Parlez-nous de votre maison de santé
Ouverte en avril 2019, elle a été créée à l’initiative de trois médecins généralistes installés à Saint-Maur, les Drs Medioni, Yana et moi-même. Douze professionnels y travaillent : 5 généralistes, 3 infirmières, une diététicienne, une sage-femme, un podologue et une secrétaire. Nous accueillons des externes et des internes de niveaux 1 et 2 à la suite d’une convention passée avec l’université Paris-Est-Créteil (UPEC). Nous avons également une activité de recherche. Une coordinatrice libérale, rémunérée par le biais d’un accord conventionnel interprofessionnel, nous aide surtout sur les aspects administratifs.
Nos patients sont principalement reçus sur rendez-vous, mais nous proposons aussi des créneaux horaires dédiés aux soins non programmés.
Entre professionnels, nous avons trois types de réunions. Un sur les projets de santé concernant les personnes âgées polypathologiques et/ou ayant une maladie chronique. Un sur le fonctionnement de la maison (gestion de l’équipe, du secrétariat, des plannings, des travaux immobiliers, etc). Et un de concertation pluriprofessionnelle à propos des malades qui posent des problèmes, notamment les patients complexes. Chaque professionnel peut ainsi bénéficier d’un avis collégial.
Quels sont vos liens avec les libéraux et l’hôpital ?
Les Drs Medioni, Yana et moi-même portons un projet de CPTS (communauté professionnelle de santé territoriale) sur les communes de Saint-Maur-Ouest et Joinville. Il a été accepté par l’ARS, qui a fourni une aide financière pour son montage. Il concerne actuellement une dizaine de professionnels de santé, mais nous avons invité tous ceux de ce territoire à une réunion de construction de la communauté en septembre. L’épidémie a renforcé des liens avec les libéraux, notamment quand nous avons organisé la réponse de première ligne face au Covid en privilégiant les lieux de soins habituels, mais aussi lors du montage d’un centre dédié à Saint-Maur.
Nous avons quelques liens anciens avec le CHU Henri-Mondor et le centre hospitalier intercommunal (CHIC), tous les deux à Créteil. En ce qui me concerne, j’exerce depuis dix ans et j’enseigne à l’UPEC, ce qui m’a permis de collaborer avec les services de gériatrie et d’oncologie en particulier. Nous travaillons aussi avec le réseau Partage94, trithématique (cancer, soins palliatifs, personnes âgées). Les liens avec l’hôpital font partie du projet de la CPTS, notamment ceux avec le GHT (groupement hospitalier de territoire). Nous devons œuvrer collectivement, notamment pour améliorer l’hospitalisation des personnes âgées, qui se fait actuellement beaucoup trop souvent par le biais des urgences. Nous commencerons certainement avec le service d’oncologie d’Henri-Mondor, pour des parcours et des suivis partagés des patients dans la phase active et dans les suites du cancer. Le but est de mettre en œuvre la répartition proposée par l’OMS entre soins premiers, secondaires et tertiaires. Pour l’instant, la priorité est de construire et consolider la CPTS.
Nous avons également une convention avec le CCAS (centre communal d’action sociale) de Saint-Maur. Ils nous envoient des patients en difficulté sociale et sans médecin traitant et nous leur adressons des malades ayant des problématiques sociales complexes.
Comment vous êtes-vous organisés pendant le confinement ?
Nous avons d’abord dû faire face à un manque total de matériels de protection. Nous avons heureusement bénéficié de la solidarité des autres professionnels du territoire, médecins, infirmiers, pharmaciens, de la mairie et des associations locales. Autre contrainte : les directives gouvernementales, parfois inadaptées. Je comprends la consigne « Restez chez vous ! » Mais dire aux patients de ne pas consulter leur généraliste a entraîné des retards de prise en charge, beaucoup n’ont pas osé venir nous voir, y compris ceux avec des pathologies lourdes ou complexes et les personnes âgées. Quant aux recommandations gouvernementales, comment trouver le temps pour s’approprier des documents de 50 pages… ?
Comme il n’était pas possible de diviser les locaux, nous avons décidé d’accueillir les patients suspects de Covid pendant des horaires dédiés, en fin de journée, les non-infectés venant le matin et en début d’après-midi. à l’accueil, une solution hydroalcoolique a été mise à disposition, des affiches expliquaient les consignes de sécurité (lavage des mains…). En salle d’attente, les jouets ont été retirés, les chaises ont été espacées, etc. Sur la page web de prises de rendez-vous, nous avons spécifié qu’il était possible de consulter au cabinet sans risque pendant les horaires conseillés. À part au début, nous n’avons pas fait beaucoup de téléconsultations, plutôt pour les patients qui avaient peur de venir au cabinet : il est important de pouvoir examiner les malades. Au total, sur 20 à 25 consultations quotidiennes, 5 à 10 environ selon les médecins étaient en vidéo. Nous tenions à maintenir le présentiel, ne serait-ce que pour rassurer les personnes inquiètes.
Nous avons aussi organisé des visites à domicile, en particulier pour les malades en perte d’autonomie. Chaque médecin a appelé ses patients chroniques et ses personnes âgées pour prendre des nouvelles durant le confinement. Nous avons continué nos visites dans les Ehpad. Notre crainte était l’excès de morbi-mortalité non liée au Covid par manque de recours aux soins.
Le Dr Medioni et moi-même avons proposé un projet de gestion de crise à l’ARS, qui l’a accepté. Les cabinets de ville que nous avions contactés étaient d’accord pour recevoir les patients qui leur seraient adressés par le 15 si leur médecin traitant n’était pas disponible ou s’ils n’en avaient pas. Mais le 15 a préféré les envoyer au centre Covid en prétextant la complexité de joindre des structures différentes, alors que nous avions tout organisé pour que ce soit simple. Nous avons finalement monté ce centre à 100 mètres de la MSPU, à la demande de la mairie et de l’ARS. Saint-Maur est ainsi une des rares villes du secteur à avoir eu une réponse mixte (centre Covid et cabinets organisés). Pour nous, ce centre dédié représentait une réponse de seconde ligne, la première étant les cabinets de ville organisés. En définitive, il a reçu moins de patients que ceux des autres villes, avec parfois des erreurs d’orientation (par exemple, des personnes avec douleurs thoraciques mais sans autre symptomatologie Covid).
Je ne sais pas si nous avons eu raison de proposer cette organisation mixte. Je dirige deux thèses évaluant le dispositif des MSP et le centre. Pour nous, notre système a bien fonctionné et si une deuxième vague arrivait, nous referions probablement la même chose en insistant pour que le 15 oriente vers les structures de ville déjà organisées (cabinets/MSP).
Prenons l’exemple italien. Il y a eu moins de cas de Covid en Vénétie, où les patients ont été répartis dans les cabinets, qu’en Lombardie où ils ont été accueillis dans de grands centres, avec un risque plus important de contamination des non malades. En revanche, les professionnels y étaient peut-être mieux protégés au début (disponibilité du matériel). Je ne sais pas quelle est la bonne solution, mais je crois que l’organisation doit être souple et adaptée aux réalités locales, dont font partie les pratiques des généralistes, en utilisant le système de santé existant.
La leçon importante est que les professionnels de santé en ville ont été capables de se débrouiller seuls, souvent sans l’aide de l’ARS. Et pourtant, nous avons manqué de moyens humains et financiers, souvent pour ce qui apparaît négligeable alors que c’est fondamental, comme pouvoir embaucher une femme de ménage pour nettoyer les locaux quand la personne habituelle est en arrêt de travail.
Comment voyez-vous l’avenir ?
L’épidémie a mis en évidence un défaut grave de notre système : l’hospitalocentrisme. L’erreur de la gestion de crise a été de le renforcer. Alors que les ARS nous poussent à monter des MSP et créer des CPTS, on a demandé aux patients d’appeler le 15, de ne pas consulter leur médecin traitant et d’aller à l’hôpital en cas de problème. Je pense que l’organisation aurait été bien plus forte et efficace si elle avait fait appel au premier recours, c’est-à-dire à la médecine de ville. L’hôpital avait à faire face aux cas sévères... Et il a très bien rempli sa mission.
Les chiffres montrent qu’en réalité la grande majorité des patients symptomatiques ont été initialement pris en charge par la médecine ambulatoire. Y compris ceux qui résident en Ehpad, parce que les généralistes ont l’habitude d’y travailler. J’ai même eu des patients supplémentaires dans l’un d’entre eux, le médecin coordinateur n’étant plus disponible. Dans notre département, tous les généralistes se sont organisés pour suivre leurs malades et ça a bien fonctionné.
L’avenir, c’est le maillage des territoires par les CPTS. Si elles sont bien structurées, avec une gouvernance claire et un vrai projet de santé, elles seront un levier majeur pour améliorer la médecine ambulatoire, développer les parcours de soins coordonnés et favoriser les coopérations interprofessionnelles. Elles donneront de la légitimité aux professionnels de ville, notamment pour répondre à une nouvelle crise.
Pour la première fois dans l’histoire de notre système de santé, les professionnels de ville ont l’opportunité de construire l’organisation du premier recours. Ils en ont l’initiative. Si nous ne nous en emparons pas maintenant, nous courons le risque de relancer l’hospitalocentrisme, plus coûteux et moins efficient. La crise a également montré l’importance d’une médecine communautaire, dirigée vers les populations et pas seulement les individus et qui donne une place essentielle aux généralistes dans la santé publique.
Les professionnels le souhaitent-ils ?
La plupart n’ont pas été formés à travailler en pluriprofessionnalité et en coopération. L’intérêt d’une MSP, c’est d’exercer à plusieurs, avec une vraie collaboration, et d’améliorer sa qualité de vie professionnelle et privée. Les étudiants qui y font leurs stages ne s’y trompent pas. Beaucoup n’envisagent plus une installation solitaire.
Cela étant, il faut alléger les contraintes de construction et de fonctionnement des MSP et des CPTS. Actuellement, cela demande un fort investissement personnel, qu’on récupère largement ensuite. Mais notre métier, c’est de soigner, pas de faire de l’administratif.
1. Les grandes espérances du Ségur de la santé…
Lancée le 25 mai 2020 et devant se clore fin juin, il s’agit d’une concertation avec en principe l’ensemble des parties prenantes du système de santé afin de le refonder pour le rendre plus performant, plus souple et plus à l’écoute des professionnels, des usagers et des collectivités locales. Elle est pilotée par Nicole Notat, ancienne dirigeante de la CFDT.
Le travail reposera sur 4 « piliers » :
• transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent ;
• définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins ;
• simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes ;
• fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers.
Le Ségur de la santé fait d’ores et déjà l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des organisations de professionnels de santé non médicaux, qui s’estiment non représentés.
2. SISA : le nerf de la guerre…
Les Sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires ont été créées en 2011 pour répondre aux besoins des maisons de santé pluriprofessionnelles. Relevant du régime des sociétés civiles, elles ont pour objet la mise en commun de moyens nécessaires aux activités partagées par ses membres (coordination, coopération, éducation thérapeutique). Les associés peuvent percevoir des rémunérations forfaitaires (jusqu’à 76 000 euros par an) au titre de l’accord conventionnel interprofessionnel d’avril 2017 signé entre les professionnels libéraux et l’Assurance maladie.
Source : ministère des Solidarités et de la Santé. La SISA : un statut pour permettre le versement de subventions aux maisons de santé pluriprofessionnelles. Mise à jour le 10 septembre 2019.https://bit.ly/2AuG1pH