âme d’un père ». L’écart est relativement important entre les femmes et les hommes (45 % des femmes ne s’estiment pas du tout l’âme d’une mère, contre 29 % des hommes qui ne s’estiment pas du tout l’âme d’un père) et entre les générations (avec 10 points d’écart entre les plus de 30 ans et les moins de 30 ans). Les modèles parentaux, notamment du côté de la maternité, ne semblent donc plus être en adéquation avec les aspirations des jeunes générations. Cela rejoint la question des exigences à l’égard des parents qui se déclinent principalement du côté des exigences à l’égard des mères ; lesquelles peuvent être pensées comme entrant en contradiction avec les exigences libérales d’épanouissement individuel.
Les SEnVol, reflet de la société ?
Méthodologie de l’enquête de 2021
C’est principalement à partir d’une enquête réalisée avec Lauren Malka entre mai 2021 et août 2021 que nous analysons dans cet article les motivations des personnes volontairement sans enfant que, pour plus de lisibilité, nous dénommons sous le terme de SEnVol.7 Cette enquête a été auto-administrée via internet, et 4 792 personnes ont répondu. Les femmes sont dix fois plus nombreuses que les hommes à avoir répondu, ce qui, d’une part, montre le poids de la parentalité du côté des femmes et, d’autre part, amène à la nuance dans les comparaisons entre les femmes et les hommes. Les non-binaires sont également représentés, mais si faiblement (180 personnes) que les résultats sont à prendre avec prudence. Dix-neuf raisons ont été proposées aux répondants sous la forme : « Parmi les raisons qui expliquent aujourd’hui que vous ne souhaitiez pas d’enfant, la formulation suivante vous correspond-elle : « …. » ? » Quatre propositions de réponse suivaient : « Non pas du tout », « non, plutôt pas », « Oui, plutôt », « Oui, tout à fait ». C’est donc bien le lien que les personnes font entre leur non-désir d’enfant et la formulation qui est mesurée.
Le questionnaire dans sa version complète est disponible à l’adresse suivante : https://www.linkedin.com/in/charlotte-debest/
2. Toulemon L. Très peu de couples restent volontairement sans enfant. Population 1995;4-5:1079-110.
3. Debest C. Carrières déviantes. Stratégies et conséquences du choix d’une vie sans enfant. Mouvements 2015;82:116-22.
4. Goffman E. Stigmates. Les usages sociaux des handicaps. 1977. Éditions de minuit.
5. D’Allens G. On veut soigner les individus, mais c’est le système qui est malade. Reporterre 29 avril 2022. https://reporterre.net/Ecoanxiete-On-veut-soigner-les-individus-mais-c-est-le-systeme-qui-est-malade
6. Schmidt F. Non les femmes qui choisissent de ne pas être mères ne menacent pas les générations futures ! Madmoizelle 13 octobre 2023. https://www.madmoizelle.com/non-les-femmes-qui-choisissent-de-ne-pas-etre-meres-ne-menacent-pas-les-generations-futures-1584609
7. Debest C. Le choix d’une vie sans enfant. 2014 PUR. 216 pages.