Depuis 50 ans, une baisse de la qualité du sperme, qui s’accélère depuis les années 2000, a été documentée dans plusieurs pays. L’exposition aux ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables pourrait-elle y contribuer ? C’est ce que suggère une nouvelle étude suisse.

De nombreux travaux mettent en évidence une tendance globale de déclin des paramètres spermatiques ces dernières décennies. Selon une vaste méta-analyse récente, la concentration moyenne des spermatozoïdes a diminué considérablement entre les années 1970 et aujourd’hui, passant de 101 millions/mL à 49 millions/mL (déclin de 1,16 % par an, plus prononcé dans les pays du Nord : 1,25 % par an). Le nombre total de spermatozoïdes a, quant à lui, connu une baisse globale de 62 % sur la même période. De plus, cette tendance semble s’être accélérée au XXIe siècle : 2,64 % par an depuis 2000.

Les causes de ce déclin ne sont pas claires. Divers facteurs environnementaux et liés au style de vie ont été évoqués, mais leur rôle n’a pas été bien étudié : tabagisme, consommation d’alcool, obésité, expositions à certaines substances (perturbateurs endocriniens…), etc.

L’utilisation des téléphones portables fait aussi partie des hypothèses, par les potentiels effets délétères des champs électromagnétiques de radiofréquence émis par ces appareils. Les téléphones portables transmettent en effet des radiofréquences de faible énergie (entre 450 et 2 700 MHz), hormis lorsqu’ils sont éteints ou en mode avion. Certaines études sur de souris ou in vitro avec du sperme humain ont suggéré que ces radiofréquences peuvent affecter les paramètres spermatiques, mais ces résultats ne permettent pas de conclure sur leurs effets in vivo sur l’homme. Par ailleurs, les études observationnelles investiguant le lien entre l’utilisation des téléphones portables, la qualité du sperme et la santé reproductive sont limitées ; la plupart d’entre elles sont sujettes à des biais de recrutement car menées sur des populations consultant pour infertilité.

Pour la première fois, une vaste étude avec un échantillon représentatif de la population générale a été publiée. Elle a été conduite en Suisse sur de 2 886 hommes âgés de 18 à 22 ans, recrutés à l’occasion du service militaire entre 2005 et 2018.

Les participants ont fait l’objet d’une analyse transversale, dans laquelle ils donnaient un échantillon de sperme et complétaient un questionnaire sur leur santé et leur style de vie. Ils y renseignaient le temps qu’ils passaient à utiliser leur téléphone portable et l’endroit où ils le plaçaient lorsqu’ils ne l’utilisaient pas. L’association entre l’exposition au téléphone et des paramètres spermatiques (concentration, nombre total de spermatozoïdes, motilité et morphologie) a été estimée grâce à plusieurs modèles statistiques, en ajustant pour des facteurs tels que l’IMC, le tabagisme du participant ainsi que celui de sa mère pendant la grossesse, la consommation d’alcool et le niveau socioéducatif.

Résultats : une utilisation fréquente du téléphone portable (> 20 fois/jour) était associée à une plus faible concentration de spermatozoïdes et à un nombre total plus bas de ces derniers, par rapport à une utilisation très peu fréquente (< 1 fois/semaine). Ceci se traduisait par une augmentation de jusqu’à 30 % du risque d’avoir des valeurs inférieures à celles de référence pour un homme fertile (établies par l’OMS). Ce risque était respectivement augmenté de 30 % et de 21 % pour la concentration et pour le nombre des spermatozoïdes. En revanche, aucune association significative n’a été observée pour leur motilité et leur morphologie. L’emplacement du téléphone au repos n’était pas associé à un déclin plus marqué des paramètres spermatiques dans cet échantillon.

Par ailleurs, la relation observée entre l’utilisation du téléphone portable et une diminution de ces paramètres spermatiques était plus prononcée durant les deux premières années de l’étude (2005 - 2007, soit avant l’introduction des smartphones) et s’atténuait progressivement avec le temps. D’après les auteurs, cette tendance est cohérente avec les avancées technologiques (transition de la 2G vers la 3G puis la 4G), puisque les téléphones 3G émettent en moyenne des niveaux 100 à 500 fois plus bas de radiofréquences que les téléphones 2G (toutefois, les smartphones modernes sont plus actifs en mode veille que leurs prédécesseurs). De plus, soulignent-ils, l’amélioration et l’extension du réseau de couverture téléphonique dans les années à venir aura probablement pour conséquence une diminution de la puissance d’émission des téléphones.

Parmi les hypothèses pour expliquer ces associations : l’effet thermique induit par l’exposition aux radiofréquences émises par les téléphones. Lorsque ceux-ci émettent à leur puissance maximale, ils peuvent entraîner un réchauffement local du tissu de jusqu’à + 0,5 °C, or un tel phénomène dans les tissus testiculaires pourrait entraver la spermatogenèse. Un effet indirect dans la qualité du sperme, par l’altération de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, a aussi été évoquée.

Davantage d’études sont nécessaires, d’une part pour mieux comprendre les éventuels effets de ces expositions sur la fertilité humaine – notamment des études prospectives –, et d’autre part pour en comprendre les mécanismes.

Pour en savoir plus
Rahban R, Senn A, Nef S, et al. Association between self-reported mobile phone use and the semen quality of young men. Fertility and Sterility 31 octobre 2023.