Chez l’enfant, le diagnostic de fatigue (évoqué le plus souvent par les parents) est difficile. Elle est le plus fréquemment isolée et liée à une cause environnementale.
Définir la fatigue est difficile. Le symptôme est un motif fréquent de consultation chez l’adulte qui a des expressions directes pour l’exprimer : « Je suis épuisé, éreinté, fourbu, harassé ». L’expression « fatigué » est assez rare chez l’enfant alors que le motif fatigue est souvent mis en avant par les parents. On distingue dans les définitions classiques 4 termes différents :
– la fatigue est physiologique, c’est une baisse des performances induite par l’effort et réversible par le repos ;
– la fatigabilité est l’apparition précoce de la fatigue à l’effort ;
– l’asthénie (terme plus médical) est une fatigue pathologique, durable, insensible au repos ;
– le terme « fatigue chronique » s’applique à une situation a priori pathologique ou le symptôme dure plus de 6 mois.1, 2
L’évaluation de la gravité et du retentissement de la fatigue est également difficile. Il n’existe pas de « thermomètre de la fatigue ». Son évaluation fait partie des questionnaires de qualité de vie des maladies chroniques. Un questionnaire de fatigue chez l’enfant sportif (QFES) a été mis au point, avec un score correspondant aux conséquences de ce symptôme :3 performance sportive, symptômes douloureux, appétit et sommeil, motivation, attention et concentration, comportement relationnel, confiance et anxiété. Il n’a été validé que dans les conditions « enfant sportif » mais pourrait être appliqué plus largement.

Des expressions différentes selon l’âge

Si le terme fatigue est peu utilisé par l’enfant lui-même, la symptomatologie indirecte est mise en avant par les parents avec des expressions différentes selon l’âge.4
Le nourrisson et l’enfant jeune peuvent manifester une fatigue à l’effort : difficulté de succion et d’alimentation, somnolence, baisse d’activité. Mais très souvent la fatigue se traduit par des symptômes paradoxaux : agitation non calmée par le repos, pleurs incontrôlables, difficultés de sommeil.
Chez l’enfant d’âge scolaire, les expressions principales de la fatigue sont en lien avec la scolarité : baisse du rendement scolaire et de la motivation, refus de scolarité, repli, refus d’activité physique. Une symptomatologie fonctionnelle est souvent associée : douleur abdominale, céphalées de tension, insomnie, etc.
À l’adolescence, l’expression directe de la fatigue est plus fréquente. La symptomatologie d’accompagnement est riche : lassitude globale, somnolence diurne, atonie, anorexie et inversion des rythmes.
À tout âge, fatigue et dépressivité voire dépression peuvent avoir les mêmes expressions cliniques.

Éliminer une pathologie évolutive organique

C’est une priorité pour répondre à l’inquiétude des parents.1 Les causes organiques des fatigues de l’enfant sont plus rares que les causes environnementales et psychologiques. Elles sont en principe de diagnostic facile.

Des signes associés

La plupart des causes organiques sont évoquées sur des conditions particulières associées à la fatigue :
– l’âge car ce symptôme est plus souvent révélateur de pathologie organique chez le nourrisson, mais cela doit être pondéré par le degré plus élevé d’inquiétude parentale ;
– le début brutal, la durée, l’association à des signes évocateurs de pathologie : fièvre, arthralgie, anorexie, myalgies et douleurs musculaires, perte de poids (grand intérêt de la courbe staturo-pondérale) ;
– et, bien sûr, des anomalies de l’examen clinique (indispensable).
De nombreuses pathologies organiques peuvent entraîner une fatigue pathologique. Les pathologies aiguës sont principalement infectieuses : infections respiratoires, hépatites. Certaines ont une réputation particulière d’association à ce symptôme : mononucléose (virus d’Epstein-Barr), cytomégalovirus, suites d’infections pulmonaires à mycoplasme, tuberculose. La fatigue fait aussi partie de la convalescence des maladies aiguës chez l’enfant comme chez l’adulte !
La plupart des maladies chroniques peuvent être associées à la fatigue ; ce symptôme n’est jamais isolé dans ces pathologies.
Les myopathies peuvent avoir comme seul symptôme une fatigabilité musculaire. On doit rechercher une hypertrophie ou une atrophie musculaire, une anomalie de la marche (impossibilité ou marche sur la pointe des pieds), des myalgies. Le dosage de la créatine phosphokinase sérique associé parfois à l’électromyogramme et l’imagerie par résonance magnétique musculaire permettent de préciser le diagnostic.
La fatigue peut être liée aux pathologies cardiaques de l’enfant. La notion de fatigue est alors associée à une dyspnée d’effort.
L’anémie, en particulier ferriprive, est un facteur classique de fatigue de l’enfant et de l’adolescent. Beaucoup d’autres pathologies métaboliques, cancéreuses, endocrinologiques (insuffisance surrénale) comportent ce symptôme. Les signes associés sont généralement très évocateurs.
Les apnées au cours du sommeil (SAOS) peuvent être révélées par une fatigue isolée. Elles sont obstructives en relation avec une hypertrophie amygdalienne.

Faut-il pratiquer systématiquement un bilan ?

Il n’y a pas de bilan type. La plupart des pathologies organiques sont évoquées sur l’anamnèse, les signes associés et l’examen clinique.1, 2, 4
Des examens complémentaires peuvent se discuter suivant les cas et la gravité ressentie (tableau 1).

Fatigue et sport

La pratique sportive est très fréquente chez l’enfant, dans la plupart des cas parfaitement supportée, et semble même un facteur préventif de fatigue.3 Certains pratiquent des activités sportives intenses avec des difficultés de récupération et un risque d’accident traumatique ou d’épuisement. Cela a amené à la proposition d’une évaluation objective, le questionnaire de fatigue de l’enfant sportif (QFES). Dans l’évaluation initiale, les auteurs ont signalé que l’élément le plus souvent signalé par les enfants sportifs fatigués étaient les troubles du sommeil. Les conséquences préventives proposées sont la surveillance particulière du sommeil et de l’alimentation de ces enfants. La proposition chez l’enfant d’une limitation à 10 heures maximum par semaine de pratique sportive est pourtant rarement respectée dans le cadre d’entraînements intensifs.3

Fatigue, rythmes et sommeil

La fatigue de l’enfant est le plus souvent en « relation avec des perturbations du rythme de vie ».1 Plusieurs facteurs se superposent: les contraintes familiales, la scolarité, les activités extrascolaires, le sommeil. On constate pour tout cela d’importantes variations individuelles et temporelles parfois influencées par des facteurs psychologiques.
Les contraintes familiales peuvent être un facteur de fatigue par l’impossibilité du respect des rythmes biologiques pour des raisons professionnelles compréhensibles: lever précoce du nourrisson ou du petit enfant, récupération dans un moment de repos, longs trajets, etc.
La scolarité ne semble pas le facteur le plus important de fatigue de l’enfant. Des polémiques importantes ont porté sur le rythme scolaire sans finalement de base scientifique fiable pour un choix. L’inadaptation des rythmes scolaires est plutôt un facteur de fatigabilité qui peut gêner l’apprentissage.
Les activités extrascolaires, en particulier de fin de journée, peuvent être un facteur de fatigue. Certains enfants sont manifestement en « surrégime » ne laissant pas de place à la récupération par l’inactivité.
La récupération de la fatigue physiologique se fait particulièrement pendant les temps de sommeil. De larges variations des besoins de sommeil existent selon l’âge et les individus. On peut retenir cependant qu’aucun enfant ne devrait dormir moins de 10 heures par jour.5
Pour les plus jeunes, le temps de sommeil est important et la récupération se fait par le sommeil nocturne mais aussi par les siestes qui doivent être respectées. La plupart des enfants font encore de siestes pendant les deux premières années de l’école maternelle, certains plus tard. L’adaptation du sommeil est sous la dépendance de facteurs environnementaux et aussi psychologiques, en particulier l’angoisse de séparation pour les jeunes enfants.
Les conditions de sommeil inadaptées : promiscuité, précarité, vie dans la rue sont bien sûr également des facteurs de fatigue et de difficultés de santé chez l’enfant.

Fatigue et écrans

Le mésusage des écrans est un facteur de plus en plus mis en cause dans la fatigue des enfants et des adolescents. Le rapport 2019 de l’Académie des sciences alerte sur ce sujet.6 Le temps d’écran en cas de surutilisation est pris sur le temps de sommeil mais aussi sur le temps de récupération sans activité comme cela a été évoqué pour le sport. « Une attention particulière doit être portée à l’utilisation des écrans le soir avant le coucher, tant en raison du temps consommé au détriment d’autres activités que pour la difficulté d’endormissement ainsi créée. »
Au cours d’une consultation pour fatigue, un mésusage des écrans doit être systématiquement recherché.

Fatigue et adolescence

De nombreux adolescents se plaignent d’être fatigués : 20 % des filles et 6 % des garçons.7 Près de la moitié d’entre eux se lèveraient fatigués ! L’analyse de l’anamnèse et l’examen clinique comme chez l’enfant plus jeune doivent éliminer une pathologie organique.
Plusieurs spécificités ont été remarquées. L’accompagnement par des symptômes dits « flous » est très fréquent : céphalées, douleurs dont céphalées et douleurs abdominales, anorexie, malaises. L’adolescent fatigué est apathique, replié, en baisse d’activité. Plusieurs pistes d’explication sont proposées. La première concerne les difficultés de sommeil : 30 % des adolescents seraient en dette de sommeil. En 30 ans, ils auraient perdu 2 heures de sommeil ! La relation avec la consommation d’écrans semble évidente, accentuant chez eux le syndrome de retard de phase : endormissement tardif, réveils nocturnes, décalage non récupérateur du réveil.
La carence martiale liée aux ménarches pourrait expliquer aussi l’importance du symptôme fatigue chez les adolescentes.
La sensation de fatigue peut être la révélation de difficultés psychologiques (v. infra).

Fatigue et dépression

La fatigue fait partie des signes ou des conséquences de la dépression à tout âge. La dépression est possible mais rare chez l’enfant, plus fréquente chez l’adolescent. Le diagnostic se fait chez l’enfant sur l’association d’une tristesse/inhibition, de dévalorisation, d’anxiété et parfois d’agitation paradoxale. Les symptômes fonctionnels peuvent être au premier plan : douleurs abdominales, céphalées, troubles du sommeil, difficultés alimentaires. Chez l’adolescent, les symptômes précédents peuvent s’associer à un désinvestissement, une indifférence, des conduites à risque, en particulier de consommations. Les idées suicidaires et les tentatives de suicide sont aussi des expressions possibles de la dépression à tous les âges. Les symptômes d’alerte suicidaire doivent être recherchés associés à la fatigue, particulièrement à l’adolescence.8
Chez l’enfant et l’adolescent, il convient également de rechercher des facteurs de risque dépressifs familiaux et environnementaux : antécédents de maltraitance, ruptures familiales, harcèlements, répétition d’événements traumatiques.

Syndrome de fatigue chronique

Il s’agit d’une pathologie rare et discutée chez l’enfant, plus fréquente à l’adolescence. Il se caractérise par une fatigue intense, prolongée (plus de 6 mois), à début brutal, non influencée par le repos. Aucune cause n’est retrouvée. Le contexte psychologique n’évoque pas une dépression. D’autres symptômes sont associés tels des douleurs articulaires et musculaires, des difficultés de mémorisation, des troubles du sommeil. L’origine est très discutée pour cette symptomatologie aux contours flous : hypothèse infectieuse ? analogie avec la fibromyalgie ? anomalie musculaire ? participation psychologique ? Le pronostic semble (contrairement aux adultes) bon, avec une disparition des symptômes en 12 à 18 mois.3

Une analyse en 5 étapes

Nous proposons une démarche en 5 étapes (tableau 2). Au terme de cette analyse, on constate que la fatigue de l’enfant et de l’adolescent, lorsqu’elle est isolée, est le plus souvent liée à des inadaptations environnementales, en particulier des rythmes imposés et du sommeil, parfois accompagnées de difficultés psychologiques. Il n’existe pas de traitement spécifique de la fatigue en dehors des traitements rares des causes (carence martiale, par exemple). 
Références
1. Valleteau de Mouliac J. L’Enfant fatigué. In : Guide pratique de la consultation pédiatrique. Paris : Masson, 2018.
2. Bourrillon A, Arsan A. L’enfant fatigué. Arch Pediatr 2002;9(suppl 2):203-7.
3. Bricout VA, Favre-Juvin A. Utilisation du questionnaire de fatigue chez de jeunes enfants sportifs : effets de l’activité sportive, de l’âge et du sexe. Arch Ped 2006;13:1572-80.
4. Bourrillon A. Fatigue de l’enfant : un mot pour des maux. Pédiatrie pratique, février 2015. www.pediatrie.com
5. De Leersnyder H. Fatigue de l’enfant : quand évoquer un trouble du sommeil ? Pédiatrie pratique, février 2015 www.pediatrie.com
6. Académie des sciences. L’enfant, l’adolescent, la famille et les écrans : appel à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques, avril 2019. www.academie-sciences.fr ou http://bit.ly/2Mh24mO
7. Wolbeeck M, Van Doornen LJ, Kavelaars A, et al. Severe fatigue in adolescents: a common phenomenon. Pediatrics 2006;117:e1078-e1086.
8. Haute Autorité de santé. Manifestations dépressives à l’adolescence. Recommandation de bonne pratique, HAS 2014. http://bit.ly/35xpgoj

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Résumé

La fatigue de l’enfant est difficile à définir et évaluer. C’est un motif fréquent d’inquiétude parentale et de consultation. Les expressions de la fatigue sont variables selon les âges. Une origine organique doit être recherchée. Elle est rarement retrouvée lorsque le symptôme est isolé. Le plus souvent, l’origine de la fatigue de l’enfant et de l’adolescent est environnementale, liée aux conditions de vie. L’analyse doit porter sur les contraintes familiales, les conditions de sommeil, l’utilisation des écrans, les activités scolaires et extrascolaires. Une origine psychologique doit être recherchée, particulièrement un syndrome dépressif.