Psychiatrie. Même si elle est parfois encore utilisée, la notion de syndrome de glissement doit être évitée afin de ne pas ignorer une dépression, un délire ou une apathie liée à une cause organique ou médicamenteuse.
Le syndrome de glissement ne fait pas partie des nosographies internationales en psychiatrie ou en gériatrie. Ce terme reste cependant parfois utilisé en pratique clinique dans certains milieux gériatriques malgré l’absence de validations fondées sur les preuves. Il est apparu dans les années 1950 en France puis a connu un certain développement, mais ne semble pas avoir eu d’influence ailleurs qu’en France. C’est une notion qui reste controversée, certains y trouvant une pertinence clinique, d’autres estimant que son utilisation comporte certains risques.

Description classique

On doit au Dr Jean Carrié d’avoir introduit, à l’occasion de sa thèse d’exercice, la notion de syndrome de glissement en 1956.1 Ayant cherché à caractériser « les modes de décès des vieillards à l’hospice », il considère, à partir de son observation propre, que certains processus de fin de vie s’apparentent à un « glissement » correspondant à « un pro- cessus d’involution et de sénescence porté à son état le plus complet ». D’autres gériatres reprendront par la suite cette notion, en particulier le Dr Delomier, qui en propose la définition suivante :2« affection spécifique du grand âge, le syndrome de glissement est une décompensation aiguë ( infectieuse, traumatique, vasculaire, chirurgicale, choc physique, etc.) ; c’est une maladie qui suit la maladie initiale quand celle-ci paraît guérie ou en voie de guérison ; elle évolue pour son propre compte, en quelques jours ou semaines, un mois maximum, et conduit facilement à la mort à travers les troubles biologiques et neuropsychiques sévères si un traitement approprié s’attaquant aux diverses composantes du syndrome n’est pas mis en route suffisamment tôt, et souvent malgré ce traitement ».
Le syndrome de glissement serait ainsi caractérisé par une grande déstabilisation somatique et psychique d’évolution gravissime, survenant le plus souvent chez des hommes ou des femmes de plus de 80 ans, fragiles et polypathologiques à la suite d’un facteur déclenchant déstabilisant, après un intervalle libre de quelques jours. Lors de l’examen clinique, le tableau n’est en fait pas celui d’un syndrome dépressif, mais on remarque sur le plan psychologique plusieurs éléments en faveur d’un renoncement à se battre pour guérir et à déployer toute l’énergie nécessaire pour survivre ; il est marqué par une altération franche de l’état général avec une asthénie majeure, une perte d’appétit jusqu’au refus de nourriture, un amaigrissement rapide et une déshydratation.
Les premières descriptions sont tout à fait prudentes et insistent sur l’idée de considérer le syndrome de glis- sement comme un diagnostic d’élimination qui ne doit pas empêcher une recherche étiologique rigoureuse. Il associe classiquement des signes physiques et psychiques tels qu’une anorexie, une déshydratation, une dénutrition, des troubles sphinctériens et les symptômes clés du repli, de la clinophilie, du refus alimentaire, du refus de soins et du mutisme qui conduisent à penser que la personne âgée a décidé de renoncer aux efforts nécessaires pour poursuivre sa vie. Son évolution serait d’ailleurs très sévère mais pas irréversible, le décès survenant dans 80 à 90 % des cas suivant les études, le plus souvent rapidement.

Forme de dépression, état traumatique ou équivalent suicidaire ?

Le syndrome de glissement semble partager des symptômes communs avec la dépression, comme une indifférence, une apathie, une clinophilie, un refus de la communication, un repli et un mutisme. Il pourrait alors constituer une forme clinique de dépression et il pourrait s’agir, dans certains cas, d’une dépression sévère à tonalité mélancolique, d’évolution fulgurante. On pourra objecter néanmoins qu’on peut trouver des différences sémiologiques avec la dépression comme une absence d’idées d’indignité, d’auto-accusation et une absence de recherche active du suicide, et que les anti- dépresseurs semblent souvent peu efficaces dans les syndromes de glissement. Néanmoins, on sait également que le tableau clinique de la dépression du sujet âgé comporte souvent des atypies avec parfois une absence de tristesse de l’humeur et plutôt une tendance à l’opposition, et que la dépression du sujet âgé est souvent résistante aux antidépresseurs de première ligne dans un trouble où la nécessité d’être rapidement efficace est cruciale, au risque d’une évolution dramatique.
Pour certains auteurs,3 le syndrome de glissement constituerait un processus traumatique proche des états de stress post-traumatiques. Pourtant, classiquement, le syndrome de glissement ne comporte généralement pas de symptômes typiques des états de stress post-traumatique comme les reviviscences. Là encore néanmoins, on sait que le tableau clinique du stress post-traumatique chez le sujet âgé est souvent atypique.
Enfin, il pourrait s’agir d’un équivalent suicidaire avec un désir de ne plus vivre, de ne plus avoir envie de se battre qui pourrait constituer un processus existentiel comme certains suicides. L’agressivité serait retournée sur soi-même et les forces de vie seraient totalement éteintes ; certains auteurs ont pu considérer le syndrome de glissement comme une « forme passive du suicide du sujet âgé qui représente la voie la plus extrême de la dépression, sans agir violent ».3

Risques liés à son utilisation

La notion de syndrome de glissement n’a pas été étudiée de façon systématique selon les standards de la recherche fondée sur les preuves. Une recherche PubMed (juin 2018) avec le mot-clef « syndrome de glissement » trouve seulement trois occurrences. Il n’y a pas de traduction littérale dans le monde anglo-saxon et il semble que la notion de syndrome de glissement n’ait pas d’influence ailleurs qu’en France. La notion retrouvée dans la littérature qui pourrait s’y apparenter est celle de « self-injurious behavior » que l’on pourrait traduire par comportement d’automutilation ou de blessures auto-infligées et défini par un dommage ou un préjudice infligé à soi-même sans intentionnalité suicidaire apparente, comprenant par exemple le refus de s’alimenter. Les données de la littérature sont assez claires sur l’origine de ces comportements de self-injurious behavior, qui trouvent leur origine la plupart du temps dans un processus neurodégénératif ou apparenté et plus rarement dans un trouble de l’humeur.4 Il n’y a ainsi pas de validité scientifique fondée sur les preuves pour la notion de syndrome de glissement qui renverrait à un comportement appartenant à une autre nosographie comme la dépression ou les maladies neurodégéné- ratives, et non à un syndrome en soi.
Au-delà de la non-validation de la notion de syndrome de glissement, le terme en lui-même, et ce qu’il suggère implicitement, peuvent comporter certains risques en pratique clini- que. Le terme de glissement peut ainsi suggérer un cheminement « doux » en soi vers la mort et renvoyer à un processus non pathologique qu’il faudrait respecter. Quel-que chose de glissant est difficilement saisissable, et peu de chose permettrait de saisir une personne « glissante », qu’il devient alors vain d’essayer de comprendre. L’utilisation de ce terme pourrait également renvoyer à une impression d’inexorabilité, tout en laissant penser que le choix du patient est respecté. Pourtant, comment évaluer le choix existentiel qui s’apparenterait à un équivalent suicidaire dans ce contexte ? Il peut également y avoir un risque de culpabilisation de l’entourage, qui serait impuissant face à un équivalent suicidaire passif. Enfin, d’un point de vue clinique, l’un des risques les plus importants est probablement le risque de bloquer la question ouverte de la caractérisation psychopathologique, sémiologique et clinique du patient, et ainsi de passer à côté d’une cause soignable sinon curable, dont la prise en charge est par ailleurs codifiée.

Quelques cas cliniques de « syndrome de glissement »

La notion de syndrome de glissement reste malgré tout encore relativement utilisée dans certains milieux gériatriques et il est possible de décrire plusieurs cas cliniques rencontrés en pratique récente où la notion est évoquée par un médecin ou un personnel soignant. En voici trois exemples qui nous semblent assez représentatifs.
Mme M, 80 ans, est hospitalisée en soins de suite et rééducation pour un maintien à domicile difficile après une chute. Elle est célibataire, sans enfant, a comme antécédent principal une hypertension artérielle et n’a pas d’antécédent psychiatrique connu. Deux semaines après son admission, elle manifeste un refus alimentaire, expliquant que « ça ne passe pas, ça reste bloqué ». Les investigations de la sphère oto- rhino-laryngée, digestive et stomatologique ne semblent pas expliquer ce « blocage ». Les évaluations ne retrouvent pas de signe clinique pour une dépression caractérisée ou pour un trouble neurocognitif majeur. En réalité, les entretiens sont assez difficiles, l’expression verbale est pauvre, la patiente parle essentiel- lement de son transit et de son « blocage ». L’évolution est défavorable pendant plus d’un mois, avec perte de poids, repli et opposition. Un syndrome de glissement est évoqué. En réalité, après plusieurs entretiens psychiatriques et plusieurs hésitations cliniques, la présence d’hallucinations cénesthésiques est mise en évidence. Finalement, la mise en place d’un traitement antipsychotique améliore de façon spectaculaire le refus alimentaire et l’évolution générale de la patiente, qui continue à se porter convenablement après plusieurs années.
Le diagnostic de syndrome de glissement étant évoqué par son médecin traitant, Mme S, 88 ans, est admise dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Elle est mariée, a deux filles ; elle a peu d’antécédents médicaux et est traitée actuellement par un antidépresseur, l’escitalopram. Son mari, interrogé, déclare explicitement que, pour lui, « son épouse se laisse mourir et qu’il ne voit pas en quoi cela pose problème car il faut bien mourir un jour ». L’EHPAD met en place des stratégies de stimulation, se pose la question d’un hôpital de jour géronto-psychiatrique et demande une évaluation psychiatrique. Au terme de l’entretien psychiatrique, le diagnostic de dépression sévère avec symptômes mélancoliques est retenu. Le changement d’antidépresseur pour la venlafaxine et le lithium permet une évolution favorable du « syndrome de glissement », la patiente critiquant notamment explicitement ses idées de « se laisser mourir ». Elle rentre finalement à son domicile, ayant complètement retrouvé son autonomie, avec un accompagnement familial.
Une évaluation cognitive est demandée pour Mme T, 75 ans, suivie en psychiatrie pour un trouble bipolaire, avec plusieurs hospitalisations en clinique depuis 15 ans. Le tableau clinique pourrait être compatible avec un syndrome de glissement. Néanmoins, après une série d’évaluations et d’examens complémentaires, le diagnostic de dégénérescence lobaire fronto- temporale est retenu, l’apathie caractérisée notamment par une perte de motivation sévère dominant le tableau clinique. L’évolution est progressivement défavorable, avec un refus alimentaire et une clinophilie. Un accompagnement médical et paramédical est proposé, sans hypermédicalisation et selon des recommandations codifiées.

Quelle conduite à tenir ?

Devant un tableau compatible avec le diagnostic de syndrome de glissement, la première chose à faire est certainement la remise en question de ce diag- nostic. Il faut rechercher systématiquement au moins les trois diagnostics illustrés dans nos cas cliniques (v. supra) :
– un épisode dépressif caractérisé plus ou moins sévère et plus ou moins atypique, comme cela peut être le cas chez le sujet âgé ;
– un processus délirant et en parti- culier des hallucinations cénesthésiques pouvant soit être isolées, soit entrer dans le cadre d’un trouble psychiatrique (trouble délirant, schizophrénique, de l’humeur) et/ou d’une maladie neurodégénérative comme la maladie à corps de Lewy, par exemple, où les hallucinations cénesthésiques ne sont pas rares ;
– une apathie, éventuellement secondaire à une maladie neurodégéné- rative (et/ou cérébrovasculaire) comme la maladie d’Alzheimer dont c’est l’un des symptômes psycho- comportementaux le plus fréquent ou une dégénérescence lobaire fronto-temporale par exemple. Une iatrogénie ou un trouble ionique peuvent également être à l’origine de l’apathie, dont la clinique, les causes et le traitement ont fait l’objet de recommandations de la Haute Autorité de santé en 2014.5
Comme le rappelaient les auteurs des descriptions initiales du syndrome de glissement, l’évocation de ce syndrome ne doit pas empêcher une enquête étiologique rigoureuse. En règle générale, il est possible de se passer de cette notion lorsqu’il s’agit de faire une évaluation clinique de son patient. Si aucune cause évidente au comportement n’a été retrouvée malgré les évaluations répétées de plusieurs confrères de spécialités différentes et la mise en œuvre d’une série d’examens complémentaires (les lésions cérébrovasculaires sont une cause fréquente d’apathie chez le sujet très âgé, sans nécessairement de troubles moteurs par ailleurs, par exemple), la question du « désir de mort » du patient pourrait être évoquée, par exemple dans une approche systémique, sans qu’il ne s’agisse d’une question uniquement réservé au champ médical, qui peut donc certainement faire l’économie de la notion de syndrome de glissement.

À NE PAS UTILISER

La notion de syndrome de glissement est en réalité assez mal définie, ambiguë et surtout à risque de contre- attitudes, d’évitement et d’accompagnement minimal. Le recours à cette notion nous semble finalement à éviter lorsqu’il s’agit de faire un diag- nostic médical, également parce qu’elle est à risque de fermer toute discussion diagnostique et théra- peutique, dans des situations où, au contraire, il convient de laisser ouverte la possibilité de mettre en évidence des troubles psychiatriques et neurologiques atypiques, ou même des dynamiques systémiques pathologiques. Le recours à d’autres notions cliniques, moins ambiguës et davantage validées, est certainement plus prudent. Ne pas utiliser la notion de syndrome de glissement n’empêche par ailleurs aucunement la possibilité de s’interroger sur le désir de mourir du sujet très âgé, questionnement ouvert qui dépasse certainement le champ unique de la médecine. 
Références
1. Carrié J. Étude sur les modes de décès des vieillards à l’hospice. Clermont-Ferrand : thèse de médecine, 1956.

2. Delomier Y. Les effets somatiques de la crise et le syndrome de glissement. Psychol Med 1985;17:1111-5.

3. Weimann Péru N, Pellerin J. “Syndrome de glissement”: clinical description, psychopathological models, and care management. Encephale 2010;36:D1-6.

4. Mahgoub N, Klimstra S, Kotbi N, Docherty JP. Self-injurious behavior in the nursing home setting. Int J Geriatr Psychiatry 2011;26:27-30.

5. Haute Autorité de santé. Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : diagnostic et prise en charge de l’apathie. Recommandations de bonne pratique, HAS 2014. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/2EdlOE3

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Résumé Le syndrome de glissement

Le syndrome de glissement est une notion controversée qui est parfois encore utilisée en pratique clinique dans certains milieux gériatriques français quoique ne faisant pas partie des nosographies internationales et n’ayant pas fait l’objet de validations fondées sur les preuves. Certains auteurs lui trouvent une pertinence clinique, d’autres estiment que son utilisation comporte certains risques. La pratique clinique et les quelques données d’évidence sur les comportements relatifs au syndrome de glissement tendent à suggérer que la clinique de ce syndrome s’intègre généralement dans d’autres troubles caractérisés comme l’apathie, la dépression ou les délires. Les risques liés à l’utilisation de l’expression « syndrome de glissement » comprennent notamment le risque de bloquer la discussion diagnostique, clinique et thérapeutique. De façon générale, il semble possible de faire l’économie de la notion de syndrome de glissement dans la pratique clinique, ce qui n’empêche par ailleurs aucunement la possibilité de s’interroger sur le désir de mourir du sujet très âgé.