Une maladie de plus en plus présente
La leptospirose est une zoonose causée par des spirochètes du genre Leptospira, dont les réservoirs sont les rongeurs (rats) mais aussi les chiens, les porcs et d’autres mammifères (renards, ragondins, chevaux, bovins…). La plupart sont porteurs asymptomatiques : ils hébergent les leptospires dans les tubules rénaux et les éliminent dans les urines.
Elle se transmet par contact avec de l’eau, de la terre ou des aliments contaminés par de l’urine d’animaux infectés. L’inoculation a lieu à travers une effraction cutanée ou muqueuse, ou une peau saine mais ramollie par un séjour prolongé dans l’eau. La bouche, le nez ou les yeux peuvent être des portes d’entrée. La contamination est aussi possible par morsure ou léchage par un animal. Les populations à risque sont notamment celles pratiquant des sports nautiques en eau douce et certains professionnels (égoutiers, jardiniers, aquaculteurs, agriculteurs, vétérinaires). Il n’y a pas de transmission interhumaine.
Si cette maladie cosmopolite a une prédominance tropicaleson incidence en France a augmenté ces dernières années : le nombre de cas est passé de 300/an à environ 600 à 700 cas/an depuis 2014, soit une incidence d’environ 1 cas pour 100 000 habitants par an en métropole ; les taux d’incidence sont 10 à 80 fois plus élevés dans les départements d’outre-mer. Selon Santé publique France, ces chiffres sont probablement sous-estimés, l’exhaustivité du réseau permettant de les estimer n’étant pas connue.
Bien que les raisons de cette progression récente soient multiples et encore à élucider, elles sont probablement liées au réchauffement climatique – hivers plus doux favorisant la pullulation des rongeurs-réservoirs ; inondations mettant en contact mammifères et humains avec des eaux contaminées, etc. – et à l’augmentation des activités à risque.
C’est pourquoi la leptospirose est désormais une maladie à déclaration obligatoire (MDO). Elle a été ajoutée de nouveau à cette liste en août 2023 – elle n’y figurait plus depuis 1986 – pour, d’une part, mieux identifier les cas groupés et mettre en place les mesures adaptées ad hoc (fermeture d’accès aux cours d’eau, dératisation…), et d’autre part mieux connaître son épidémiologie, évaluer son poids en matière de morbimortalité et caractériser les populations à risque pour cibler les interventions de santé publique.
Quels risques pendant les JO 2024 ?
Les épreuves aquatiques des Jeux olympiques et paralympiques auront lieu sur deux sites de la région Île-de-France :
- dans la Seine, au pied de la Tour Eiffel dans Paris intra-muros pour la natation marathon et le paratriathlon ;
- dans le bassin nautique de Vaires-sur-Marne pour l’aviron, le para-aviron, le canoë-kayak et le para-canoë-kayak.
Cela expose les athlètes et les professionnels associés au risque de contracter une leptospirose, compte tenu de la présence d’un réservoir important de rongeurs asymptomatiques sur les berges. Dans Paris intra-muros, la population de rats bruns (Rattus norvegicus) est deux fois plus importante que celle d’habitants humains en raison des égouts. Quant au bassin nautique de Vaires-sur-Marne, la présence de ragondins (Myocastor coypus) a été constatée dans le canal de Chelles qui longe le bassin olympique et dans la partie sud de celui-ci. De plus, des événements hydrologiques exceptionnels peuvent augmenter le risque : si l’été est sec, un étiage très bas conduirait à une densité élevée de leptospires (forte évaporation et faible arrivée d’eau).
La contamination humaine pourrait avoir lieu non seulement dans le cadre des épreuves mais aussi, avertissent les experts, lors de la cérémonie d’ouverture des JO sur la Seine (les participants pouvant être exposés à des projections de gouttelettes).
Quelles mesures de prévention ?
Outre leurs recommandations à l’égard des pouvoir publics et des autorités de santé et sportives – telles que la mesure régulière des concentrations de leptospires dans les eaux des sites olympiques, le piégeage des rongeurs et la diffusion de messages préventifs sur le risque de leptospirose par le Comité médical olympique, etc. –, les académies soulignent notamment la nécessité de mieux informer les professionnels de santé pour réduire le risque de diagnostics tardifs.
L’évoquer devant un syndrome pseudogrippal
Étant donné que cette maladie est encore rare en France métropolitaine, les soignants sont peu informés sur ces caractéristiques, ce qui peut engendrer un retard au diagnostic ou un risque de méconnaître les cas graves. Les académies ont donc souligné la nécessité de mieux informer les médecins généralistes et les pharmaciens d’officine sur le risque encouru par les athlètes des JO et les personnels associés.
La gravité de la maladie dépend de l’importance de l’inoculum, variant de la forme inapparente à la défaillance multiviscérale mortelle. En fonction des organes atteints, les symptômes sont très variés, rendant le diagnostic difficile. La période d’incubation est de 6 à 14 jours.
La forme pseudogrippale est la plus fréquente : fièvre à 39 °C, frissons, céphalées, myalgies. L’examen clinique note une hépatomégalie douloureuse et une hémorragie conjonctivale. Sans traitement, la fièvre régresse spontanément, mais des troubles neurologiques et oculaires (uvéite) sont possibles. On peut aussi observer un ictère fébrile « flamboyant » (associant une vasodilatation cutanée avec une teinte jaunâtre), dont la gravité dépend de l’atteinte hépatique et rénale (hépatonéphrite), ou des manifestations hémorragiques.
En l’absence de pathologie sous-jacente et si le traitement est débuté précocement, l’évolution est le plus souvent favorable et sans séquelles, mais la maladie peut être sévère en l’absence de traitement – elle peut conduire à l’insuffisance rénale, voire à la mort dans 5 à 20 % des cas.
L’antibiothérapie doit être précoce
S’il est inutile de recourir à une antibioprophylaxie par administration de doxycycline avant l’exposition au risque, car elle s’est montrée inefficace, la vigilance dans le mois suivant l’exposition est de mise : les personnes ayant des signes évocateurs dans cet intervalle doivent réaliser un test diagnostique (par PCR) afin de recevoir un traitement antibiotique adapté le plus précocement possible, pendant 10 jours, associé à des traitements symptomatiques selon l’organe atteint :
- dans les formes bénignes, des cyclines (doxycycline) ou des macrolides (azithromycine) par voie orale sont employées ;
- dans les formes graves, des bêtalactamines par voie intraveineuse sont nécessaires (pénicilline G, ampicilline, ceftriaxone ou céfotaxime) ; la forme ictérohémorragique nécessite une hospitalisation en réanimation.
Jusqu’à présent, aucune résistance au traitement n’a été décrite.
Quid du vaccin ?
Les académies ont recommandé aux autorités d’analyser la pertinence de la vaccination pour les sportifs exposés au risque. La prévention individuelle, qui repose sur le port de vêtements de prévention (combinaisons, bottes, gants, lunettes) et le fait d’éviter le contact des plaies cutanées avec l’eau, est en effet illusoire pour les athlètes.
Le seul vaccin humain disponible en France est le Spirolept, mis au point par l’Institut Pasteur en 1970 et actif contre L. ictero-haemorrhagiae, sérovar le plus répandu (environ un tiers des cas) et responsable des formes les plus graves de la maladie. Il est aujourd’hui réservé aux professions à risque (égoutiers, éboueurs…) et aux personnes pratiquant régulièrement des sports à risque après évaluation individuelle par un médecin.
Schéma vaccinal : 2 injections à 15 jours d’intervalle, un rappel à 6 mois puis tous les 2 ans. En dehors du cadre professionnel, cette vaccination n’est pas prise en charge par l’assurance maladie, et le vaccin est onéreux.
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Nobile C. Bactéries, parasites, amibes… la baignade en eau douce n’est pas sans risque. Rev Prat (en ligne) 16 août 2022.