La lutte contre les infections nosocomiales constitue depuis des années un objectif prioritaire de santé publique. Malgré une uniformisation législative intervenue avec la loi du 4 mars 2002, différents régimes de responsabilité coexistent aujourd’hui encore, rendant le paysage juridique relativement complexe.

Définition

La notion d’infection nosocomiale n’est apparue véritablement en droit français qu’avec un décret du 6 mai 1988,1 puis définie par une circulaire du 13 octobre 1988 comme « toute maladie provoquée par des micro-organismes contractée dans un établis­sement de soins par tout patient après son admission, soit pour l’hospitalisation, soit pour y recevoir des soins ambulatoires, que les symptômes apparaissent lors du séjour à l’hôpital ou après, que l’infection soit reconnaissable aux plans cliniques ou microbiologiques, données sérologiques comprises, ou encore les deux à la fois ».
Le terme nosocomial provient du mot latin nosocomium qui veut dire hôpital, ainsi que des mots grecs ­nosos et komein qui signifient respectivement maladie et soigner.2 Précisément, « une infection est dite noso­comiale si elle apparaît au cours ou à la suite d’une hospitalisation et si elle était absente à l’admission à l’hôpital. Ce critère est applicable à toute infection ».3
Communément, on considère d’origine nosocomiale une infection survenue dans un délai d’au moins 48 heures après l’admission du patient. Pour les infections postopératoires, on considère comme nosocomiales les infections survenues dans les 30 jours suivant l’intervention, voire, s’il y a mise en place d’une prothèse ou d’un implant, dans l’année qui suit l’opération.
Il faut en outre distinguer entre l’origine de l’infection, laquelle peut être qualifiée d’exogène, lorsqu’elle provient de germes extérieurs au patient, ou d’endogène lorsqu’elle provient du patient lui-même, lequel s’est alors infecté avec ses propres germes à l’occasion d’un acte médical.

Avant la loi du 4 mars 2002

Avant l’instauration d’un régime législatif unifié issu de la loi du 4 mars 2002, les jurisprudences administrative et judiciaire appréhendaient, avec plus ou moins d’uniformité, l’indemnisation des infections nosocomiales.

Jurisprudtence administrative

Le juge administratif avait pris le parti d’un système de présomption de faute, déduisant l’existence d’une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service du fait même de la survenue d’une infection.4 Le patient n’avait donc pas à prouver de faute, laquelle se déduisait automatiquement de la nature nosocomiale de l’infection.
Il lui appartenait en revanche de prouver cette origine nosocomiale, la victime étant ici autorisée à recourir à des présomptions graves, précises et concordantes, notamment en prouvant l’absence d’autres causes possibles de contamination.5
En pratique, ce système s’apparentait à une véritable présomption de responsabilité, l’hôpital ne pouvant en réalité s’exonérer qu’en rapportant la preuve – difficile – que le patient était déjà porteur du germe lors de son entrée à l’hôpital, autrement dit que l’infection, survenue au cours ou au décours de l’hospitalisation, était déjà présente ou en incubation au début de la prise en charge.
Bien que favorable aux patients, la jurisprudence administrative refusait toutefois d’indemniser les infections nosocomiales d’origine endogène, seules les infections d’origine exogène engageant la responsabilité des établissements.6 L’établissement pouvait donc également s’exonérer en rapportant la preuve que l’infection avait été causée par les propres germes du patient.

Jurisprudence judiciaire

Quant au juge judiciaire, il a longtemps considéré en la matière que la responsabilité des professionnels de santé ne pouvait être engagée qu’en cas de faute prouvée.7 Pour ensuite faire évoluer sa jurisprudence dans un sens plus favorable aux victimes avec un système de présomption de faute,8 jusqu’à la consécration en 19999 de la notion d’obligation de sécurité de résultat en matière d’infection nosocomiale. Était par ce biais instaurée une véritable présomption de responsabilité, ne pouvant plus être renversée que par la preuve d’une cause étrangère, autrement dit par un événement présentant un caractère ­d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité. Précision d’importance, cette jurisprudence concernait aussi bien les professionnels que les éta­blissements de santé privés, autrement dit toute infection nosocomiale contractée en milieu médical, quel que soit le lieu de contamination.10
Dans le dernier état de la jurisprudence judiciaire, le patient n’avait donc plus qu’à rapporter la preuve de l’origine nosocomiale de l’infection, la Cour de cassation refusant, comme le Conseil d’État, d’aller jusqu’à présumer un lien de causalité entre la prise en charge médicale et l’infection.11
Aucune distinction n’étant par ailleurs opérée par le juge judiciaire quant à l’origine de l’infection, au contraire de son homologue administratif, l’établissement de santé privé ne pouvait pas s’exonérer en présence d’une infection dite endogène, devant donner lieu à réparation au même titre que les infections dites exogènes.12

Régime actuel et coexistence avec les régimes antérieurs

La loi du 4 mars 2002 est venue unifier les jurisprudences administrative et judiciaire pour les soumettre à un seul et unique régime. La loi nouvelle est applicable à toutes les infections contractées après le 5 septembre 2001, date d’entrée en vigueur rétroactive des nouvelles dispositions (v. tableau). Les infections contractées avant cette date restent donc soumises aux régimes antérieurs issus des jurisprudences administrative et judiciaire.
Dans sa version initiale, l’article L1141-2 du code de la santé publique prévoyait une responsabilité de plein droit à la charge des établissements de santé en matière d’infection nosocomiale, sauf preuve d’une cause étrangère.
De ce nouveau régime législatif, découlaient donc deux enseignements : la consécration d’un régime de responsabilité de plein droit à l’égard des établissements de santé, ne pouvant être renversée que par la preuve d’une cause étrangère (confirmant donc ici en partie la jurisprudence de la Cour de cassation) et l’exclusion du médecin de ce régime de responsabilité, soumis quant à lui au principe d’une responsabilité pour faute.13

Depuis le 1er janvier 2003

Ce nouveau régime de responsabilité ne devait toutefois pas perdurer plus de quelques mois puisque, devant le risque financier découlant de la consécration législative d’une responsabilité de plein droit, les assureurs ont sollicité et obtenu une très rapide modification législative. C’est ainsi qu’a été adoptée la loi du 30 décembre 2002, insérant un nouvel ­article L1142-1-1 au sein du code de la santé publique, mettant à la charge de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), la réparation des infections nosocomiales dites graves, ayant entraîné un taux de déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 % ou le décès du patient (v. tableau). Cette loi nouvelle est applicable à la date de son entrée en vigueur, soit au 1er janvier 2003, ce qui signifie que les infections graves contractées entre le 5 septembre 2001 et le 1er janvier 2003 restent à la charge des établissements de santé, sur le fondement d’une responsabilité de plein droit.14
Depuis le 1er janvier 2003, l’identité du débiteur de l’indemnisation dépend donc de la gravité des conséquences de l’infection nosocomiale.

Infections dites graves

Les infections dites graves, à l’origine d’un taux de déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 % ou du décès du patient, sont mises à la charge ­exclusive de la solidarité nationale. Toutefois, en cas de faute commise par l’établissement ou le professionnel de santé, les victimes et les tiers payeurs gardent la possibilité d’agir à l’encontre de l’établissement ou du professionnel.15 Dans cette hypothèse, rappelons également que l’Oniam dispose d’un recours à l’encontre de l’établissement de santé pour récupérer les sommes qu’il a versées au patient.16 Enfin, précisons que l’Oniam intervenant au titre de la solidarité nationale, et non en vertu d’un régime de responsabilité, il ne peut se prévaloir d’aucune cause d’exonération dès lors que l’origine nosocomiale de l’infection est bien prouvée par le patient.

Autres infections

Pour les infections à l’origine d’un taux de déficit fonctionnel permanent inférieur ou égal à 25 %, les médecins libéraux sont responsables en cas de faute prouvée, et les établissements de santé – publics et privés – sont responsables de plein droit sauf preuve d’une cause étrangère. Cette cause exonératoire de responsabilité n’est toutefois que très rarement retenue, et il est en pratique très difficile pour les établissements d’échapper à la responsabilité sans faute qui pèse sur eux. Notamment, le caractère imprévisible et insurmontable de l’infection ne suffit pas à exonérer l’établissement de santé de sa responsabilité, puisqu’il faut encore que la cause exonératoire résulte d’un événement extérieur à l’établissement.17 Au surplus, l’origine endogène de l’infection ne permet plus aux établissements publics de santé d’échapper à leur responsabilité, la loi de 2002 n’ayant pas consacré la distinction initialement opérée par le juge administratif. Le Conseil d’État a d’ailleurs été contraint de revenir sur sa jurisprudence antérieure, pour toutes les infections contractées après l’entrée en vigueur de la loi de 2002.18
Dans les faits, il appartient toujours au patient de rapporter la preuve de l’origine nosocomiale de l’infection et, le plus souvent, une infection survenue au cours ou au décours de la prise en charge est considérée comme telle. Pour reprendre la définition récemment donnée par le Conseil d’État, « doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial, au sens des dispositions de l›article L. 1142-1 de la santé publique, une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d›un patient et qui n›était ni présente ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge. Ainsi, seul l’établissement qui démontre que l’infection est la conséquence, non pas des soins, mais d’une cause extérieure telle que par exemple la pathologie du patient, pourra être exonéré »19.
Pour finir, s’agissant des infections nosocomiales les moins graves, précisons, dans l’hypothèse où la responsabilité d’un établissement ne serait pas engagée (cause étrangère) ni celle d’un professionnel de santé (absence de faute), que la victime peut toujours envisager de saisir l’Oniam de son action sur le fondement dans ce cas précis de l’article L1142-1 II du code de la santé publique. À charge pour elle de démontrer, dans cette hypothèse, que son dommage remplit les critères d’imputabilité, d’anormalité et de gravité prévus par les textes pour ouvrir droit à réparation au titre de la solidarité nationale.

Complexité

Bien que la tâche soit aujourd’hui relativement facilitée pour les patients, il ne faut pas pour autant en déduire l’instauration d’un régime d’indemnisation automatique en la matière. La preuve de l’origine nosocomiale de l’infection n’est pas toujours chose aisée, et il n’est pas rare que cette problématique fasse l’objet de débats houleux lors des expertises.
Le système actuel de responsabilité en matière d’infections nosocomiales demeure relativement complexe, faisant coexister différents régimes en fonction de la date du fait générateur, de la gravité du dommage mais aussi du lieu de la contamination. Actuellement, si le médecin n’est responsable qu’en cas de faute, les établis­sements de santé restent soumis à un strict régime de responsabilité de plein droit, dont ils ne peuvent s’exonérer qu’en rapportant la preuve ­difficile d’une cause étrangère. Quant à l’Oniam, il est tenu de prendre en charge les infections les plus graves, sans préjudice d’un éventuel recours contre le professionnel ou l’établis­sement de santé en cas de faute.
Encadre

Infections nosocomiales : des données plutôt anciennes

Les infections liées aux soins (ou infections nosocomiales) ont été longtemps méconnues en France et dans la plupart des pays développés ; depuis le début des années 2000, les choses changent progressivement.

Sur le site du ministère de la Santé

On peut y lire à la question posée « Combien de personnes sont-elles touchées par les infections nosocomiales ? »

« Trois enquêtes nationales de prévalence des infections nosocomiales ont été réalisées en 1996, en 2001 et en juin 2006. En 2006, 2 337 établissements de santé, représentant 9 % des lits d’hospitalisation et 358 467 patients ont été inclus. Le jour de l’enquête 2006, 17 820 patients étaient infectés soit une prévalence de patients infectés de 4,97 %. Entre 2001 et 2006, on a noté une diminution de 12 % de la prévalence des patients infectés et de 40 % de ceux infectés par un staphylocoque doré résistant à la méticilline (bactérie faisant partie des bactéries multirésistantes aux antibiotiques). »

À l’évidence, cette prévalence varie considérablement selon les services de spécialité au sein de l’hôpital (fréquence plus importante dans les services de réanimation, par exemple).

Cependant, on peut regretter que le ministère ne fasse pas état de données davantage actualisées…


Sur le site de l’OMS

De son côté, le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) https://www.who.int/gpsc/background/fr  / / apporte les précisions suivantes :


Sur le site de la HAS

Sur le site de la Haute Autorité de santé (HAS), on trouve :

« En 2019, un seul indicateur a été recueilli dans le thème “ infections associées aux soins ” : consommation des produits hydro-alcooliques dans sa version 3. »

De plus, un indicateur de résultat a été expérimenté en 2019 (mesure des « infections du site opératoire après pose de prothèse totale de hanche – hors fracture – ou de genou »).

Notes et références
1. Décret n°88-657 du 6 mai 1988 relatif à l’organisation de la surveillance et de la prévention des infections nosocomiales dans les établissements d’hospitalisation publics et privés participant au service public hospitalier.
2. Dictionnaire des termes de médecine (27e édition). Paris : Maloine, 2002 :579.
3. Selon la 2e édition du guide technique de recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales « 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales » édité en 1999, et actualisée en 2006 par le Comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins (Ctinils).
4. CE, 9 déc. 1988, dit Cohen, n° 65087, CE, 1er mars 1989, dit Bailly, n°61406. Il était alors jugé, en cas d’infection, d’une « faute dans l’organisation et le fonctionnement du service, à qui incombe de fournir au personnel médical un matériel et des produits stériles, alors même qu’aucune faute lourde, notamment en matière d’asepsie, ne peut être reprochée au praticien ».
5. CE, 16 décembre 2005, n° 265270.
6. V. par exemple CE, 27 sept. 2002, n° 211370 ; CE, 25 oct. 2006, n° 275700 ou encore CE, 12 janv. 2011, n° 311639.
7. Cass. 1re civ., 9 oct. 1985, n° 84-13472.
8. Cass. 1re civ., 21 mai 1996, n° 94-16586 ; Cass. 1re civ., 16 juin 1998, n° 97-18481. 
9. Cass. 1re civ., 29 juin 1999, n° 97-15818 ; Cass. 1re civ., 29 juin 1999, n° 97-21903 ; Cass. 1re civ., 29 juin 1999, n° 97-14254.
10. V. pour une application dans un cabinet libéral Cass. 1re civ., 13 fév. 2001, n° 98-19433.
11. Cass. 1re civ., 30 oct. 2008, n° 07-13791, qui autorise la preuve du caractère nosocomial de l’infection par des « présomptions graves, précises et concordantes ».
12. Cass. 1re civ., 4 avr. 2006, n° 04-17491 ; Cass. 1re civ., 14 juin 2007, n° 06-10812.
13. Pour le Conseil constitutionnel, cette différence de traitement dans les conditions d’engagement de la responsabilité entre établissements et professionnels n’est pas contraire à la constitution, car reposant sur une différence de situation. Les actes de prévention, de diagnostic ou de soins pratiqués dans un établissement se caractérisent en effet par une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé exerçant en ville (Cons. const., déc., 1er avr. 2016, n° 2016-531 QPC).
14. CE, 13 juill. 2007, n° 293196 ; Cass. 1re civ., 16 oct. 2008, n° 07-17605.
15. Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-16117.
16. CSP , art. L 1142-17, al. 7  in fine.
17. Cass. 1re civ., 14 avril 2016, n° 14-23909.
18. CE, 10 oct. 2011, n° 328500.
19. CE, 23 mars 2018, no 402237.

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Résumé

La loi du 4 mars 2002 a unifié en France les différents régimes de responsabilité en matière d’infections nosocomiales sans mettre fin, pour autant, aux régimes antérieurs qui s'appliquent encore dans des circonstances particulières. Actuellement, si le médecin n’est responsable qu’en cas de faute, les établissements de santé restent soumis à un strict régime de responsabilité de plein droit, dont ils ne peuvent s’exonérer qu’en rapportant la preuve difficile d’une cause étrangère. Un organisme public, l’Oniam, étant tenu de prendre en charge les infections les plus graves, sans préjudice d’un éventuel recours contre le professionnel ou l’établissement de santé en cas de faute.