Aliments ultratransformés et sur-risque de maladies métaboliques
Les aliments ultratransformés sont des produits issus de l’industrie agro-alimentaire dans lesquels l’aliment d’origine a subi d’importantes transformations physiques, chimiques ou biologiques (fractionnement, extrusion à haute température, moulage, préfriture…), avec l’ajout de différents additifs (destinés à en modifier le goût, la couleur ou la texture). Les snacks sucrés et salés, les confiseries, les céréales pour le petit-déjeuner, les glaces, sucreries, pâtisseries et boissons sucrées, les viandes transformées, les soupes déshydratées et les repas surgelés prêts à la consommation en sont quelques exemples (groupe 4 de la classification internationale alimentaire NOVA*).
Ces produits représentent une part croissante des régimes alimentaires à l’échelle mondiale – non seulement dans les pays riches, mais aussi dans ceux à faible et moyen revenu – : en France, ils compteraient pour environ 30 % des apports énergétiques journaliers de la population ; 48 % au Canada, 30 % au Brésil ; pire, cette part avoisine les 60 % aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Or leur consommation a été associée dans plusieurs études épidémiologiques à un risque accru de certaines maladies : obésité, maladies cardiométaboliques, MICI, mais aussi cancer. Une étude prospective menée grâce à la vaste cohorte française NutriNet-Santé a, par exemple, trouvé qu’une augmentation de 10 % de la consommation d’aliments ultratransformés était associée à un risque accru de plus de 10 % d’avoir un cancer (du sein en particulier, mais aussi tous cancers confondus). Ces associations ont aussi été retrouvées dans d’autres grandes cohortes à travers le monde (SUN en Espagne, UK Biobank au Royaume-Uni, NHANES aux États-Unis, cohorte internationale PURE).
Les effets de ces produits sur le déclin cognitifont été, en revanche, moins étudiés. Des chercheurs de l’université de São Paulo se sont attelés à cette tâche, dans une large étude de cohorte prospective multicentrique dont les résultats viennent de paraître dans le JAMA.
Un déclin cognitif plus rapide, surtout chez les jeunes adultes
L’étude ELSA-Brasil a recruté dans six villes de ce pays des fonctionnaires âgés de 35 à 74 ans, avec un suivi entre 2008 et 2019 ; la collecte des données a été réalisée en trois vagues espacées de 4 ans (2008-2010, 2012-2014, 2017-2019).
Un total de 10 775 participants ont été inclus dans l’analyse, après exclusion des personnes ayant rapporté des valeurs extrêmes d’apports caloriques (c’est-à-dire < 600 kcal/j ou > 6 000 kcal/j) et de celles prenant des médicaments qui puissent interférer avec les fonctions cognitives. Ils ont été suivis pendant une durée médiane de 8 ans. Leur âge moyen au début de l’étude était 51,6 ans, il y avait 54,6 % de femmes, l’IMC moyen était 26,9 et les aliments ultratransformés représentaient en moyenne 27 % des apports énergétiques journaliers.
La consommation d’aliments a été évaluée grâce à un questionnaire validé de 114 items (Food Frequency Questionnaire), à partir duquel les chercheurs ont calculé la proportion de calories provenant d’aliments ultratransformés sur le total des apports énergétiques quotidiens de chaque participant. Ils ont ensuite divisé la cohorte en quatre groupes : les personnes pour qui ces produits représentaient moins de 19,9 % des apports (groupe de référence) ; celles pour qui la consommation se situait entre 20 % et 26,7 %, puis entre 26,8 % et 34,1 % et enfin entre 34,2 % et 72,2 %.
L’évaluation des fonctions cognitives a été réalisée jusqu’à trois fois tous les 4 ans. Les capacités mnésiques ont été testées via les souvenirs immédiats, lointains et la reconnaissance des mots, avec les tests du Consortium to Establish a Registry for Alzheimer Disease. L’évaluation des fonctions exécutives a été faite grâce au Trail Making Test B estimant les capacités d’attention visuelle et d’alternance entre les tâches.
Enfin, l’analyse a contrôlé pour des facteurs confondants telles que l’âge, le sexe, des variables cliniques (IMC, maladies métaboliques, etc.) mais aussi le style de vie et le niveau socio-économique et d’éducation ainsi que l’ethnicité qui peuvent influencer aussi bien les habitudes alimentaires que les performances cognitives (à cet égard, la cohorte était équilibrée et représentative de la population brésilienne avec approximativement une moitié de personnes blanches et plus de 40 % de personnes d’origine africaine ou métisse).
Résultats : après un suivi médian de 8 ans, les participants des trois groupes ayant consommé le plus d’aliments ultratransformés (> 19,9 % des apports journaliers) avaient undéclin cognitif 28 % plus rapide que ceux du groupe de référence. Quant au déclin des fonctions exécutives, il était 25 % plus rapide.
Les personnes de moins de 60 ans étaient les plus concernées par cette association, tandis qu’elle n’a pas été retrouvée chez les plus de 60 ans. Par ailleurs, de mauvaises habitudes alimentaires globales majoraient cette corrélation : les personnes ayant de faibles scores alimentaires (indiquant un régime peu sain) et consommant > 19,9 % de ces produits avaient un déclin cognitif plus rapide que celles en consommant moins, alors qu’aucune association significative n’a été retrouvée entre le pourcentage de produits alimentaires ultratransformés consommés et le déclin cognitif chez les participants ayant des régimes globalement sains.
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces associations : réduction du volume de l’hippocampe gauche et la matière grise liée – d’après certaines études de neuro-imagerie – aux régimes alimentaires occidentaux contemporains ; inflammation systémique pouvant être induite par la consommation d’aliments ultratransformés... Au contraire, les régimes alimentaires sains ont été associés à un plus grand volume de matière blanche et grise et à de plus faibles niveaux de stress oxydatif et inflammation (ce qui pourrait aussi expliquer potentiellement l’effet protecteur d’un régime sain observé dans cette étude).
Ces résultats convergent notamment avec ceux d’une étude sur la cohorte UK Biobank ayant trouvé un lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et un sur-risque de démence et Alzheimer chez les plus de 55 ans, tout en élargissant ces associations à des tranches d’âge plus jeunes. D’où l’importance de réduire la consommation de ces produits pour les jeunes adultes et ceux d’âge moyen, en prévention primaire donc, concluent les auteurs.
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Srour B, Chazelas É, Touvier M. Aliments ultra-transformés : de la recherche aux recommandations. Rev Prat 2021;71(10):1107-12.