Les 1 000 premiers jours de l’enfant (du 4e mois de grossesse aux 2 ans) sont une période essentielle pour son développement et sa construction. Une commission d’experts a élaboré un rapport avec des propositions pour une politique de prévention. L’entretien pré-conceptionnel devient obligatoire : qu’en penser ? quels enjeux, en pratique ?

 

Le « Rapport des 1 000 jours »*, rendu le 8 septembre 2020, est le fruit du travail des 18 experts de la Commission éponyme mise en place par le président de la République un an plus tôt. 

Le rapport considère l’enfant lui-même mais aussi son environnement, car, pour se construire solide, le petit d’Homme a besoin d’un socle sécurisant et bienveillant. Sans cela, toute son énergie est consacrée à rechercher la sérénité ; il ne pourra pas être disponible pour explorer. Les stimulations ne suffisent donc pas : elles sont vaines pour un enfant non psychiquement sécurisé et disponible.

J’ai choisi aujourd’hui de me pencher sur l’une des propositions du rapport : un entretien pré-conceptionnel pour tout couple ayant un projet de grossesse.

 

Recevoir les informations propices à une grossesse choisie et apaisée 

Les 1 000 jours considérés ne recouvrent donc pas la période pré-conceptionnelle. Pourtant la commission sait bien qu’elle constitue un fondement : « Il serait souhaitable de mettre en place un programme national de promotion de la santé dès la période pré-conceptionnelle afin d’offrir le soutien nécessaire face à une exposition croissante à des modes de vie et un environnement à risque. »

C’est en effet un moment propice à évoquer et prévenir les potentielles complications de la grossesse et les difficultés parentales éventuelles. Et si les inégalités sont évidentes au moment de la naissance, elles sont déjà inscrites dans la période qui voit émerger le projet d’enfant.

Et il paraît essentiel de considérer précocement les risques physiques, psychiques et sociaux des futurs parents et de leur futur enfant à court, moyen et long terme.

 

Un peu d’histoire…

Depuis 2005, la HAS recommande la réalisation d’un entretien prénatal précoce (EPP) au 4e mois de grossesse, pris en charge à 100 %. Cette consultation vise à repérer des vulnérabilités chez les futurs parents.

L’enquête périnatale de 2016 montre que si l’EPP est plus fréquent en 2016 qu’en 2010, il ne concerne cependant que 28,5 % des femmes/couples, avec des disparités géographiques très fortes.

Cette consultation est devenue obligatoire en mai dernier, afin que le taux de femmes concernées augmente et que les inégalités de territoire disparaissent.

Mais la construction de la parentalité se joue déjà avant la grossesse !

Jusqu’en 2008, les visites médicales pour certificats prénuptiaux étaient une belle occasion de remplir les missions de dépistages, repérages et orientations. Mais leur caractère obsolète a fait lever leur obligation : la moitié des naissances concernent en effet des couples parentaux en union libre !

Le rapport des 1 000 jours propose d’inventer une nouvelle opportunité pour les futurs parents d’être accompagnés et conseillés avant une grossesse : l’entretien pré-conceptionnel. 

 

Chaque couple est particulier !

Le parcours des 1 000 jours prétend considérer chaque situation familiale dans sa spécificité. 

Ce nouvel outil de prévention qu’est l’entretien pré-conceptionnel doit donc s’inscrire dans cette optique. Les nouvelles parentalités, la procréation médicalement assistée, les pathologies chroniques, le handicap, les maladies rares, les addictions, la vulnérabilité, la précarité… sont autant de vecteurs de vulnérabilité divers et cumulatifs.

Il est important de pouvoir les aborder au plus tôt (et donc dès la période pré-conceptionnelle), pour une grossesse, une naissance et une parentalité les plus sereines possible. Le rapport insiste notamment sur la nécessité de soutenir la transition enfant-adulte pour les futurs parents souffrant de maladies chroniques, rares ou de handicap.

 

Quels objectifs pour cet entretien ?

L’entretien pré-conceptionnel devrait permettre :

La mise en place du soutien nécessaire face à une exposition croissante à des modes de vie et un environnement à risque : 

– sensibiliser aux risques liés aux perturbateurs endocriniens et autres toxiques ;

– promouvoir une activité physique régulière ;

– prévenir le stress au travail ;

– rappeler l’intérêt d’un sommeil suffisant et de qualité.

Le dépistage et l’orientation pour prise en charge des risques médicaux et psychosociaux :

– rechercher des maladies métaboliques (diabète, HTA, obésité), héréditaires (drépanocytose, mucoviscidose, hémophilie…), endocriniennes, gynécologiques, neurologiques (épilepsie, handicap), infectieuses (toxoplasmose, VHB, syphilis, VIH, VHC, rubéole) ; des pathologies psychiatriques sous-jacentes ;

– mettre les vaccinations à jour ;

– interroger sur l’entourage familial et amical, sur les maltraitances (physiques, sexuelles, psychologiques, institutionnelles…) potentiellement vécues (actuelles ou passées), de façon systématique ;

– proposer un accompagnement social si nécessaire ;

– rechercher des conditions d’hébergement inadaptées (squat, hébergement, sur-occupation, insalubrité) et des conditions de travail difficiles (harcèlement, exposition à des risques particuliers – chutes, agents toxiques, etc. –, chômage, cumul d’emplois…).

L’information sur l’intérêt d’une alimentation équilibrée et diversifiée : 

– supplémenter en folate, en iode, en fer ;

– repérer ou prévenir le surpoids-obésité, tout désordre alimentaire ;

– orienter vers un accompagnement social en cas d’accès difficile à des denrées saines et variées.

La prévention de certains risques :

– prévenir ou prendre en charge la consommation excessive d’alcool ;

– dépister et orienter vers une prise en charge spécialisée : les consommateurs de drogues, de tabac, les patients ayant des conduites addictives (jeux d’argent, écrans, pornographie, jeux vidéo…) ou « à risque » (conduite automobile, partenaires sexuels multiples sans protection contre les IST…).

 

Qu’en penser ?

Cette initiative est 1 000 fois louable ! 

Mais, pour que cette mesure soit efficace, le préalable réside dans la formation de tous les acteurs de santé pouvant assurer cette consultation (médecins généralistes, gynéco-obstétriciens, gynécologues médicaux, pédiatres, sages-femmes au sein des PMI, sages-femmes au sein des centres de planification familiale) mais aussi dans l’information du public : en établissements d’enseignement secondaire et universitaire, en population générale, par affichage et via les réseaux sociaux… Autre point important : les professionnels de santé doivent connaître les partenaires réalisant ces entretiens, afin d’orienter efficacement les futurs parents.

 

Et en pratique ?

Le médecin de PMI que je suis revendique que cet entretien puisse :

Être proposé à tous les couples en âge de procréer : une vigilance est essentielle pour éviter que les plus vulnérables soient oubliés de cette initiative. On sait comme la vulnérabilité éloigne de l’accès aux soins et d’autant plus aux soins de prévention : la priorité est ailleurs, survivre !

Être pris en charge à 100 % pour que le coût ne soit jamais un obstacle.

Être suffisamment valorisé financièrement pour que le praticien (médecin, sage-femme) ait la possibilité d’y balayer tous les champs de la prévention.

Se dérouler en trois temps : un rendez-vous conjugal, puis un entretien individuel pour chaque partenaire. En effet, des examens complémentaires devront être prescrits et il faudra pouvoir en interpréter secondairement les résultats avec le patient. 

De plus, le secret médical prévaut évidemment sur la relation conjugale et les temps individuels de consultation restent primordiaux : on pense en particulier aux violences conjugales, sujet fondamental à aborder avec l’un et l’autre des futurs parents, séparément. Ce sujet est d’ailleurs largement développé, dans un autre chapitre du rapport, pour son impact sur le développement des nourrissons.

La prévention est trop souvent le parent pauvre de la santé, en France. Il est donc tout à fait réjouissant que l’intérêt des décideurs se porte aujourd’hui sur les fondements des générations futures. 

Je ne peux qu’espérer que la crise sanitaire actuelle (et économique attendue) ne fasse pas enterrer ce riche travail d’analyse et de proposition. 

D’autant plus que les inégalités risquent de se creuser encore du fait même de cette crise…

 

Dr Kristell Delarue, médecin de PMI (75), blogueuse et autrice (www.stethoscopeencompote.com). [Le Dr K. Delarue déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.]

 

*La « Commission des 1 000 jours » a travaillé sur 4 axes :

– élaborer un consensus scientifique sur les recommandations de santé publique concernant la période des 1 000 premiers jours ;

– construire un parcours du jeune parent plus lisible, complet, très pratique pendant cette période ;

– apporter un éclairage scientifique sur la question des congés de naissance ;

– repenser les modes de garde et le système d’accueil du jeune enfant à horizon de ses 10 ans.

Les experts font donc ici le point sur les connaissances actuelles et se font force de proposition pour une politique publique de prévention intégrant l’idée que la société de demain sera celle que bâtiront les enfants d’aujourd’hui. 

Ce discours fait écho à celui de Myriam David, pédiatre et psychiatre, lors de ce fameux symposium de Budapest de 1996 : « un corps maltraité [dénué de soins affectifs] ne peut plus penser, il devient abject et donne envie à l’autre de le mépriser » (https://youtu.be/S-20WV6VDmw). 

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