La loi Claeys-Leonetti ouvre la possibilité, dans certaines situations de la fin de vie, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Pour autant, sa connaissance et son application paraissent méconnues des jeunes médecins.
L’accompagnement des malades parvenus au terme de leur vie est un sujet de questionnement dans le monde soignant et dans la société en général. Alors que la dernière loi (loi Claeys- Leonetti) a été votée en 2016,1 le récent rapport d’évaluation de cette même loi a fait état d’un droit insuffisamment respecté à propos de l’application de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès.2 En médecine palliative, la mise en œuvre d’une sédation n’est jamais vécue de manière anodine,3 alors que ces situations se rencontrent de façon régulière dans certains services, et l’on peut s’interroger sur une certaine tendance à leur généralisation.4 Il est donc grand temps d’en interroger la pratique.
Pour ce faire, nous avons mené des entretiens semi-directifs avec les principaux prescripteurs en dehors des unités de soins palliatifs, c’est-à-dire avec les internes et assistants en secteur hospitalier, et ce dans divers types d’établissements (centres de lutte contre le cancer [CLCC], centres hospitaliers universitaires et centres hospitaliers périphériques) et dans divers services (cancérologie, ­réanimation, hématologie, gériatrie, chirurgie oto-rhino-laryngée, pneumologie), cela afin de permettre une approche plus globale des situations pouvant se présenter, du fait de la diversité des pathologies et de la différence de temporalité et de nature entre les fins de vie.
Nous livrons ici quelques pistes de réflexion à partir du verbatim recueilli.

Des indications… floues dans leur formulation !

Les recommandations des sociétés savantes (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, European Association for Palliative Care, Association québécoise de soins palliatifs, guide de la Haute Autorité de santé)5-7 concernant la mise en place d’une sédation pour détresse en phase terminale tentent d’établir avec précision les indications de ce type de traitement. Notamment qu’il s’agit d’un traitement de dernier recours sur des symptômes réfractaires jugés insupportables par le patient, qui peut être transitoire et qui comporte différents degrés, la perte de conscience n’en étant que le degré ultime. Or les jeunes médecins rencontrés, questionnés sur les indications, utilisent des propos flous et imprécis : « fin de vie », « inconfort moral et respiratoire », « anxiété », « angoisse à l’approche de la fin de vie », « patient pas bien, regard ­angoissé », « Hypnovel à visée anxiolytique », « patients qui sont étiquetés palliatifs ». Pour les symptômes évoqués, hors situations d’urgence, il n’est pas fait référence à des situations réfractaires, et le verbatim fait allusion au registre émotionnel et subjectif du médecin (« ressenti », « instinct », « feeling ») ou encore à des demandes de tiers (« sur demande de la famille »). Ces constats interrogent particulièrement quand, dans la pratique médicale reposant sur l’evidence-based medicine, tout traitement comporte des indications, des contre-indications, des ­recommandations pour la pratique… Un praticien fait d’ailleurs lui-même le constat : « Autant des trucs sont bien calés dans ma tête, autant c’est flou pour les sédations ! » Le midazolam est pourtant une molécule administrée sur prescription médicale, et on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles les jeunes médecins ne considèrent pas que son usage doit être soumis au même encadrement d’indications que les autres médicaments administrés. Comme si la fin de vie était un moment de la vie où la rigueur de la prise en charge médicale n’était plus requise. Comme si la nécessaire discussion collégiale préalable se muait dans les esprits en un débat d’opinions subjectives.

La loi et ses applications en situation singulière

Malgré l’existence de lois spécifiquement dédiées à la prise en charge des malades et des personnes en fin de vie (loi Leonetti de 2005, loi Claeys-Leonetti de 2016) et des débats fréquents et âpres à ce sujet en société, la très grande majorité des jeunes médecins interrogés disent ne pas avoir en tête leur contenu, voire pour certains ne pas même avoir connaissance de leur existence : « Je ne sais pas ce que vous entendez par les lois, peut-être que je ne les connais pas ? ») Se fondant sur les protocoles appliqués dans les services dans lesquels ils passent, se « formant sur le tas » selon leurs propres termes, et se conformant aux pratiques et représentations de leurs chefs et des services dans lesquels ils passent de fait, ils n’ont pas la curiosité d’aller se renseigner par eux-mêmes, ni la démarche de faire entendre la voix des praticiens concernés dans les débats publics.
Mais, plus encore, au-delà d’une méconnaissance de la loi largement partagée dans la société (mais plus surprenante, voire inquiétante, parmi les professionnels dont elle encadre la pratique), c’est le rapport entre la pratique médicale et la loi qui interroge. Certains relèvent que les lois fixent le cadre de ce qu’il est possible de faire sans pouvoir pour autant se faire prescripteur médical (le 3paragraphe de l’article de la loi de 2016 portant sur la sédation pourrait donner cette impression, en indiquant des situations dans lesquelles le médecin applique une sédation profonde et continue) : « Le cadre législatif dit : on peut faire mais on n’est pas obligé de faire. C’est comme ça que j’entends. Sur une autoroute, on n’est pas obligé de rouler à 130 ! »
Mais d’autres formulations quant au rapport de la loi aux situations particulières dans lesquelles elle s’applique sont plus ambiguës. Dire que la loi est un « cadre, mais qui est modulable en fonction des équipes, des patients, des ­familles », est-ce dire qu’une fois la loi connue et respectée, il y a encore le travail médical et soignant de ce qu’il est le plus pertinent de faire dans une situation singulière ? Ou est-ce dire que l’on peut s’arranger avec la loi, y faire des exceptions selon la situation à partir du moment où le patient est en fin de vie… ? Dans le même ordre d’idées, dire que la loi est un « outil à utiliser en fonction des données cliniques de la vraie vie », est-ce dire que le médecin prend ses responsabilités dans des situations concrètes, par des évaluations cliniques et des discussions collégiales, afin d’ajuster sa pratique à la situation du patient ? Ou est-ce que cela revient à dire qu’on ne reconnaît pas à la loi la légitimité de se prononcer (« on ne fait pas de la médecine avec la loi selon moi ») sur ce qu’il est ou non permis de faire « dans la vraie vie » ? Ce rapport du général au particulier, de la loi à la pratique, du légal à la réflexion éthique serait intéressant à approfondir dans la formation initiale et continue des médecins. D’autant que cela interroge également le rapport entre la loi et sa mise en application formulée sous forme de protocoles, de même que cela ­interroge la dynamique de la relation au cœur du soin, avec le risque que « l’alliance thérapeutique » laisse place à une structuration juridique de la relation de soins.8

Le besoin d’accompagnement et de formation

Ce qui ressort de façon majeure dans la quasi-totalité des entretiens, c’est le fait que les jeunes médecins estiment avoir été formés « sur le tas », en suivant de fait les protocoles et les habitudes pratiques des services dans lesquels ils passent : « C’est plutôt des habitudes que j’ai prises en côtoyant mes chefs, sur le terrain » ; « on a rapidement une approche qui va plus être dépendante des médecins à qui on a eu affaire ». Le manque (et donc le besoin) de formation est relevé par plusieurs d’entre eux : « je ne peux pas appeler ça une formation ­spécifique. J’avais eu quelques notions le premier semestre, deux fois une heure de cours sur la sédation. Mais, non, je n’ai aucune formation ». Ils estiment qu’il y a aussi une disparité de formation entre spécialités : si les soins palliatifs sont historiquement très liés à la cancérologie dans leur développement, certains considèrent que tous ne sont pas autant formés les uns que les autres, puisque les formations sont principalement dispensées au sein des services ou par spécialités. Une assistante étant passée par un centre de lutte contre le cancer affirme ainsi qu’on « entend parler des soins de support et des accompagnements de fin de vie en cancéro­logie. Pour les insuffisants respiratoires en phase terminale par exemple, au niveau accompagnement, c’est souvent très difficile dans les services qui ne font pas de cancérologie parce que pour ceux-là, il n’y a aucune formation ».
En termes de contenu de formation, ce ne sont pas que des questions techniques de protocole, de dosage, d’indications qui sont évoquées. Mais également des temps de réflexion sur toutes les questions humaines que posent l’accompagnement en fin de vie, le fait de poser une indication de sédation et le moment auquel la mettre en place, le fait de parler de la mort à venir avec un patient et sa famille. Également des temps pour évoquer ce que fait vivre cette pratique médicale et soignante : « Ce serait plus une formation humaine, ou un temps de parole tout simplement. » Si l’analyse de la pratique professionnelle fait partie intégrante de l’activité des soignants en soins palliatifs, c’est loin d’être le cas dans d’autres spécialités pourtant bien au cœur de l’accompagnement de malades en fin de vie. Par ailleurs, il est à reconnaître que si les évolutions biomédicales majeures génèrent des situations de haute complexité, le seul abord « technique » est insuffisant pour trouver des réponses adaptées. En effet, là où la loi prévoit une réflexion collégiale, les praticiens pointent le risque d’isolement dans ces situations où leur besoin d’échanger est pourtant très prégnant : « À l’hôpital, on est toujours avec d’autres médecins et on peut en parler, je trouve qu’il y a plus une concertation. Chacun émet son point de vue. [...] C’est difficile pour un médecin généraliste qui connaît très bien son patient de ­reprendre un œil nouveau sur ce patient qu’il suit depuis ­peut-être 40 ans. Alors qu’à l’hôpital, l’oncologue qui suit son patient pour sa pathologie peut en parler à d’autres confrères oncologues ou autre et avoir un œil nouveau. »

Continuité des soins

L’analyse attentive de ces entretiens met en exergue la nécessité de réflexion et de dialogue avec le patient et sa famille, mais aussi entre soignants issus de différentes spécialités, et ce bien en amont de la toute fin de vie, et au-delà des prises en charge singulières. Notre étude met aussi au jour un fort besoin de formation tant sur le plan de la clinique de la fin de la vie et son encadrement législatif qu’au niveau de questions interrogeant les sciences humaines. Dans cette perspective, la technique représentée ici par la sédation n’est qu’un moyen au service de la dynamique relationnelle de ce temps de la vie. Et elle ­engage des réflexions sur le sens et les contours des pratiques soignantes, de même que sur leur inscription sur fond de l’approche sociétale de la vulnérabilité et de l’approche de la mort. Ainsi pensée, la sédation peut s’inscrire dans la continuité des soins apportés tout au long du ­parcours de la maladie, soins inscrits dans une certaine temporalité pour éviter les ruptures et prétendre, au cœur de la relation, à tenir le sens d’une humanité partagée confrontée à sa finitude.
Les formations initiales différentes selon les spé­cialités participent, entre autres, chez les médecins et soignants, à la construction de représentations variées au sujet de la période de la vie nommée « fin de vie ». Le contexte social et les réflexions sociétales ont abouti à des modifications législatives conséquentes. Nous ne pouvons qu’inviter les professionnels de santé à prendre part à la réflexion, entre eux mais également au sein de la société : à défaut, l’évolution des pratiques de soins qui crée des « nouveaux droits pour les personnes en fin de vie » et qui concerne leur quotidien pourrait se mener sans eux. Ni malades et famille ni médecins et soignants ne peuvent y trouver leur compte, alors que les uns et les autres sont engagés dans une relation de « réciprocité » !9 
Encadre

Comment a été réalisée cette étude ?

Cette étude exploratoire à propos de la sédation en fin de vie, dans le contexte post-loi Claeys-Leonetti, a été menée auprès d’internes et assistants de différentes spécialités exerçant en secteur hospitalier, en première ligne dans cette phase de la maladie et de la vie des patients.

Nous avons réalisé conjointement 24 entretiens entre mars 2016 et mai 2017.

Chaque entretien durait de 15 à 45 minutes.

Références
1. Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
2. Barret L, Fillion S, Viossat LC. Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie. https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-161R_Tome_1_.pdf
3. Sainton J. Sédation en fin de vie: enjeux relationnels (thèse d’exercice). Université de Reims Champagne-Ardenne, faculté de médecine, 2018.
4. Twycross R. Palliative care, sagepub.com/journals-permissions, 2019.
5. Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Les recommandations sur la sédation. http://www.sfap.org/rubrique/les-recommandations-sur-la-sedation
6. Haute Autorité de santé. Recommandations de la HAS sur la sédation (Internet). Disponible sur : http://www.sfap.org/rubrique/recommandations-has
7. Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Guide d’aide à la décision dans la mise en œuvre d’une sédation pour détresse en phase terminale. www.sfap.org/system/files/guide-2014-sfap-cs.pdf
8. Sainthon J. Le dispositif Leonetti-Claeys : sédation palliative ou terminale? Med Pall 2019;18:41-8.
9. Marmilloud L. Donner vie à la relation de soin. Expérience pratique et enjeux éthiques de la réciprocité. Toulouse : éditions Erès, 2019.

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