La crise du Levothyrox
L’éditorial d’Alain Tenaillon et Jean Deleuze « Levothyrox : un cas d’école du mépris de la parole des malades » (Rev Prat 2019;69:583) et l’article de Catherine Hill et Martin Schlumberger « Les deux formules du Levothyrox ne sont pas bioéquivalentes » (Rev Prat 2019;69:599-601) parus en juin dans La Revue du Praticien ont suscité de nombreuses réactions dont des courriers de Xavier Bertagna, Philippe Bouchard, André Grimaldi, Jean-Louis Wémeau et Jacques Young ainsi que de Patrice Rodien et Rachel Reynaud au nom de la Société française d’endocrinologie et de la Société française d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique. Nous publions ici ces deux textes que nous avions mis en ligne en juillet sur le site de La Revue, n’ayant pas de parutions l’été. Ils ont eux-mêmes suscité deux réactions – celles de Catherine Noël et de Gérard Bapt – que nous publions à la suite.
Cette crise du Levothyrox responsable d’un nombre inédit de déclarations en pharmacovigilance (près de 35 000 cas) et de 360 000 consultations supplémentaires pendant la période a fait l’objet d’une analyse très critique sur les conditions de commercialisation de la nouvelle formule du Levothyrox dans un rapport demandé par la ministre de la Santé https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/180903_-_mim_rapport.pdf (voir pages 10 et 11). D’autres développements concernent l’étude de bioéquivalence entre les deux formules du médicament. Nous y reviendrons dans un autre numéro en publiant les analyses très divergentes que nous avons reçues au sujet de cette étude. La rédaction
L’éditorial d’Alain Tenaillon et Jean Deleuze « Levothyrox : un cas d’école du mépris de la parole des malades » (Rev Prat 2019;69:583) et l’article de Catherine Hill et Martin Schlumberger « Les deux formules du Levothyrox ne sont pas bioéquivalentes » (Rev Prat 2019;69:599-601) parus en juin dans La Revue du Praticien ont suscité de nombreuses réactions dont des courriers de Xavier Bertagna, Philippe Bouchard, André Grimaldi, Jean-Louis Wémeau et Jacques Young ainsi que de Patrice Rodien et Rachel Reynaud au nom de la Société française d’endocrinologie et de la Société française d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique. Nous publions ici ces deux textes que nous avions mis en ligne en juillet sur le site de La Revue, n’ayant pas de parutions l’été. Ils ont eux-mêmes suscité deux réactions – celles de Catherine Noël et de Gérard Bapt – que nous publions à la suite.
Cette crise du Levothyrox responsable d’un nombre inédit de déclarations en pharmacovigilance (près de 35 000 cas) et de 360 000 consultations supplémentaires pendant la période a fait l’objet d’une analyse très critique sur les conditions de commercialisation de la nouvelle formule du Levothyrox dans un rapport demandé par la ministre de la Santé https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/180903_-_mim_rapport.pdf (voir pages 10 et 11). D’autres développements concernent l’étude de bioéquivalence entre les deux formules du médicament. Nous y reviendrons dans un autre numéro en publiant les analyses très divergentes que nous avons reçues au sujet de cette étude. La rédaction
L’éditorial de La Revue du Praticien du mois de juin 2019, consacré à la crise du Levothyrox, met en cause et de façon indifférenciée les instances professionnelles, industrielles et administratives suspectées d’avoir fait bloc contre les malades qui n’auraient pas été écoutés et d’avoir refusé de proposer la moindre étude.
C’est oublier que dès le 11 septembre 2017, le Groupe de recherche sur la thyroïde (GRT), la Société française d’endocrinologie (SFE) et la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique (SFEDP) ont publié un communiqué sur leurs sites respectifs, communiqué également adressé à l’Agence France Presse et quelques grands journaux quotidiens.1 Ce communiqué, qui se voulait objectif et non polémique, n’a pas été relayé par lesdits quotidiens. Une tribune ou un éditorial sont plus vendeurs, certainement.
C’est oublier que dès le 11 septembre 2017, le Groupe de recherche sur la thyroïde (GRT), la Société française d’endocrinologie (SFE) et la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique (SFEDP) ont publié un communiqué sur leurs sites respectifs, communiqué également adressé à l’Agence France Presse et quelques grands journaux quotidiens.1 Ce communiqué, qui se voulait objectif et non polémique, n’a pas été relayé par lesdits quotidiens. Une tribune ou un éditorial sont plus vendeurs, certainement.
Les troubles ont été attribués à une mauvaise information, à un effet nocebo et au complotisme ?
L’information a été imparfaite, en particulier pour un traitement qui concerne plusieurs millions de patients.
Les professionnels se sont en effet étonnés, trop tardivement, du message destiné aux médecins, de prudence et de surveillance rapprochée restreintes aux patients fragiles, enfants, femmes enceintes, patients atteints de cancer de la thyroïde… alors que le précédent de l’arrivée de spécialités génériques du Levothyrox aurait dû conduire à préconiser une vérification systématique de l’équilibre thyroïdien lors du passage de l’ancienne à la nouvelle formule. Les nombreux rééquilibrages de posologie auraient pu être anticipés, et beaucoup de désagréments, d’inconforts et d’inquiétudes évités.
L’information diffusée à l’occasion de ce changement de formule, de la notice incluse dans la boîte de Levothyrox aux messages d’alerte et de précaution, n’a pas été élaborée, ni même discutée avec les instances professionnelles, conseils nationaux professionnels, sociétés savantes. Ces dernières n’ont été sollicitées qu’après le début de la crise.
Aurions-nous dû nous manifester auparavant ? À la lecture rétrospective de ces deux années pénibles pour les patients, sans doute. Les endocrinologues, au fait du changement de formule, avaient prévu de vérifier l’équilibre hormonal dans les deux mois du changement, ce qu’ils ont fait consciencieusement pour les patients qu’ils ont vus en consultation dans cette période, qu’il y ait eu ou pas une symptomatologie particulière, que le patient ait fait ou non partie des populations « à risque » mentionnées dans la note d’information. Sans doute aurions-nous dû exiger une information plus systématique lors de la délivrance du médicament en officine. Encore eût-il fallu être associés à la procédure. C’est, en tout cas, une des leçons que l’on pourrait tirer de cette crise.
Oui, le terme nocebo a été énoncé par certains, et nous l’avons repris pour l’expliquer. Non, nous n’avons pas écrit que les malades sont des malades imaginaires. Bien au contraire : nous avons insisté sur la réelle souffrance ressentie par les malades, y compris dans le cadre de cet effet nocebo. Cette reconnaissance a étayé notre demande d’une étude nécessaire comparative randomisée en double aveugle pour en comprendre la cause. L’exemple de la réintroduction d’une statine ou d’un placebo en cross-over chez les patients intolérants aux statines2 est, à ce titre, particulièrement éclairant. Dès le 11 septembre 2017, nous avons proposé une étude comparative d’administration prolongée, pour prendre en compte le lent retour à l’équilibre ou déséquilibre lors du changement de formule autant qu’une possible toxicité de la nouvelle formule. Une telle étude a été discutée à plusieurs reprises lors de réunions à l’ANSM et lors des réunions du comité de suivi au ministère. En présence et avec les représentants des associations de patients. Ces dernières ont même été invitées à participer à l’élaboration du protocole expérimental, et une réunion de travail a été organisée avec l’une d’elles.
Assez rapidement, malheureusement, est venu s’ajouter à la difficulté du financement par les tutelles et de la mise en œuvre d’une telle étude un refus catégorique et hostile d’une association et un désintérêt progressif d’une autre. Le nombre des cas signalés et l’ampleur de la crise ont, en effet, convaincu nombre de patients et parfois de médecins que la preuve n’était plus à faire de la responsabilité de la nouvelle formule dans les symptômes ressentis par les patients. On a donc évoqué l’impact des excipients, d’éventuelles contaminations : métaux lourds, nanoparticules, perturbateurs endocriniens, D-thyroxine… Si l’on comprend, de la part des patients, la recherche assidue au cœur des comprimés de Levothyrox des causes de leur symptômes, force est de constater que l’on ne peut fournir, à ce jour, une estimation fiable de la fréquence et de la sévérité des effets indésirables directement imputables au médicament.
À ce refus d’une étude, seule capable de répondre à cette question, s’est ajoutée une campagne de dénigrement et de suspicion sur les médecins, experts ou non, médiatiques ou non, qui se sont prononcés avec plus ou moins d’éclat sur le sujet. Il suffit de naviguer sur Internet pour y constater que le complotisme n’est pas une vue de l’esprit.
Les professionnels se sont en effet étonnés, trop tardivement, du message destiné aux médecins, de prudence et de surveillance rapprochée restreintes aux patients fragiles, enfants, femmes enceintes, patients atteints de cancer de la thyroïde… alors que le précédent de l’arrivée de spécialités génériques du Levothyrox aurait dû conduire à préconiser une vérification systématique de l’équilibre thyroïdien lors du passage de l’ancienne à la nouvelle formule. Les nombreux rééquilibrages de posologie auraient pu être anticipés, et beaucoup de désagréments, d’inconforts et d’inquiétudes évités.
L’information diffusée à l’occasion de ce changement de formule, de la notice incluse dans la boîte de Levothyrox aux messages d’alerte et de précaution, n’a pas été élaborée, ni même discutée avec les instances professionnelles, conseils nationaux professionnels, sociétés savantes. Ces dernières n’ont été sollicitées qu’après le début de la crise.
Aurions-nous dû nous manifester auparavant ? À la lecture rétrospective de ces deux années pénibles pour les patients, sans doute. Les endocrinologues, au fait du changement de formule, avaient prévu de vérifier l’équilibre hormonal dans les deux mois du changement, ce qu’ils ont fait consciencieusement pour les patients qu’ils ont vus en consultation dans cette période, qu’il y ait eu ou pas une symptomatologie particulière, que le patient ait fait ou non partie des populations « à risque » mentionnées dans la note d’information. Sans doute aurions-nous dû exiger une information plus systématique lors de la délivrance du médicament en officine. Encore eût-il fallu être associés à la procédure. C’est, en tout cas, une des leçons que l’on pourrait tirer de cette crise.
Oui, le terme nocebo a été énoncé par certains, et nous l’avons repris pour l’expliquer. Non, nous n’avons pas écrit que les malades sont des malades imaginaires. Bien au contraire : nous avons insisté sur la réelle souffrance ressentie par les malades, y compris dans le cadre de cet effet nocebo. Cette reconnaissance a étayé notre demande d’une étude nécessaire comparative randomisée en double aveugle pour en comprendre la cause. L’exemple de la réintroduction d’une statine ou d’un placebo en cross-over chez les patients intolérants aux statines2 est, à ce titre, particulièrement éclairant. Dès le 11 septembre 2017, nous avons proposé une étude comparative d’administration prolongée, pour prendre en compte le lent retour à l’équilibre ou déséquilibre lors du changement de formule autant qu’une possible toxicité de la nouvelle formule. Une telle étude a été discutée à plusieurs reprises lors de réunions à l’ANSM et lors des réunions du comité de suivi au ministère. En présence et avec les représentants des associations de patients. Ces dernières ont même été invitées à participer à l’élaboration du protocole expérimental, et une réunion de travail a été organisée avec l’une d’elles.
Assez rapidement, malheureusement, est venu s’ajouter à la difficulté du financement par les tutelles et de la mise en œuvre d’une telle étude un refus catégorique et hostile d’une association et un désintérêt progressif d’une autre. Le nombre des cas signalés et l’ampleur de la crise ont, en effet, convaincu nombre de patients et parfois de médecins que la preuve n’était plus à faire de la responsabilité de la nouvelle formule dans les symptômes ressentis par les patients. On a donc évoqué l’impact des excipients, d’éventuelles contaminations : métaux lourds, nanoparticules, perturbateurs endocriniens, D-thyroxine… Si l’on comprend, de la part des patients, la recherche assidue au cœur des comprimés de Levothyrox des causes de leur symptômes, force est de constater que l’on ne peut fournir, à ce jour, une estimation fiable de la fréquence et de la sévérité des effets indésirables directement imputables au médicament.
À ce refus d’une étude, seule capable de répondre à cette question, s’est ajoutée une campagne de dénigrement et de suspicion sur les médecins, experts ou non, médiatiques ou non, qui se sont prononcés avec plus ou moins d’éclat sur le sujet. Il suffit de naviguer sur Internet pour y constater que le complotisme n’est pas une vue de l’esprit.
Enfin une étude apportant « un début de reconnaissance scientifique des troubles » ?
En quoi cette étude3 explique-t-elle les troubles ressentis par les patients ? Sans nous prononcer sur la validité des analyses et corrections proposées – d’autres plus compétents s’y attachent –4-6 nous ne pouvons que rappeler que l’étude en question conteste l’interchangeabilité des deux formules, mais ne permet pas de démontrer le moindre lien entre une bioéquivalence éventuellement imparfaite et les symptômes ressentis et rapportés.
Que la bioéquivalence, en pratique clinique et pas seulement réglementaire, ne soit pas parfaite ne surprendra aucun endocrinologue. Nous avons déjà dû gérer les adaptations de posologie lors de l’arrivée de génériques du Levothyrox et, récemment, de la multiplication de l’offre en spécialités de L-thyroxine. Mais rappelons que certains ont voulu à tout prix démontrer que la symptomatologie des patients était indépendante des variations de l’équilibre hormonal.
Que la bioéquivalence, en pratique clinique et pas seulement réglementaire, ne soit pas parfaite ne surprendra aucun endocrinologue. Nous avons déjà dû gérer les adaptations de posologie lors de l’arrivée de génériques du Levothyrox et, récemment, de la multiplication de l’offre en spécialités de L-thyroxine. Mais rappelons que certains ont voulu à tout prix démontrer que la symptomatologie des patients était indépendante des variations de l’équilibre hormonal.
Le mépris ?
Loin de négliger la détresse des patients, nous avions dès septembre 2017, demandé la communication de l’ensemble des informations et données sur ce dossier pour tenter de comprendre. Nous avions alerté les autorités, ANSM et ministère, comme le laboratoire sur la durée prévisible de la crise et sur la déflagration que l’on pouvait en craindre, en termes de confiance des patients envers leurs médecins, les traitements qu’ils leur prescrivent, et les soins qu’ils leur prodiguent. Nous ne nous étions pas trompés. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est ce type d’éditorial, dans un journal médical, tellement méprisant des médecins, mais surtout des patients eux-mêmes. Est-ce leur rendre justice que de réécrire l’histoire de cette façon ? Est-ce les considérer que de leur laisser entendre que la réanalyse de l’étude de bioéquivalence prouve le lien entre leurs troubles et le changement de formule de Levothyrox ?
Oui, il faut écouter les patients, c’est ce qui est fait, chaque jour, dans les consultations médicales et en particulier, pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, dans les consultations d’endocrinologie.
Il est intéressant, à ce titre, de rappeler que les associations de patients en 2017 se sont tournées vers les médias plutôt que vers les sociétés savantes qui pourtant représentent et sont animées par leurs médecins. Nous avons donc à rétablir ou gagner leur confiance ; collectivement, et cela inclut La Revue du Praticien. V
Oui, il faut écouter les patients, c’est ce qui est fait, chaque jour, dans les consultations médicales et en particulier, pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, dans les consultations d’endocrinologie.
Il est intéressant, à ce titre, de rappeler que les associations de patients en 2017 se sont tournées vers les médias plutôt que vers les sociétés savantes qui pourtant représentent et sont animées par leurs médecins. Nous avons donc à rétablir ou gagner leur confiance ; collectivement, et cela inclut La Revue du Praticien. V
Texte mis en ligne sur larevuedupraticien.fr le 11 juillet 2019.
Références
1. http://www.sfendocrino.org/article/925/levothyrox-reg-communique-de-la-sfe-du-grt-de-la-sfedp-et-du-cnp
2. Nissen SE, Stroess E, Dent-Acosta RE, et al. JAMA 2016;315:1580-90.
3. Concordet D, Gandia P, Montastruc JL, et al. Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients? Clin Pharmacokinet 2019;58:827-33.
4. Coste J, Bertagna X, Zureik M. Comment on: «Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients?». Clin Pharmacokinet 2019 Jun 3.
5. Nicolas P. Comment on: «Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients?». Clin Pharmacokinet 2019 Jun 3.
6. Munafo A, Krebs-Brown A, Gaikwad S, Urgatz B, Castello-Bridoux C.Comment on «Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients?». Clin Pharmacokinet 2019 Jun 12.
2. Nissen SE, Stroess E, Dent-Acosta RE, et al. JAMA 2016;315:1580-90.
3. Concordet D, Gandia P, Montastruc JL, et al. Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients? Clin Pharmacokinet 2019;58:827-33.
4. Coste J, Bertagna X, Zureik M. Comment on: «Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients?». Clin Pharmacokinet 2019 Jun 3.
5. Nicolas P. Comment on: «Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients?». Clin Pharmacokinet 2019 Jun 3.
6. Munafo A, Krebs-Brown A, Gaikwad S, Urgatz B, Castello-Bridoux C.Comment on «Levothyrox® new and old formulations: are they switchable for millions of patients?». Clin Pharmacokinet 2019 Jun 12.