Les « valeurs limites d’exposition » devraient être réévaluées car la surexposition à cette lumière très énergétique pendant les heures de plus forte sensibilité rétinienne pourrait épuiser les systèmes de réparation cellulaire au niveau de la rétine et favoriser la dégénérescence maculaire liée à l’âge.
En 2009, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) avait soulevé plusieurs points concernant les risques sanitaires liés à leur utilisation :
– la trop forte luminance des LED peut générer un éblouissement à l’origine d’accidents ;
– la lumière des LED peut présenter des modulations temporelles rapides (papillotement, effet stroboscopique, etc.), ce qui peut avoir une incidence sur la performance visuelle et la sécurité de l’individu ;
– la forte quantité de lumière bleue qu’elles émettent peut avoir des effets délétères sur la rétine.
L’ANSES avait alors conseillé de développer la recherche sur cette problématique. Dans cette discussion, nous nous limiterons au problème de la phototoxicité rétinienne induite par les LED.
Phototoxicité rétinienne, normes de sécurité photobiologique
Grâce au cristallin et à la cornée, qui filtrent la lumière, seules les longueurs d’ondes comprises entre 400 et 800 nm atteignent la rétine. Celle-ci transforme en influx nerveux ces radiations électromagnétiques.
Selon la relation de Planck-Einstein, l’énergie élémentaire (photon) d’une onde électromagnétique est inversement proportionnelle à sa longueur d’onde. De ce fait, une lumière de 400 nm (bleue) porte plus d’énergie qu’une lumière de 800 nm (rouge). Lorsqu’un photon atteint un système biologique, son énergie est transférée vers les molécules du tissu qui peuvent émettre des radicaux libres. Cela peut entraîner la peroxydation des lipides, l’agrégation protéique et la modification de l’ADN.
Dans l’évaluation de la toxicité de la lumière sur la rétine, divers éléments entrent en jeu : le type de lumière utilisé et son spectre, le temps et la distance d’exposition à la source, la géométrie de l’œil exposé, la sensibilité spécifique de l’espèce animale concernée. Les différents facteurs physiques sont évalués depuis de nombreuses années par les spécialistes en éclairage. Or, lorsqu’on analyse les études relatives à la phototoxicité rétinienne, on s’aperçoit que les biologistes s’y intéressent peu. De ce fait, il est souvent difficile de comparer ces études.
La norme de sécurité photobiologique actuelle, NF EN 62741, définit quatre groupes de risques pour les ampoules destinées au public :
– 0 : aucun risque ;
– 1 : risque faible, pas de risque en conditions d’utilisation normale ;
– 2 : risque modéré, il y a réponse d’aversion* à la lumière très brillante ;
– 3 : le produit présente un risque même pour des expositions courtes et momentanées.
Les temps limites d’exposition sont présentés pour chacun de ces groupes dans le
Les effets biologiques d’une exposition à la lumière dépendent de l’intensité de la source mais aussi du temps d’exposition. De ce fait, l’Association Advancing Occupational and Environmental Health (ACGIH) et l’International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP) ont fixé des doses rétiniennes limites (en J/cm²). Le seuil de toxicité pour la lumière bleue chez le rat est de 11 J/cm², tandis que chez le macaque il est le 22 J/cm².1, 2 Sur ces bases, le seuil de sécurité (norme ISO 15004-2) a fixé la valeur limite d’exposition (VLE) humaine à 2,2 J/cm². Ainsi, une ampoule à risque 0 atteint cette dose en plus de 10 000 secondes
Arguments « pour » une phototoxicité rétinienne des LED
Dans notre laboratoire, nous avons comparé, chez le rat, les dommages rétiniens induits par les LED à ceux induits par des tubes fluorescents et des ampoules fluocompactes, utilisés à des éclairements équivalents. Les altérations produites par les LED sont plus importantes que celles produites par les autres ampoules, et cela concerne les animaux aussi bien albinos que pigmentés.3 Les altérations de la rétine neurale incluent une augmentation du stress oxydant conduisant à la mort par nécrose des photorécepteurs à des doses lumineuses n’étant pas censées être délétères.4 Nous avons également démontré la participation de la composante bleue des LED dans cette phototoxicité.4
Les altérations de la rétine neurale s’accompagnent d’altérations de l’épithélium pigmentaire de la rétine. Cette monocouche cellulaire est responsable du renouvellement des segments externes des photorécepteurs et du pigment visuel. De plus, elle a une fonction de barrière entre la rétine neurale et la choroïde (barrière hémato-rétinienne). L’exposition aux LED provoque une perte de cellules avec perméabilisation de cette barrière.5 Cela contraste avec les effets des tubes fluorescents, pour lesquels l’exposition des animaux dans les mêmes conditions provoque seulement une augmentation de leur activité métabolique sans signes de perméabilisation de la barrière hémato-rétinienne.
Nous en concluons que, en ce qui concerne les LED, les « valeurs limites d’exposition » sont surestimées. Elles ne sont donc pas suffisamment protectrices.
Arguments « contre » une phototoxicité rétinienne des LED
Les résultats expérimentaux exposés ci-dessus ont été obtenus chez le rat. De ce fait, leur signification chez l’homme est contestée.
Plusieurs arguments sont avancés :
– il existe des différences dans les niveaux d’éclairement rétinien entre le rat et l’homme.6 En effet, la quantité de lumière qui arrive à la rétine dépend de la géométrie de l’œil qui la reçoit. L’éclairement rétinien est inversement proportionnel au carré de la distance focale de l’œil. De ce fait, un œil petit (celui du rat a 0,4 cm de distance focale) reçoit, dans les mêmes conditions d’illumination, plus de lumière qu’un œil plus grand (celui de l’homme fait 1,7 cm). Selon les équations de Sliney,7 un œil de rat pigmenté (dont la contraction pupillaire est efficace) reçoit 1,65 fois plus de lumière que l’œil humain, tandis que pour le rat albinos, dont l’iris est peu protecteur, cette valeur peut être jusqu’à 165 fois plus grande ;
– la rétine du rat, qui est un animal nowcturne, est plus sensible que celle de l’homme qui mène une activité diurne. En effet, les différences de sensibilité se traduisent par les seuils de phototoxicité indiqués plus haut ;
– finalement, un des arguments les plus utilisés est que l’éclairement produit par le soleil est bien plus fort que n’importe quelle ampoule alors que nos yeux « résistent bien » à cette exposition.
Plusieurs arguments sont avancés :
– il existe des différences dans les niveaux d’éclairement rétinien entre le rat et l’homme.6 En effet, la quantité de lumière qui arrive à la rétine dépend de la géométrie de l’œil qui la reçoit. L’éclairement rétinien est inversement proportionnel au carré de la distance focale de l’œil. De ce fait, un œil petit (celui du rat a 0,4 cm de distance focale) reçoit, dans les mêmes conditions d’illumination, plus de lumière qu’un œil plus grand (celui de l’homme fait 1,7 cm). Selon les équations de Sliney,7 un œil de rat pigmenté (dont la contraction pupillaire est efficace) reçoit 1,65 fois plus de lumière que l’œil humain, tandis que pour le rat albinos, dont l’iris est peu protecteur, cette valeur peut être jusqu’à 165 fois plus grande ;
– la rétine du rat, qui est un animal nowcturne, est plus sensible que celle de l’homme qui mène une activité diurne. En effet, les différences de sensibilité se traduisent par les seuils de phototoxicité indiqués plus haut ;
– finalement, un des arguments les plus utilisés est que l’éclairement produit par le soleil est bien plus fort que n’importe quelle ampoule alors que nos yeux « résistent bien » à cette exposition.
Que répondre à ces arguments ?
Les différences dans les niveaux d’éclairement : pour explorer les effets des LED sur l’épithélium pigmentaire de la rétine,5 nous avons utilisé une dose globale de 4,14 J/cm² en 68 400 s, ce qui représente en 10 000 s (temps fixé par la norme) une exposition énergétique en lumière bleue de 0,64 J/cm², bien au-dessous de la dose censée induire des dommages rétiniens chez le rat (11 J/cm²).
Il y a des différences de sensibilité entre les espèces : en effet, les données de phototoxicité montrent un seuil deux fois plus élevé chez le macaque que chez le rat. Une dose de 1,28 J/cm² chez l’homme pourrait-elle induire des dommages similaires ? Nous n’avons pas de données expérimentales mais nous devons reconnaître que ce niveau est au-dessous des 2,2 J/cm² considérés comme sûrs par la législation actuelle.
La lumière du soleil est toujours plus intense et pourtant nos yeux la tolèrent : si la première affirmation est vraie, la deuxième est contestable. En effet, il est maintenant clair que l’apparition de la DMLA est favorisée par l’exposition au soleil.8 De plus, la rétine a son propre rythme circadien, et la sensibilité à la lumière est maximale le soir,9 moment où le soleil ne nous éclaire plus mais où l’éclairage artificiel prend la relève. Une si importante quantité de lumière bleue à ce moment de la journée est inédite dans l’histoire de l’humanité.
Au vu de ces résultats, une question se pose : pourquoi cette différence dans l’évaluation de la phototoxicité entre nos travaux et ceux publiés précédemment ? La réponse est simple, elle est due aux paramètres pris en compte. En effet, la synthèse de Van Norren et Gorgels2 montre clairement que les données de phototoxicité sont obtenues avec l’évaluation des électrorétinogrammes ou du blanchiment de la rétine, tout au plus quelques analyses histologiques, des méthodes moins sensibles que celles que nous avons utilisées.
Il reste à se demander si nos méthodes ne sont pas excessivement sensibles. La réponse est non, nous avons par exemple montré qu’il y a une perte des cellules de l’épithélium pigmentaire de la rétine. Comme ces cellules ne se renouvellent pas, celles qui survivent doivent prendre en charge davantage de photorécepteurs, ce qui accélérerait leur processus de vieillissement et probablement l’apparition de pathologies de cet épithélium liées à l’âge, telles que la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). D’autres auteurs ont aussi pointé du doigt les valeurs limites d’exposition. Une équipe, par exemple, estime que chez le macaque le seuil de toxicité est largement surestimé et arrive aux mêmes facteurs de surestimation que ceux que nous trouvons chez le rat.10
Finalement, deux éléments ne peuvent pas être ignorés :
– les LED utilisées dans le même modèle (rat) aux mêmes doses que d’autres moyens d’éclairement (tubes fluorescents et ampoules fluocompactes) produisent des altérations plus importantes ;3, 5
– en conditions expérimentales, les temps d’exposition sont très courts (1 mois maximum en conditions cycliques), tandis que chez l’homme cette exposition dure toute la vie.
Conclusion
Les études que nous avons réalisées nous portent à demander une réévaluation des « valeurs limites d’exposition » car nous craignons que cette surexposition à une lumière très énergétique pendant les heures de plus forte sensibilité rétinienne ne finisse par épuiser les systèmes de réparation de la rétine menant à une apparition précoce des maladies liées à l’âge telles que la DMLA.
* Alicia Torriglia a reçu pour ce travail le prix Raymonde- Destreicher 2017 de l’Académie nationale de médecine, lors de la séance du 13 mai 2018.* réponse instinctive qui consiste à détourner le regard face à une lumière puissante.
Remerciements aux Drs E. Martin, S. Chahory, Y. Courtois, F. Mascarelli et C. Martinsons pour la relecture critique de ce manuscrit.
Références
1. Ham WT Jr, Mueller HA, Sliney DH. Retinal sensitivity to damage from short wavelength light. Nature 1976;260:153.
2. van Norren D, Gorgels TG. The action spectrum of photochemical damage to the retina: a review of monochromatic threshold data. Photochem Photobiol 2011;87:747-53.
3. Krigel A, Berdugo M, Picard E, et al. Light-induced retinal damage using different light sources, protocols and rat strains reveals LED phototoxicity. Neurosci 2016;339:296-307.
4. Jaadane I, Boulenguez P, Chahory S, et al. Retinal damage induced by commercial light emitting diodes (LEDs). Free Radic Biol Med 2015;84:373-84.
5. Jaadane I, Villalpando Rodriguez GE, Boulenguez P, et al. Effects of white light-emitting diode (LED) exposure on retinal pigment epithelium in vivo. J Cell Mol Med 2017;21:3453-466.
6. Point S, Lambrozo J. Some evidences that white LEDs are toxic for human at domestic radiance? Radioprotection 2017;52:297-9.
7. Landry RJ, Bostrom RG, Miller SA, Shi D, Sliney DH. Retinal phototoxicity: a review of standard methodology for evaluating retinal optical radiation hazards. Health physics 2011;100:417-34.
8. Sui GY, Liu GC, Liu GY, et al. Is sunlight exposure a risk factor for age-related macular degeneration? A systematic review and meta-analysis. Br J Ophthalmol 2013;97:389-94.
9. Organisciak DT, Vaughan DK. Retinal light damage: mechanisms and protection. Prog Retin Eye Res 2010;29:113-34.
10. Hunter JJ, Morgan JI, Merigan WH, Sliney DH, Sparrow JR, Williams DR. The susceptibility of the retina to photochemical damage from visible light. Prog Retin Eye Res 2012;31:28-42.
2. van Norren D, Gorgels TG. The action spectrum of photochemical damage to the retina: a review of monochromatic threshold data. Photochem Photobiol 2011;87:747-53.
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