Si l’une des premières transfusions historiques concerne un illustre receveur en la personne du pape Innocent viii, les trois jeunes bergers qui furent sacrifiés, selon la légende, pour être les donneurs de sang seraient restés totalement inconnus. Cette histoire est probablement une légende urbaine de cette fin du xve siècle. Elle a cependant été reprise par les historiens au cours du temps. Elle fascine encore aujourd’hui par la puissance de son évocation, celle d’une exploitation humaine jusqu’à la mort de pauvres hères, afin de soigner un homme puissant. Cette histoire est au cœur des interrogations bioéthiques modernes.

Profil des donneurs

Au xxie siècle, le profil du donneur de sang varie selon la géographie et le type de don. Le donneur de sang total, dont la finalité du prélèvement sert à fournir les globules rouges indispensables au traitement des anémies graves, est le plus souvent bénévole et anonyme dans les pays économiquement développés. Ailleurs, il s’agit souvent d’un proche du patient, que ce dernier doit solliciter lui-même pour remplacer les unités de sang nécessaires à sa prise en charge médicale ou chirurgicale. Cette pratique, appelée don de remplacement ou de reposition, ne permet pas aux centres de transfusion de garantir une réserve collective de plusieurs jours pour faire face à tous les besoins. L’absence de donneur recruté par le malade peut même conduire à l’abstention thérapeutique, ou à un marché noir utilisant des donneurs officieusement rémunérés. Dans les pays à hauts revenus, seuls 15 % des besoins en plasma d’aphérèse nécessaire à la préparation de médicaments dérivés du sang sont issus de dons gratuits. La pratique du don de plasma rémunéré, telle qu’elle s’exerce aux États-Unis ou dans certains pays européens, conduit à prélever plus fréquemment (jusqu’à 2 litres par semaine) des personnes socialement motivées par la constitution d’un salaire d’appoint.

Motivation des donneurs

À travers le monde, de très nombreuses recherches ont étudié les motivations des donneurs de sang bénévoles. En 2011, 49 études ont été compilées sur le sujet dans une méta-analyse, pour un total de 154 122 participants, afin de dégager, à l’échelle mondiale, les déterminants principaux du don de sang.1 Le motif le plus souvent cité pour faire un don était la présence d’un centre de collecte idéalement situé, suivi par une motivation prosociale (altruisme, communautarisme…), des valeurs personnelles (liées aux normes morales), la réputation de l’agence en charge de la collecte, la perception d’un besoin (par exemple à la suite d’une catastrophe naturelle), la réciprocité (après la transfusion d’un proche ou du donneur lui-même), et la motivation intrinsèque permettant d’améliorer l’estime de soi, voire de satisfaire sa curiosité sur le processus du don. Inversement, les facteurs dissuasifs fréquemment cités étaient la faible auto-efficacité à faire un don (sentiment de ne pas être capable de réussir à le faire), une faible implication, une expérience négative, le manque de communication sur le don (actions marketing), un manque d’information (sur les besoins, les conditions ou le lieu), ou des peurs associées au processus de don.

Sélection des donneurs

Chaque année, en France, 3,8 % de la population française âgée de 18 à 71 ans, soit 1 600 000 donneurs, fournissent les 3 millions de dons nécessaires à la préparation des produits sanguins labiles préparés par l’Établissement français du sang (EFS). Un million de dons sont réalisés sur les 127 sites de l’EFS (500 000 dons de sang total, 500 000 dons de plasma ou de plaquettes par aphérèse).2 Deux millions de dons de sang total sont réalisés sur les 38 000 collectes mobiles réalisées sur le territoire national en collaboration étroite avec les associations de donneurs.
La sélection des donneurs poursuit deux objectifs : s’assurer de la tolérance d’un prélèvement de 420 à 750 mL, hors échantillons sanguins, selon le type de prélèvement (sang total ou aphérèse) et le morphotype du donneur ; et contribuer à la sécurité du receveur, en complément de la qualification biologique des dons et des techniques de sécurisation applicables aux produits sanguins labiles. Avant chaque don, tout candidat doit compléter un questionnaire de santé défini par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).3 Celui-ci est vérifié et éventuellement approfondi par un médecin ou un infirmier habilité à l’occasion d’un entretien confidentiel. Les critères de sélection des donneurs sont définis par arrêté ministériel et doivent respecter a minima des règles définies dans une annexe de la directive européenne 2004/33/CE (tableau 1).4 Environ 8,5 % des candidatures au don sont ajournées en raison de l’un de ces critères. Le donneur est invité à signaler tout événement survenant dans les deux semaines suivant le don, et susceptible de compromettre l’utilisation thérapeutique des produits sanguins issus du don. Il peut s’agir de la survenue d’un épisode infectieux asymptomatique au moment du don, ou d’une information non communiquée, voire non connue, lors de l’entretien préalable au don. En cas de détection d’une anomalie biologique lors de la qualification du don dans les jours suivants le don, le donneur est informé. S’il s’agit d’un marqueur d’infection transmissible, il est invité à rencontrer un médecin de l’EFS. À l’occasion de cette consultation post-don, des informations relatives au mode probable de transmission de l’agent infectieux sont recueillies, puis transmises anonymement à Santé publique France. L’organisme de veille sanitaire compile et analyse annuellement ces données permettant de calculer le risque résiduel de transmission de ces agents par transfusion, et d’objectiver les possibilités de faire évoluer les critères de sélection des donneurs (tableau 2).

Effets indésirables pour le donneur

Environ 3 % des dons font l’objet d’un signalement d’un événement indésirable chez le donneur, local ou général, survenant à l’occasion ou à la suite d’un don. Ces événements sont cotés de 1 à 4 selon leur gravité (minime, modérée, sévère, décès dans les 7 jours suivant le don). Seuls les événements cotés de 2 à 4 sont déclarés à l’ANSM. En 2016, 5 454 événements indésirables donneur ont été déclarés à l’ANSM ; 78 % des événements déclarés surviennent à la suite d’un don de sang total et 22 % à la suite d’un don par aphérèse. L’incidence globale est de 188,9 événements pour 100 000 prélèvements. Elle est nettement plus élevée parmi les femmes comparativement aux hommes (413 vs 258 événements pour 100 000 prélèvements). Elle est également plus élevée pour les dons par aphérèse que pour les dons de sang total (270 vs 172 événements pour 100 000 prélèvements). Dans l’analyse portant sur 5 402 événements (tableau 3), le malaise vagal immédiat constitue le diagnostic le plus fréquemment déclaré (76 %), de gravité modérée dans la plupart des cas (3 250 ; soit 80 %). Les malaises vagaux retardés (7,7 %) sont de gravité sévère dans plus d’un cas sur deux (224 ; soit 54 %). L’hématome est le deuxième diagnostic le plus fréquemment déclaré (9,4 %), de gravité modérée dans plus de 80 % des cas. Deux autres effets indésirables locaux ont également été déclarés : la ponction artérielle (2,55 %) et la blessure nerveuse (1,04 %). Les diagnostics de type thromboembolique veineux ou artériel (thrombophlébite, thrombose, accident vasculaire cérébral, embolie pulmonaire, infarctus du myocarde, angine de poitrine) représentent 0,4 % (22) des événements indésirables déclarés. Les thrombophlébites représentent plus d’un tiers de ces événements (8 ; soit 36 %) et constituent le diagnostic de la totalité des événements indésirables déclarés d’imputabilité certaine dans cette catégorie.

DES RÈGLES BIEN RESPECTÉES EN FRANCE

En conclusion, le don de sang est un acte social et humanitaire indispensable à la pratique médicale moderne. Les conditions de sécurité qui l’entourent sont strictement encadrées sur le plan réglementaire, dans l’intérêt mutuel du donneur et du receveur. Les règles éthiques appliquées et respectées en France apportent une garantie supplémentaire d’équité, de justice sociale et de sécurité. 
Références
1. Bednall TC, Bove LL. Donating blood: a meta-analytic review of self-reported motivators and deterrents. Transfus Med Rev 2011;25:317-34.
2. Établissement français du sang. Rapport activités 2016. www.ra.efs.sante.fr
3. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Rapport annuel d’hémovigilance, décembre 2017. www.ansm.sante.fr
4. Arrêté du 13 décembre 2017 modifiant l’arrêté du 5 avril 2016 fixant les critères de sélection des donneurs de sang

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Résumé

En France, chaque année, 1,6 million d’individus effectuent un ou plusieurs dons de sang bénévoles. Ces 3 millions de dons annuels permettent la préparation de produits sanguins labiles par l’Établissement français du sang : concentrés de globules rouges, de plaquettes, plasma thérapeutique ; ainsi que des médicaments dérivés du sang par le Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies : immunoglobulines, albumine, facteurs de coagulation. Cet article fait le point sur les aspects éthiques et médicaux de cet acte social et humanitaire qui nécessite d’être encadré dans l’intérêt des donneurs et des receveurs.