Le suicide est considéré comme une mort évitable. C’est à partir de 1988 que la prévention du suicide est envisagée comme un enjeu de santé collectif par l’Organisation mondiale de la santé. La recherche, la détection et la prise en charge des personnes suicidaires ou ayant fait une tentative de suicide sont encouragées dans de nombreux pays. Des programmes nationaux de prévention voient alors le jour et affirment la nécessité de mettre en place des mesures collectives de prévention du suicide (voir page suivante l’encadré pour la France) : diminution de l’accès aux moyens létaux, formation des médecins généralistes, formation d’acteurs non médicaux et éducation de la population générale, traitement médiatique responsable de la problématique suicidaire et amélioration de la prise en charge des suicidants (voir le tableau résumant les principales mesures et leur niveau de preuve).

Restriction de l’accès aux moyens létaux

La restriction de l’accès aux moyens létaux est reconnue comme un moyen de prévention simple et efficace.
La possession d’une arme à feu augmente la probabilité de se suicider, quel que soit l’âge. L’adoption de législation concernant leur possession a permis de réduire le taux de suicide par arme à feu dans les pays concernés, en particulier chez les individus souffrant d’un trouble psychiatrique.1
La restriction de l’accès aux antalgiques est une autre mesure ayant démontré son intérêt dans la prévention suicidaire. Alors que 228 suicides au Co-Proxamol en moyenne par an étaient recensés entre 1998 et 2004 en Grande-Bretagne, le retrait du marché de cette molécule en 2005 a permis une réduction importante des suicides liés à ce médicament entre 2005 et 2010 (19 suicides au Co-Proxamol par an en moyenne à cette période). À la suite de la limitation du nombre de comprimés de paracétamol par boîte en 1998 en Grande-Bretagne, il a été estimé qu’en moyenne par trimestre 17 décès par suicide au paracétamol ont pu être évités (intervalle de confiance à 95 % : -25 à -9).2 Des résultats similaires concernent la restriction de la prescription et de la vente de barbituriques.
En Asie, l’empoisonnement par pesticides est une méthode de suicide fréquemment utilisée. Le retrait commercial des pesticides les plus toxiques, les restrictions à la vente ainsi que le stockage de ces produits en zone sûre ont permis de diminuer les taux de suicide dans cette partie du monde.
De même, la limitation du niveau de monoxyde de carbone dans le gaz domestique ainsi que l’introduction des convertisseurs catalytiques sur les voitures et la mise en place de barrières sur les ponts ou les falaises ont impacté le taux de suicide des pays ayant mis en place ces mesures.3 Concernant le métro, l’aménagement de portes palières dans les stations apparaît comme une mesure anti-suicide particulièrement efficiente.
Après ces restrictions, les études ne retrouvent pas de déplacement des moyens létaux vers un autre moyen. La restriction des moyens tant au niveau national (comme la réglementation sur les pesticides) qu’au niveau local ou institutionnel (mise en place de barrières sur les ponts ou mesures préventives de la pendaison et de précipitation en hôpital psychiatrique) est donc efficace pour réduire la mortalité par suicide.

Formation des médecins généralistes

Le dépistage de la crise suicidaire apparaît également être une mesure de prévention du risque suicidaire.
Les médecins généralistes sont des acteurs indispensables dans la prévention du suicide. La formation spécifique à la prise en charge du suicide n’a pas un impact significatif sur la réduction des comportements suicidaires, mais on constate une réduction du taux de suicides aboutis et des tentatives de suicide à la suite de la formation des médecines généralistes au repérage et à la prise en charge de la dépression.4 Ainsi une détection et un traitement plus efficace de la dépression conduisent à une réduction du taux de suicide. Ces résultats s’expliquent aisément par le fait que les troubles de l’humeur sont associés à 60 % des suicides.
Par ailleurs, la moitié des suicides aboutis surviennent lors d’une première tentative. Il est de ce fait probable que les patients n’aient pas été en contact avec la psychiatrie au préalable. Mais plus de la moitié des suicidés avaient consulté leur médecin généraliste avant leur geste.

Formation d’acteurs non médicaux et éducation de la population

Des acteurs non médicaux peuvent aussi jouer un rôle dans la prévention suicidaire.
Par le biais de la formation « Sentinelle », des individus non spécialisés en santé mentale (professeur, étudiant, personnel scolaire…) sont entraînés à la détection et à la prise en charge du risque suicidaire. Les enseignements visent à fournir des outils pour identifier les individus suicidaires et à les informer des prises en charge adaptées. Les résultats des études concernant leur efficacité spécifique anti-suicide restent incertains en l’absence d’essai randomisé contrôlé et en raison de l’évaluation conjointe d’autres dispositifs.5
Compte tenu du risque suicidaire chez les jeunes, les établissements scolaires, via des programmes de prévention du suicide, apparaissent être un relais intéressant. Alors qu’on dénombre de nombreux programmes scolaires ayant pour but d’améliorer les connaissances et les attitudes vis-à-vis du suicide, peu d’études se sont concentrées sur l’intérêt des programmes scolaires dans la réduction des idées et comportements suicidaires. En Europe, dans le cadre de l’étude The Saving and Empowering Young Lives in Europe (SEYLE), divers programmes scolaires de prévention (dont la formation de sentinelles) ont été évalués chez les adolescents de 10 pays.6 Par rapport au groupe contrôle, seul le programme The Youth Aware Mental Health Programme (YAM) a démontré son intérêt pour prévenir les comportements et les idéations suicidaires sévères. On décomptait 34 tentatives de suicide dans le groupe contrôle contre 14 dans le groupe YAM à 12 mois post-intervention (odd ratio : 0,45 ; p : 0,014). Ce programme à destination des étudiants se composait de jeux de rôle, d’un livret éducatif, et de séances de psycho-éducation sur la santé mentale. Les autres programmes évalués dans cette étude ne dé­montraient pas d’effet, que ce soit sur les compor­tements suicidaires ou sur les idéations suicidaires.
Enfin, les programmes publics d’information sur le suicide pourraient améliorer la conscience et les connaissances de ce phénomène ainsi que les attitudes envers cette problématique. Mais les résultats issus de la littérature scientifique sont encore peu convaincants. Seuls deux programmes ont démontré une efficacité. Il est supposé que l’efficacité de ces programmes tient au fait qu’ils sont dispensés à un niveau local et qu’ils associent différentes stratégies (campagnes d’infor­mation, accès aux services de santé adéquats, formation et entraînement des professionnels). L’impact de la campagne est meilleur si elle est répétée, si elle est dispensée sur différents supports et si le message délivré est clair et spécifique. Enfin, les sites éducatifs à destination de sujets jeunes en crise suicidaire ont démontré une amélioration des connaissances sur le suicide ainsi qu’un effet préventif.

Traitement médiatique de la problématique suicidaire

Les médias détiennent également une responsabilité préventive vis-à-vis du suicide. La manière dont le sujet est abordé par les médias peut influencer le taux de suicide, soit facteur de risque, soit facteur de protection.7
Le premier, effet Werther, fait référence à l’augmentation du taux de suicide à la suite de la parution de l’ouvrage Les Souffrances du jeune Werther, de Goethe, en 1774, dans lequel le jeune héros se suicide en raison de la souffrance liée à un amour impossible. Après la publication de cet ouvrage, il y a eu une vague de suicides chez les jeunes Allemands. Un effet de contagion, en particulier chez les jeunes, peut être observé selon la façon dont les médias traitent l’information du suicide. Nombre d’études « écologiques », reprises dans une méta-analyse,7 trouvent une augmentation du taux de suicide consécutivement à la médiatisation de celui d’une célébrité.
Les médias peuvent également jouer un rôle actif dans la prévention du suicide, appelé « effet Papageno ». Les articles mettant l’accent sur la façon dont les individus peuvent faire face à une crise suicidaire sont associés à une diminution des taux de suicide dans la zone géographique où l’audience est la plus importante. Cela est également vrai lorsque les médias soulignent l’issue positive d’une crise suicidaire. Les recommandations du traitement du suicide par les médias classiques ont donc été éditées par divers pays et organisations mondiales.
Parallèlement aux médias traditionnels se développent les réseaux sociaux. Les études traitant de l’impact des réseaux sociaux sur le suicide se sont majoritairement concentrées sur les populations jeunes en raison de leur fréquence d’utilisation de ces sites. Mais les études publiées concernent de petits échantillons et disposent d’un faible niveau de preuve.
En France, le programme Papageno, soutenu par la Direction générale de la santé, a vu le jour en 2014. Il a pour objectif de prévenir la contagion suicidaire de masse et localisée, et de promouvoir un meilleur accès aux soins en s’appuyant sur les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Aussi sur Internet certains moteurs de recherche ont créé des algorithmes pour détecter les individus à risque de passage à l’acte suicidaire. Facebook a récemment mis à jour des outils de prévention du suicide. Le site utilise désormais l’intelligence artificielle pour repérer les sujets à risque via les messages postés. Les utilisateurs peuvent également alerter le site si un message d’un proche les inquiète. Les équipes de Facebook proposent alors une assistance en temps réel ainsi qu’un chat d’aide encadré par des organisations d’intervention de crise. L’efficacité de ces mesures reste toutefois difficile à évaluer.

Améliorer la prise en charge des suicidants

Un antécédent de tentative de suicide est un facteur de risque majeur de récidive. Or la prise en charge des patients après un acte suicidaire est difficile en raison d’une faible adhésion aux soins proposés. L’importance d’améliorer cette prise en charge est soulignée dans les programmes nationaux de prévention du suicide.
Plusieurs essais randomisés contrôlés ont démontré que le maintien du contact avec les patients suicidants est particulièrement efficace pour prévenir la récidive suicidaire. En 2008, une équipe8 a constaté que le maintien du contact avec les suicidants soit par téléphone, soit par visites à domicile permettait une réduction du taux de suicide. Pour les suicidants refusant le traitement, la continuité du contact via des lettres personnalisées apparaît également comme une mesure efficace de prévention de la récidive.
C’est dans ce contexte et sur la base de différentes études que le dispositif VigilanS a été déployé dès 2015 dans plusieurs centres hospitaliers français (v. p 49).

Des mesures efficaces mais toujours trop de suicides

Afin de prévenir le suicide, en complément de la prise en charge individuelle, la mise en place de mesures collectives de prévention est essentielle. Bien que de nombreuses mesures aient déjà prouvé une efficacité certaine, le taux de suicide en France reste élevé, notamment par rapport à certains pays européens voisins. Il apparaît donc nécessaire de continuer les recherches, d’une part sur le phénomène suicidaire, d’autre part sur les outils pour y faire face. 
D’après le site Le portail de la prévention du suicide http://www.preventionsuicide.info/medias/papageno.php
Encadre

Prévention du suicide au niveau national en France

1987 : « loi du 31 décembre 1987 » : la provocation au suicide est définie comme un délit, passible de peines correctionnelles

1991 : mise en place de projets de « recherche-action » sur la prise en charge du suicide menés par un comité de pilotage composé d’experts associé à l’Inserm

30 juillet 1992 : circulaire n° 39-92 DH PE/DGS 3 C du 30 juillet 1992 qui traite de l’organisation des soins aux urgences psychiatriques ; elle aborde la prise en charge du comportement suicidaire et fournit des recommandations de soins

1998-2000 : lancement du « Programme national de prévention du suicide des adolescents et jeunes adultes » par Bernard Kouchner articulé autour de 4 axes : développer l’écoute, mieux prendre en charge les adolescents à l’hôpital, s’appuyer sur les médecins généralistes et initier une politique de communication

2000 : conférence de consensus « La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge » à laquelle participent l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) et la Fédération française de psychiatrie pour améliorer le repérage de la crise suicidaire et l’organisation de sa prise en charge Des mesures collectives telles que la formation à la dépression des médecins généralistes sont citées

2000-2005 : la « Stratégie d’action nationale face au suicide » est annoncée dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. Cette stratégie définit 4 types d’intervention prioritaire : favoriser le dépistage de la crise suicidaire, diminuer l’accès aux moyens létaux, améliorer la prise en charge des suicidants et approfondir la connaissance épidémiologique

2013 : création de l’Observatoire national du suicide

2010-2014 : « Programme national d’actions contre le suicide ». Une attention particulière est portée aux populations plus vulnérables au risque suicidaire

Des actions à mener concernant la prévention, l’amélioration de la prise en charge des suicidants et la postvention sont définies

2018 : l’action n° 6 de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie réaffirme l’importance d’organiser le suivi et le maintien du contact avec les suicidants après leur hospitalisation

2018 : l’Observatoire national du suicide est reconduit pour 5 années supplémentaires

Encadre

Effet Papageno

À l’inverse de « l’effet Werther », « l’effet Papageno », fait référence à une étude1 ayant montré en 2005 que les messages médiatiques peuvent avoir une portée préventive des comportements suicidaires. L’étude a analysé durant 6 mois 497 articles portant sur le suicide, publiés par différents médias écrits distribués sur le territoire autrichien. Cette étude a identifié les associations entre les contenus des médias et les variations dans les taux de suicide selon les régions d’influence des différents journaux étudiés. Les facteurs permettant la prévention sont les suivants :

— les médias abordent l’idéation suicidaire sans parler du passage à l’acte (tentative de suicide et suicide complété) ;

— les médias abordent le vécu de l’idéation suicidaire en mettant l’accent sur la volonté de « continuer à vivre » ;

— les médias mettent en évidence l’importance de l’adoption de mécanismes d’adaptation positifs (coping) pour faire face à la situation.

D’après le site Le portail de la prévention du suicide http://www.preventionsuicide.info/medias/papageno.php
Référence
1. Niederkrotenthaler T, Voracek M, Herberth A, et al. Role of media reports in completed and prevented suicide: Werther v. Papageno effects. Br J Psychiatry 2010;197:234-43.
Références
1. Mann JJ, Michel CA. Prevention of firearm suicide in the United States: what works and what is possible. Am J Psychiatry 2016;173:969-79.
2. Hawton K, Bergen H, Simkin S, et al. Long term effect of reduced pack sizes of paracetamol on poisoning deaths and liver transplant activity in England and Wales: interrupted time series analyses. BMJ 2013;346:f403.
3. Zalsman G, Hawton K, Wasserman D, et al. Suicide prevention strategies revisited: 10-year systematic review. Lancet Psychiatry 2016;3:646-59.
4. Du Roscoat E, Beck F. Efficient interventions on suicide prevention: a literature review. Rev Epidemiol Sante Publique 2013;61:363-74.
5. Isaac M, Elias B, Katz LY, et al. Gatekeeper training as a preventative intervention for suicide: a systematic review. Can J Psychiatry 2009;54:260-8.
6. Wasserman D, Hoven CW, Wasserman C, et al. School-based suicide prevention programmes: the SEYLE cluster-randomised, controlled trial. Lancet 2015;385:1536-44.
7. Niederkrotenthaler T, Voracek M, Herberth A, et al. Role of media reports in completed and prevented suicide: Werther v. Papageno effects. Br J Psychiatry 2010;197:234-43.
8. Fleischmann A, Bertolote JM, Wasserman D, et al. Effectiveness of brief intervention and contact for suicide attempters: a randomized controlled trial in five countries. Bull World Health Organ 2008;86:703-9.

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Résumé

Le suicide est une mort évitable qui nécessite la mise en place d’actions de prévention individuelles et collectives. Un moyen simple et efficace consiste en la restriction de l’accès aux moyens létaux (armes à feu, médicaments, lieux de précipitation). Aussi les programmes de sensibilisation en milieu scolaire, et la formation des médias et de sentinelles au traitement de l’information liée aux suicides sont d’autres moyens de prévention. Sur le plan de l’organisation des soins, la formation des médecins généralistes au repérage et à la prise en charge de la dépression et le maintien du contact avec les personnes suicidaires sont des éléments de prévention efficaces.