Principe de précaution et protection de l’environnement incitent à consommer « bio ». Mais quel est l’effet réel de ces produits sur la santé ?
On assiste actuellement à une profonde transition dans les comportements alimentaires des consommateurs. Alors que la modernisation de l’alimentation se traduit par une demande croissante voire exponentielle en protéines animales et en produits gras et sucrés, une partie non négligeable de la population est de plus en plus sensible à la qualité de l’alimentation dans ses diverses dimensions, qu’elles soient gustative et sensorielle, nutritionnelle ou sanitaire, comme en témoignent de multiples articles publiés dans les médias. Ainsi, depuis quelques années, assiste-t-on à une prise de conscience de plus en plus marquée au niveau sociétal du rôle de l’alimentation et des filières sur le bien-être animal, l’éthique et l’environnement à l’origine d’une évolution vers des comportements potentiellement plus durables.
L’engouement est fort pour les produits alimentaires issus de l’agriculture biologique, et les magasins spécialisés se multiplient avec une disponibilité grandissante dans les moyennes et grandes surfaces et une offre toujours plus diversifiée.1 Selon les chiffres de l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique (Agence Bio), environ 15 % de la population déclare consommer des aliments « bio » de façon quotidienne.
Ces consommateurs qui se tournent vers les produits alimentaires issus de l’agriculture biologique évoquent dans leurs motivations une qualité des produits plus en cohérence avec la santé, le bien-être animal mais aussi la préservation des ressources naturelles et un respect plus important de l’environnement. Un rapport européen récent a établi l’état des connaissances sur les conséquences de la consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique pour la santé humaine.2
Aujourd’hui, la mise en œuvre de pratiques agro- écologiques au niveau de la production n’est plus une option mais une nécessité sur le plan de la préservation des ressources naturelles. Mais pour le consommateur ? Qu’en est-il ? Il faut distinguer d’une part les propriétés potentiellement pertinentes des aliments « bio » et leurs éventuels effets sur la santé. En effet, si certaines caractéristiques peuvent différer entre les aliments produits en agriculture conventionnelle ou biologique, cela n’implique pas formellement des répercussions sur la santé humaine.

Quelle qualité comparée des aliments « bio » et conventionnels ?

Tout d’abord, il convient de distinguer les effets du « bio » induits par la présence ou l’absence de composés bioactifs. Il peut s’agir de la teneur en nutriments plus ou moins élevée ou de l’absence de certaines molécules comme les résidus de pesticides ou des métaux lourds.
Les produits alimentaires issus de l’agriculture biologique en raison du cahier des charges auquel ils doivent répondre permettent une réduction de l’exposition aux résidus de pesticides de synthèse et ont des propriétés intéressantes en termes de préservation de l’environnement (réduction de l’écotoxicité, préservation des ressources et notamment des sols, promotion de la biodiversité). Les aliments « bio » sont aussi moins riches en nitrates et en cadmium.
Par ailleurs, les bactéries résistantes aux antibiotiques sont plus souvent présentes dans les aliments d’origine animale issus de l’agriculture conventionnelle. Concernant les mycotoxines (produites par les champignons et suspectées d’être présentes en plus grande quantité dans les produits « bio » en raison de l’absence d’utilisation de fongicides), l’état des connaissances suggère, en fait, que les teneurs sont comparables entre les deux catégories de produits (« bio » et conventionnel).
Plusieurs méta-analyses3-5 d’envergure ont permis de conclure à une teneur nutritionnelle plus favorable dans les produits « bio » que dans les produits conventionnels. À l’instar des autres produits alimentaires, il faut souligner que la variabilité est très grande en fonction des espèces botaniques, de la saison, des conditions de stockage, etc.
Les produits « bio » sont souvent plus riches en matière sèche, en acides gras à bons profils (en parti- culier plus riches en oméga 3) et caroténoïdes ou polyphénols (métabolites secondaires davantage produits en l’absence de l’utilisation de produits de protection des cultures). Ils contiennent aussi moins de cadmium. Toutefois, ces différences à l’échelle des produits n’ont pas forcément de répercussion signifi- cative sur le statut nutritionnel des consommateurs. Trop peu de données à ce jour permettent d’établir un effet à l’échelle de l’individu.

Quelle conséquence d’une réduction de la teneur en pesticides ?

Toutes les études ayant testé l’impact d’un régime « bio » sur les teneurs urinaires en résidus de pesticides ou métabolites sont cohérentes et montrent leur effondrement après l’administration d’un régime 100 % « bio ». Ces études ont été réalisées chez les adultes mais, le plus souvent, dans des populations d’enfants.
Toutefois, pour conclure en termes d’effet sur la santé, il faudrait que les doses observées dans le cas d’un régime conventionnel soient potentiellement délétères. Sur ce point, les questions demeurent. En effet, les quantités observées dans les aliments conventionnels correspondent, dans la plupart des cas, à des niveaux d’exposition inférieurs au seuil de toxicité aiguë. Cependant, les effets cocktail (démultiplication des effets délétères en présence de plusieurs composés), en particulier en termes d’exposition chronique à basse dose, ne sont pas connus et inquiètent en particulier en raison du fait que la plupart des molécules incriminées ont les caractéristiques des perturbateurs endocriniens. Les pesticides actuellement utilisés pourraient avoir des effets neurotoxiques au cours des phases du développement (in utero et chez le jeune enfant) comme cela a été souligné dans l’étude américaine CHAMACOS.2

Les consommateurs de « bio » ont des comportements de santé plus favorables

La littérature scientifique portant sur les liens entre la consommation d’aliments « bio » et la santé humaine est encore relativement parcellaire, et ce, en parti- culier, en raison de l’absence de collecte d’informa- tions concernant cette exposition dans les études épidémiologiques, notamment prospectives.
Plusieurs études documentent un moindre risque d’atopie/allergie chez les enfants ayant un régime alimentaire « bio ».2 Par ailleurs, un moindre risque de prééclampsie chez les femmes enceintes consommant des aliments « bio » a également été rapporté dans la cohorte MOBA.2
Des travaux scientifiques ont montré de manière cohérente que les consommateurs de « bio » ont des modes de vie globalement plus favorables à la santé que la population générale moyenne concernant le tabac, l’alcool, l’activité physique mais aussi le régime alimentaire dans sa globalité : consommation plus élevée de produits végétaux, consommation de céréales complètes et de noix, etc. Ce cluster de comportements sains rend d’autant plus difficile la mise en évidence causale d’un rôle de la consommation d’aliments « bio » sur la santé. Les consommateurs de « bio » étant souvent des grands consommateurs de fruits et légumes (riches en composants bioactifs, notamment les poly- phénols, fibres, vitamines…), on pourrait s’attendre à observer un lien protecteur direct entre la consommation d’aliments « bio » et le risque de cancer pour au moins certaines localisations, sans pouvoir parfaitement conclure sur ce qui revient à la consommation de fruits et légumes ou à leur caractéristique « bio ».
La toute première étude sur le sujet a été réalisée chez des femmes en Angleterre et a rapporté un lien entre la consommation de produits « bio » et une réduction du risque de lymphome non hodgkinien ;6 une réduction du risque de cancer de 21 % a été observée entre les sujets consommant régulièrement des aliments « bio » comparés aux sujets non consommateurs. Il est important de souligner que la mesure de l’exposition était peu précise. Aucune relation n’a été montrée avec les autres localisations de cancer.
Des travaux chez l’adulte issus de la cohorte prospective NutriNet-Santé et de son volet BioNutriNet mis en place en 2014 suggèrent une diminution du risque de surpoids et d’obésité chez les grands consommateurs d’aliments « bio », et ce même après prise en compte des facteurs de confusion et en particulier la structure du régime.7
Un moindre risque de syndrome métabolique a également été observé chez les grands consommateurs de « bio ». Ces travaux peuvent être rapprochés de travaux expérimentaux ayant documenté des perturbations du métabolisme énergétique (en particulier glucides et lipides) en lien avec l’exposition aux pesticides.
L’état actuel des connaissances ne permet pas de conclure avec un niveau de preuve suffisant, fondé sur le consensus scientifique, sur un effet bénéfique de la consommation d’aliments « bio » pour préserver la santé de la population. Toutefois comme cela est recommandé par le Haut Conseil de la santé publique,8 dans un principe de précaution et compte tenu des éléments liés à la protection de l’environnement, il est prudent de privilégier les produits végétaux issus de pratiques agricoles limitant les intrants synthétiques (engrais et pesticides). Dans un contexte où les pesticides sont de plus en plus remis en cause en raison de leurs effets (neurotoxiques, perturbateurs endocriniens, etc.), il est conseillé de limiter l’exposition en particulier des femmes enceintes et des enfants en bas âge, d’autant que des circuits de distribution alternatifs permettent un accès à ces produits à un coût de plus en plus abordable. 
Références
1. Agence Bio. Le marché de la Bio en France. 2017. http://www.agencebio.org/le-marche-de-la-bio-en-france
2. Mie A, Andersen HR, Gunnarsson S, et al. Human health implications of organic food and organic agriculture: a comprehensive review. Environ Health 2017;16:111.
3. Baranski M, Srednicka-Tober D, Volakakis N, et al. Higher antioxidant and lower cadmium concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown crops: a systematic literature review and meta-analyses. Br J Nutr 2014;112:794‑811.
4. Srednicka-Tober D, Baranski M, Seal C, et al. Composition differences between organic and conventional meat: a systematic literature review and meta-analysis. BrJ Nutr 2016;115:994-1011.
5. Srednicka-Tober D, Baranski M, Seal CJ, et al. Higher PUFA and n-3 PUFA, conjugated linoleic acid, alpha-tocopherol and iron, but lower iodine and selenium concentrations in organic milk: a systematic literature review and meta- and redundancy analyses. BrJ Nutr 2016;115 :1043-60.
6. Bradbury KE, Balkwill A, Spencer EA, et al. Organic food consumption and the incidence of cancer in a large prospective study of women in the United Kingdom. Br J Cancer 2014;110:2321‑6.
7. Kesse-Guyot E, Baudry J, Assmann KE, Galan P, Hercberg S, Lairon D. Prospective association between consumption frequency of organic food and body weight change, risk of overweight or obesity: results from the NutriNet-Santé Study. Br J Nutr 2017;117:325‑34.
8. Haut Conseil de la santé publique. Avis relatif à l’information sur la qualité nutritionnelle des produits alimentaires [Internet]. Paris : Tec & Doc Lavoisier, 2015. www.hcsp.fr ou http://bit.ly/2mfcViL

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