La douleur chronique touche une personne sur cinq en France. Si les antidépresseurs sont souvent prescrits pour leur activité antalgique (indépendamment de leur effet sur l’humeur), notamment dans les douleurs neuropathiques, les différentes molécules n’ont pas été comparées jusqu’à présent. La plus vaste méta-analyse sur le sujet vient d’être publiée dans la Cochrane.

Cette méta-analyse en réseau – qui permet de fournir des données d’efficacités relatives entre différents traitements, qu’ils aient été comparés directement ou non dans les essais – a inclus 176 essais randomisés, avec un total de 28 664 patients d’âge moyen 50,6 ans, majoritairement des femmes (68,3 %). L’objectif était d’évaluer l’efficacité de différentes classes et doses d’antidépresseurs dans l’amélioration de l’intensité et la sévérité de divers types de douleurs chroniques, ainsi que dans l’amélioration d’autres aspects liés à la douleur (qualité de vie, du sommeil, handicap physique…), et d’évaluer leur sécurité.

Les douleurs majoritairement concernées étaient la fibromyalgie (59 études), les douleurs neuropathiques – dont neuropathie diabétique, polyneuropathie, douleurs dues à des lésions de la colonne vertébrale, post-chirurgicales, post-AVC… – (49 études) et musculosquelettiques (40 études). La durée moyenne des études était de 10 semaines, mesurant donc des résultats à court terme. Par ailleurs, les études excluaient les personnes ayant une dépression.

Un vaste éventail d’antidépresseurs– 25 molécules au total – était concerné : antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et de la sérotonine-noradrénaline (ISRSN), inhibiteurs de monoamine oxydase (IMAO)... Ils étaient comparés à différentes interventions selon l’étude ; lorsque le comparateur était un placebo – ce qui était le cas de la majorité des essais inclus (83) –, un autre médicament antidouleur, un autre antidépresseur ou le même antidépresseur à une autre dose, il s’agissait d’essais en double aveugle

Les auteurs ont trouvé que la majorité des études incluses (116) avaient un risque élevé de biais, tandis que 60 n’avaient, globalement, pas de risque élevé de biais malgré certaines incertitudes.

Les critères de jugement primaires étaient : un soulagement important de la douleur, défini comme la proportion de participants rapportant une réduction de la douleur d’au moins 50 % à la fin du suivi par rapport au début de l’étude (mesurée par des échelles numériques ou visuelles analogiques) ; une amélioration de l’intensité et la sévérité de la douleur ou de l’humeur des patients, mesurées tout au long de l’étude ; les effets indésirables. Les critères secondaires étaient : une réduction modérée de la douleur (amélioration > 30 %) ; une amélioration de la fonction physique – donc du handicap – des patients, de leur qualité de vie, de sommeil, etc., mesurées sur toute la durée de l’étude.

Une efficacité globalement décevante

Résultats : la duloxétine à la dose de 60 mg a montré une efficacité légère à modérée pour soulager de façon importante la douleur entre le début et la fin du suivi (OR = 1,91 ; IC95% : 1,69-2,17 ; preuves de certitude modérée) et pour en réduire l’intensité sur toute la durée du suivi (différence moyenne standardisée = - 0,31 ; IC95% : - 0,39 à - 0,24 ; niveau de preuve modéré). Dans la réduction de l’intensité de la douleur, le milnacipran à la dose de 100 mg a montré un effet modeste (DMS = - 0,22, IC95% : - 0,39 à 0,06 ; niveau de preuve modéré).

Tous les critères d’efficacité considérés, la duloxétine était, parmi tous les autres antidépresseurs, celui ayant les plus hauts scores, avec un équivalent de nombre de sujets à traiter (NST) de 7,1, et elle était la seule molécule pour laquelle les preuves étaient jugées robustes. De plus, elle était aussi efficace à la dose standard (60 mg) qu’à de plus hautes doses. Si le milnacipran apparaissait comme la deuxième molécule la plus efficace après la duloxétine, le niveau de preuve était plus bas que pour cette dernière. Pour tous les autres antidépresseurs évalués, y compris pour l’amitriptyline – pourtant souvent prescrite pour les douleurs neuropathiques –,les preuves étaient insuffisantes pour conclure sur leur efficacité dans l’amélioration des douleurs chroniques.

Par ailleurs, en ce qui concerne leur sécurité dans cette indication, les données étaient insuffisantes pour tous les antidépresseurs étudiés, ce qui empêche de tirer des conclusions sur ce point.

Enfin, concluent les auteurs, « adopter une approche personnalisée est fondamental, car la douleur est une expérience très subjective (…). Les études futures devraient se focaliser sur l’efficacité à long terme et les effets indésirables des antidépresseurs dans cette indication. »

Qu’en retenir ?

Ces résultats sont en faveur de l’utilisation d’alternatives non médicamenteuses dans le traitement de la douleur chronique. L’efficacité de l’activité physique adaptée est prouvée dans plusieurs pathologies comme la lombalgie et la fibromyalgie. Les thérapies cognitivo-comportementales, l’hypnose, la méditation de pleine conscience, les approches psychologiques sont aussi en cours d’évaluation. 

Pour les douleurs chroniques sévères neuropathiques (par exemple : douleurs postzostériennes, post-traumatiques ou postchirurgicales, lésions radiculaires chroniques par hernie discale – sciatiques ou cervicobrachialgies –, neuropathies périphériques liées au diabète...), les techniques de neuromodulation ont connu un essor spectaculaire ces dernières années, grâce aux progrès technologiques et à une meilleure compréhension de la physiologie de la douleur ; toutefois, la plupart ne sont disponibles en France que dans des centres spécialisés dans la douleur chronique, voire sont encore peu développées ou non remboursées.

Enfin, attention toutefois à ne pas donner des messages alarmants sur les antidépresseurs aux patients : le sevrage brutal peut avoir des effets dangereux. 

Pour en savoir plus
Birkinshaw H, Friedrich CM, Cole P, et al. Antidepressants for pain management in adults with chronic pain: a network meta‐analysis. Cochrane library 2023;5:1465-858.

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