La consommation récréative de gaz hilarant (protoxyde d’azote, N2O) chez les jeunes a considérablement augmenté ces dernières années. En Angleterre, 9 % des 16-24 ans déclarent en avoir consommé en 2019-2020, ce qui fait du N2O la deuxième substance la plus populaire après le cannabis.1 Les médias français s’enflamment : « nouvelle drogue à la mode [qui fait] des ravages, rend fous les adolescents, le protoxyde d’azote peut entraîner une addiction, des accidents graves, voire mortels et des complications neurologiques ».2 En 2021, une loi a interdit de vendre ou d’offrir du protoxyde d’azote aux mineurs.
Il est dommage de ne présenter le N2O qu’à travers ces messages alarmistes incitant à sa prohibition car cela risque d’en occulter les propriétés antalgiques particulièrement bénéfiques.
Le N2O est un gaz naturel émis majoritairement par la décomposition des sols, les océans, les déjections animales, mais il est aussi produit par l’industrie pour trois types d’usage : fabrication de pots catalytiques, d’acide nitrique, de gaz pour siphons de crème chantilly… ; administration médicale lors d’anesthésies générales ou contre la douleur des soins (mélange équimolaire oxygène-protoxyde d’azote, MEOPA) ; utilisation récréative de « gaz hilarant » via des cartouches de N2O pur détournées de leur destination alimentaire.
Ce gaz atypique est difficile à classer en raison de son double statut de substance licite et illicite. De plus, ce médicament réservé à l’usage professionnel est inscrit sur liste I à l’hôpital mais il est en libre accès dans les supermarchés et sur Internet.
Sous forme de MEOPA, le N2O peut être administré en toute sécurité par des professionnels de santé formés, y compris libéraux. Malgré sa modeste puissance d’action, le MEOPA rend d’immenses services au quotidien ; sa rapidité d’action est étonnante (quelques minutes) et il n’a pas d’effet rémanent. La combinaison d’un effet anxiolytique (souvent euphorisant, voire hilarant) et antalgique permet de dissocier la part désagréable de la perception douloureuse. Cette « sédation consciente » est particulièrement utile dans la réalisation de soins douloureux et/ou anxiogènes. Les effets indésirables neurologiques graves décrits dans la littérature (troubles de l’équilibre, troubles sphinctériens) sont le plus souvent réversibles ; ils ne concernent que les rares usagers ayant développé une addiction massive avec du N2O pur (par exemple, 25 cartouches de 8 g par jour pendant au moins six mois).3, 4 La simplicité, la disponibilité et la sécurité du MEOPA5 en ont fait le médicament de référence dans quasiment toutes les urgences pédiatriques.
L’arrivée récente sur le marché de petites bonbonnes contenant l’équivalent de 80 cartouches (640 g) aggrave le phénomène de mésusage. Ce risque est bien connu pour les médicaments antalgiques : opioïdes, kétamine, prégabaline, néfopam, benzodiazépines. Il ne doit être ni nié ni surestimé ; la vigilance des professionnels de santé doit être continue, notamment pour le repérer.
La prohibition d’un produit légal comporte beaucoup de risques : détournement, vol de bouteilles pour le marché illicite, approvisionnement dans des pays exempts de contrôle, substitution par des substances plus nocives.1
Le risque d’usage addictif du N2O est source de confusion. Le protoxyde d’azote sous forme de MEOPA possède un excellent rapport bénéfice-risque : l’efficacité, la simplicité et la sécurité de son utilisation en font une des premières solutions pour soulager la douleur et l’anxiété liées aux procédures invasives. Gardons donc bébé dans l’eau du bain !
1. Sumnall H. Recreational use of nitrous oxide. BMJ. 27 sept 2022;o2297.
2. Deheul S, et al. Usage récréatif du protoxyde d’azote : méfaits et mise en garde. Presse Médicale Form. 1er déc 2021;2(6):567‑73.
3. Gérome C, Talva A. Les usages psychoactifs du protoxyde d’azote. Tendances. Août 2022;1‑7.
4. Van Aerts L, et al. Recreational use of nitrous oxide — a growing concern for Europe. Luxembourg: European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction; 2022 [cité le 1er janv 2023] p. 86. https://vu.fr/DfLA
5. Annequin D. Protoxyde d’azote et traitement de la douleur. Presse Médicale Form. 1er déc 2021;2(6):561‑6.