Pharmacovigilance. L’article de Catherine Hill « Il faut changer les pratiques de la pharmacovigilance ! » (Rev Prat 2017;67:819-23) a suscité une réponse d’Annie-Pierre Jonville-Bera, présidente du Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance, que nous publions ci-dessous, suivie d’une réponse de Catherine Hill (« La pharmacovigilance française persiste dans ses erreurs »).


L’article de Catherine Hill (Rev Prat 2017;67:819-23) qui remet en cause les méthodes utilisées par la pharmacovigilance française appelle plusieurs commentaires.

La notification spontanée

L’objectif de la notification spontanée est de détecter des signaux. Elle n’a jamais eu ni pour vocation ni pour ambition de garantir l’exhaustivité du recueil des effets indésirables médicamenteux, encore moins de mesurer un risque. Vouloir recueillir la totalité des effets indésirables, même en ne ciblant que les graves, est irréaliste, leur incidence étant très élevée avec certains médicaments (pouvant même approcher 100 % comme avec certains médicaments utilisés en cancérologie). De plus, un recueil exhaustif des effets indésirables médicamenteux nécessiterait des moyens humains énor-mes tant pour leur déclaration que pour leur analyse et n’améliorerait probablement pas la détection de signal. La sous-notification est souvent présentée comme le défaut majeur de la pharmacovigilance française. Mais la France n’a pas à rougir de son taux de notification. Ainsi, 16 % des noti- fications enregistrées dans la base européenne viennent de France, alors que la population française ne représente que 13 % de la population de l’Union européenne.1 De même, la France est le quatrième pays contributeur au niveau international, avec 4 % du nombre total de cas d’effets indésirables recueillis par les 110 pays contribuant à la base de l’Organisation mondiale de la santé.1 L’absence d’exhaustivité n’est d’ailleurs nullement gênante pour la détection de signal. Pour preuve, les 31 centres régionaux de pharmacovigilance français ont individualisé plus de 200 notifications comme des signaux potentiels rien que pour l’année 2015, signaux qui ont été transmis à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) afin d’être examinés pour confirmer ou non l’existence d’une alerte.2 Depuis plus de 40 ans, ces milliers d’alertes ont conduit au retrait, à la restriction et/ou à l’amélioration du bon usage de centaines de médicaments. Le recueil exhaustif de tous les effets indésirables médicamenteux conduirait, faute de moyens pour les analyser (l’analyse clinique et pharmaco- logique étant indispensable à leur prise en compte), à un simple enregis- trement de milliers d’événements dénués de pertinence clinique, donc inutilisables pour l’évaluation des risques d’un médicament et diminuerait la probabilité de détecter un signal.

L’imputabilité

La méthode d’imputabilité3 est également remise en cause, en parti- culier pour la détection de signal. Mais les pharmacologues n’utilisent jamais le score d’imputabilité pour déterminer si un cas est un signal potentiel, comme en témoignent les cas marquants signalés à l’ANSM par les centres régionaux de phar- macovigilance au sujet des risques du valproate de sodium.4 Afin d’illustrer la mauvaise concordance des experts en termes d’imputabilité, l’auteur présente dans le tableau 1 reproduit ici un échantillon de 8 notifications impliquant le valproate de sodium pendant la grossesse, considérant sans doute que l’imputabilité devrait être identique. Si un novice peut effectivement s’étonner de cette apparente hétérogénéité, le phar- macologue clinicien peut tout à fait l’expliquer ! Ainsi les cas nos 1, 4 et 7 correspondent à des manifestations néonatales à type de syndrome de sevrage ou d’imprégnation chez des nouveau-nés exposés in utero au valproate de sodium mais également à d’autres médicaments (phénobarbital, benzodiazépine, inhibiteur de la recapture de la sérotonine…). L’imputabilité sémiologique est donc plus élevée (S2) pour les médicaments dont les effets pharmacologiques expliquent la survenue de manifestations cliniques reflétant une impré- gnation ou un sevrage (phénobarbital, clonazépam, paroxétine…). Les cas nos 2, 3, 6 et 8 sont des malformations après exposition in utero au valproate de sodium. La différence de score chronologique (C2) peut s’expliquer par une période d’exposition fœtale différente : C2 lorsqu’elle concorde avec le type de malformation observée par rapport au calendrier de formation des organes, C1 si l’exposition a pris fin avant la formation de l’organe considéré ou a débuté après sa fin. Enfin, le cas no 5 associe des malformations et des manifestations néonatales, ces dernières expliquant là aussi un score sémiologique plus élevé pour le valproate de sodium. Cette apparente discordance ne fait que confirmer que des connaissances médicales et pharmacologiques sont indispensables à la réalisation d’une pharmacovigilance « cliniquement pertinente ». En ce sens, l’imputabilité sert à déterminer, parmi les médicaments pris, celui qui a la probabilité la plus élevée d’être en cause, dans un effet donné. Enfin, comme le prouve ce tableau, l’analyse n’est pas centrée sur les patients en monothérapie comme l’affirme l’auteur et tous les médicaments pris sont bien pris en compte. Faire table rase des méthodes utilisées actuellement en pharmacovigilance et favoriser le signalement exhaustif, donc dépouillé de toute analyse clinique et pharmacologique, conduirait, au contraire, à la sélection de déclarations ciblant un seul médicament, médicament que le patient ou le prescripteur désignerait comme coupable.

La littérature scientifique et la prise en compte des facteurs de confusion

On ne peut qu’adhérer à la critique de Catherine Hill sur les niveaux de preuve utilisés pour évaluer les risques. Ainsi, les publications des essais cliniques portant sur un médicament favorisent la présentation des bénéfices et analysent souvent mal les risques, oubliant le manque de puissance de ces études pour mettre en évidence un effet indésirable rare, ou risque bêta.5 Sur ce point, une analyse plus « sécuritaire » des données de tolérance rapportées dans les publications des essais serait une avancée majeure.
En revanche, limiter l’évaluation des risques d’un médicament pendant la grossesse à la réalisation d’essais cliniques est réducteur (car il y a d’autres méthodes) et dangereux (car à risque pour les fœtus). Le problème de l’évaluation des effets liés à une exposition médicamenteuse in utero est bien plus complexe. Une des réponses apportées par les centres régionaux de pharmacovigilance est l’enregistrement exhaustif et le suivi prospectif de toutes les grossesses exposées à un ou plusieurs médicaments pour lesquelles ils sont interrogés. Quand le nombre est suffisant, cela permet de comparer les issues de ces grossesses constituant une cohorte de fœtus exposés (incidence des malformations, type…) à celles de grossesses exposées à d’au- tres médicaments ou à celles de patientes atteintes de la même pathologie mais non traitées ou traitées par d’autres médicaments (cohortes témoins). Cette base nationale de données,6 nommée Terappel, permet de réaliser des études sur les effets des médicaments pendant la grossesse et de détecter des risques, une mise en commun des données françaises et européennes permettant d’augmenter les effectifs des études.7, 8

Une alerte doit être suivie par une étude mesurant le risque

La sous-notification n’est donc pas un problème en soi, car l’alerte générée par quelques cas bien documentés est maintenant très souvent complétée par des études de pharmaco-épidémiologie.9 Ainsi, des pharmacologues cliniciens développent des méthodes de pharmaco-épidémiologie adaptées, permettant de valider les signaux sur les risques inhérents aux médicaments.10, 11 La pharmaco-épidémiologie n’est donc pas totalement ignorée par la pharmacovigilance. Des équipes françaises de pharmacologues sont à l’origine de très nombreuses études de pharmaco-épidémiologie, études qui permettent quotidiennement de mieux évaluer les risques des médicaments, et pas seulement à l’occasion de « scandales » sanitaires médiatisés.12, 13

Réformer en urgence la pharmacovigilance ?

Non, il ne faut pas réformer les méthodes de pharmacovigilance que nous utilisons, car elles ont largement fait leur preuve, et la lecture des expertises réalisées par les centres régionaux de pharmacovigilance permet de confirmer que ce sont bien les patients que nous protégeons !14 Certes, il est toujours possible de mieux faire. Comme les autres spécialités médicales, la phar- macologie clinique évolue. Elle utilise et développe de nouveaux outils, plus complexes, pour l’évaluation des ris-ques liés aux médicaments. Ces outils viennent compléter les signaux générés par les centres régionaux de pharmacovigilance, signaux reposant sur des cas d’effets indésirables médicamenteux en provenance non pas tant de la notification spontanée mais des questions posées par des médecins pour le diag- nostic et la prise en charge d’un potentiel effet indésirable. En effet, les centres régionaux de pharmacovigilance sont de fait, par leurs compétences (médicales et pharmacologiques) et de leurs activités, des centres de détection et de diagnostic des effets indésirables médicamenteux. Ainsi, les nombreux signaux transmis par ces centres à l’ANSM conduisent annuellement à la prise de plusieurs dizaines de mesures sanitaires, afin de protéger les patients. Pour un nouveau risque, l’agence française est d’ailleurs très souvent la première à lancer l’alerte, avant les agences des autres États (européens ou non), ce qui explique sans doute que nombreux sont ceux qui nous envient notre système national de pharmacovigilance !

Références

1. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Rapport d’activité 2016. http://ansm.sante.fr

2. Jonville-Béra AP, Mallaret M, Sgro C ; l’Association française des centres régionaux de pharmacovigilance. Le congrès de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique célèbre à Nancy, le 20 avril 2016, les 40 ans des centres régionaux français de pharmacovigilance ! Thérapie 2016;71:351-4.

3. Miremont-Salamé G, Théophile H, Haramburu F, Bégaud B. Imputabilité en pharmacovigilance : de la méthode française originelle aux méthodes réactualisées. Thérapie 2016;71:171-8.

4. Inspection générale des affaires sociales. Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium. IGAS, rapport n° 2015-094R, février 2016. http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2015-094R.pdf

5. Jonville-Béra AP, Giraudeau B, Autret-Leca E. Reporting of drug tolerance in randomized clinical trials: when data conflict with authors’ conclusions. Ann Intern Med 2006;144:306-7.

6. Vial T, Gouraud A, Bernard N. Térappel : description et exemple(s) d’exploitation. Thérapie 2014;69:31-8.

7. Auffret M, Bernard-Phalippon N, Dekemp J, et al. Misoprostol exposure during the first trimester of pregnancy: is the malformation risk varying depending on the indication? Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2016;207:188-92.

8. Winterfeld U, Merlob P, Baud Det al. Pregnancy outcome following maternal exposure to pregabalin may call for concern. Neurology 2016;86:2251-7.

9. Paludetto MN, Olivier-Abbal P, Montastruc JL. Is spontaneous reporting always the most important information supporting drug withdrawals for pharmacovigilance reasons in France? Pharmacoepidemiol Drug Saf 2012;21:1289-94.

10. Faillie JL, Montastruc F, Montastruc JL, Pariente A. Pharmacoepidemiology and its input to pharmacovigilance. Thérapie 2016;71:211-6.

11. Bezin J, Duong M, Lassalle R, et al. The national healthcare system claims databases in France, SNIIRAM and EGB: Powerful tools for pharmacoepidemiology. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2017;26:954-62.

12. Arnaud M, Bégaud B, Thiessard F, Jarrion Q, Bezin J, Pariente A, Salvo F. An automated system combining safety signal detection and prioritization from healthcare databases: a pilot study. Drug Saf 2017. doi:10.1007/s40264-017-0618-y.

13. Hurault-Delarue C, Chouquet C, Savy N, Lacroix I, Beau AB, Montastruc JL, Damase-Michel C. Interest of the trajectory method for the evaluation of outcomes after in utero drug exposure: example of anxiolytics and hypnotics. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2017;26:561-93.

14. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Comité technique de pharmacovigilance. http://ansm.sante.fr/L-ANSM/Comites-techniques

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