La baisse de la qualité du sperme (notamment nombre et concentration des spermatozoïdes) depuis 50 ans dans les pays à hauts revenus a déjà été évoquée dans plusieurs études. Aujourd’hui, pour la première fois, une vaste méta-analyse – incluant plus de 200 études sur 6 continents et 53 pays – montre que ce déclin touche le monde entier et s’accélère depuis les années 2000… Faut-il s’inquiéter ?

Déclin des paramètres spermatiques depuis 1970 dans le monde

Si de nombreux travaux ont étudié le déclin de la qualité spermatique et d’autres paramètres de la santé reproductive des hommes au cours des dernières décennies, cette revue systématique et méta-analyse est la première qui montre que ce déclin est une tendance globale (et pas seulement le fait de pays à hauts revenus).

Ces mêmes auteurs avaient, en effet, publié en 2017 un papier qui avait montré une baisse de plus de 50 % dans le nombre et la concentration des spermatozoïdes entre 1973 et 2011 dans des pays d’Amérique du Nord et d’Europe, ainsi qu’en Australie et Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, ils complètent ces résultats en incluant des études qui concernent des pays d’Asie, Afrique et Amérique du Sud. Au total, 223 études ont été incluses, menées dans plus de 50 pays, donnant près de 300 estimations de nombre et concentration de spermatozoïdes sur des échantillons collectés entre 1973 et 2018. Leurs résultats ont été publiés en novembre dans la revue Human Reproduction Update.

Les données étaient divisées en deux groupes : les hommes qui n’avaient pas été sélectionnés par un statut de fertilité (par exemple, hommes jeunes ne connaissant pas leur fertilité, ayant donné un échantillon de sperme dans le cadre d’un bilan de santé) et ceux présumés fertiles (car ayant un enfant ou une partenaire enceinte). Sur le total des données, 41 % concernaient la population générale masculine (hommes « non sélectionnés ») en Amérique du Nord, Europe et Australie et 12 % celle des pays d’Asie, Afrique et Amérique du Sud ; le reste concernait les sous-groupes d’hommes présumés fertiles. Par ailleurs, les chercheurs ont exclu les études ayant sélectionné des participants dont l’infertilité était déjà établie ou possible en raison de divers facteurs – anomalies génitales, maladies, prise de certains médicaments, certaines expositions (tabagisme, expositions environnementales professionnelles…).

D’après cette méta-analyse, la concentration moyenne des spermatozoïdes a diminué considérablement entre les années 1970 et aujourd’hui, passant de 101 millions/mL à 49 millions/mL, ce qui correspond à un déclin de 1,16 %/an. Ces chiffres correspondent au sous-groupe des hommes « non sélectionnés » pour un critère de fertilité ; pour le total des hommes étudiés (incluant donc ceux dont la fertilité était connue), ils étaient de 84 millions/mL en 1973 versus 57 millions/mL en 2018, avec un déclin de 0,71 %/an. Les résultats étaient similaires pour le nombre total de spermatozoïdes, avec une baisse globale de 62 % sur la période.

Ce déclin semblait plus fort dans les pays du Nord : 1,25 %/an pour les hommes d’Amérique du Nord, Europe (et Australie) versus 0,96 % en Asie, Afrique et Amérique du Sud, soit des concentrations moyennes de spermatozoïdes passant respectivement de 104 millions/mL à 49 millions/mL et de 88 millions/mL à 61 millions/mL.

Enfin, il semblait s’accélérer au XXIe siècle : après 2000, le rythme de la baisse de la concentration de spermatozoïdes était de 2,64 % par an (soit plus du double du rythme observé dans les années précédentes).

Quelles conséquences sur la fertilité ?

Bien que le nombre de spermatozoïdes soit un indicateur imparfait de la fertilité, il s’agit d’un paramètre étroitement lié aux chances de fécondation. Par exemple, il existe une relation (non linéaire) entre la concentration de spermatozoïdes et les chances de conception : en-deçà d’un seuil de 40-50 millions/mL, la probabilité de conception diminue rapidement à mesure que la concentration baisse. Dès lors, à l’échelle de la population mondiale, la baisse rapportée de la concentration moyenne de spermatozoïdes de plus de 100 à 49 millions/mL peut impliquer une augmentation substantielle de la proportion d’hommes dont le délai de conception est retardé.

Toutefois, cette méta-analyse n’a pas étudié d’autres paramètres de la qualité spermatique, tels que la motilité ou la morphologie.

Mieux élucider les causes

Si l’étude n’évoque pas d’hypothèses pour expliquer le déclin de ces paramètres spermatiques, la presse grand public l’a amplement relayée en pointant tout d’abord le rôle des perturbateurs endocriniens comme les phtalates ou le bisphénol A, mais les causes restent à élucider de façon plus précise. En plus des expositions environnementales à certaines substances (dont, effectivement, des perturbateurs endocriniens, notamment ceux à activité estrogénomimétique ou antiandrogéniques, mais aussi certains médicaments…), des facteurs liés en particulier aux modes de vie sont souvent invoqués pour leurs répercussions négatives sur la fertilité : tabagisme, consommation d’alcool, sédentarité, obésité, stress… Enfin, d’autres facteurs non encore identifiés pourraient être en cause et mériteraient d’être élucidés.

En parallèle de cette tendance à la baisse du nombre de spermatozoïdes, d’autres études observent des diminutions des taux de testostérone, ainsi qu’une augmentation du cancer des testicules et des anomalies génitales masculines – les auteurs pointent ainsi un déclin plus large dans la santé reproductive masculine au niveau mondial, décrit par d’autres scientifiques déjà comme une « crise ». Par ailleurs, ils soulignent que des preuves de plus en plus solides trouvent une relation entre la réduction du nombre et de la concentration de spermatozoïdes et l’augmentation de la mortalité et de la morbidité des hommes toutes causes confondues…

Pour en savoir plus

Levine H, Jørgensen N, Martino-Andrade A, et al. Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis of samples collected globally in the 20th and 21st centuries. Hum Reprod Update 15 novembre 2022.
Lire aussi :
Hocq H, Braham I, Hinault-Boyer C, et al. Impact de l’environnement sur la fertilité. Rev Prat Med Gen 2022;36(1069);333-6.

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