En France, environ une personne sur cinq serait tatouée, d’après un sondage Ifop conduit en 2018 sur un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population. Cette proportion est en augmentation, tous âges confondus, par rapport aux précédentes enquêtes (2010 : 10 % ; 2016 : 14 %). De plus, en 2018, elle est beaucoup plus importante chez les moins de 35 ans (29 %) que chez les 50 - 64 ans (10 %). Ces deux tendances suggèrent que la pratique des tatouages s’est démocratisée aux cours des dernières décennies. Cette popularité croissante, aussi constatée dans d’autres pays – 20 % des personnes en Europe et 30 % aux États-Unis seraient tatouées aujourd’hui – interroge sur les potentiels effets de cette pratique sur la santé.
Certaines substances chimiques contenues dans les encres de tatouage sont classées comme cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer, par exemple des amines aromatiques primaires, des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des métaux. Toutefois, les potentiels effets cancérigènes des tatouages ne sont pas complétement compris. Les cancers cutanés sur tatouage, qui sont les plus étudiés, sont actuellement considérés comme fortuits (hormis pour le kérato-acanthome, qui peut apparaître rapidement après la confection d’un tatouage chez les plus de 50 ans). En revanche, très peu de travaux ont exploré le lien avec d’autres types de cancer, par exemple les lymphomes (alors que le dépôt de pigments de tatouage dans les ganglions lymphatiques a été documenté).
C’est chose faite, grâce à la première étude cas-témoin basée sur une cohorte nationale suédoise, dont les résultats viennent de paraître dans eClinicalMedicine .
Un sur-risque de 21 %
Les chercheurs ont identifié tous les cas de lymphome malin diagnostiqués en Suède entre 2007 et 2017, chez des personnes âgées d’entre 20 et 60 ans (N = 2 938), grâce au registre national des cancers. Les sous-types les plus fréquents étaient le lymphome diffus à grandes cellules B (28 %), le lymphome hodgkinien (21 %) et le lymphome folliculaire (18 %). Chaque cas a été apparié aléatoirement à trois personnes de mêmes âge et sexe sans diagnostic de lymphome, constituant une population totale de près de 12 000 personnes.
L’exposition aux tatouages a ensuite été documentée par le biais d’un questionnaire complété en 2021, auquel a répondu la moitié de la cohorte (54 % des cas et 47 % des témoins). Ainsi, la prévalence du tatouage a été estimée à 21 % parmi les cas et 18 % parmi les témoins. Le questionnaire a également renseigné sur l’âge lors du premier tatouage, la surface du corps tatouée et les couleurs des tatouages.
L’analyse ajustée sur des caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, niveau d’éducation, état civil, revenus) et le tabagisme a révélé un sur-risque de lymphome (tous types confondus) de + 21 % chez les personnes tatouées par rapport aux non-tatouées (incidence rate ratio [IRR] = 1,21 ; IC95 % : 0,99 à 1,48). Le risque le plus élevé était constaté pour le lymphome diffus à grandes cellules B (IRR = 1,30 ; IC95 % : 0,99 à 1,71) et le lymphome folliculaire (IRR = 1,29 ; IC95 % : 0,92 à 1,82).
Il s’agit ainsi de la première étude épidémiologique mettant en évidence une association entre l’exposition aux tatouages et la survenue d’un lymphome. Les perturbations immunitaires causées par les produits chimiques liés aux tatouages et déposés dans le système lymphatique pourraient expliquer cette association, mais cette étude ne permet pas de conclure à un lien de causalité – ce pour quoi des recherches supplémentaires sont nécessaires.
Cette étude a également montré que le risque était le plus élevé dans les 2 ans après la réalisation du premier tatouage (IRR = 1,81 ; IC95 % : 1,03 à 3,20), il diminuait pour les durées d’exposition intermédiaires (3 à 10 ans) et augmentait à nouveau à partir de 11 ans après le premier tatouage (IRR = 1,19 ; IC95 % : 0,94 à 1,50). Selon les auteurs, cela suggère que l’exposition à l’encre de tatouage pourrait être associée à la fois à l’apparition de tumeurs (latence de plusieurs années) et à la stimulation de leur développement (effets plus rapides), mais, là encore, un lien de causalité n’est pas démontré par cette étude. Les auteurs appellent ainsi à mieux étudier la toxicocinétique des encres de tatouage.
D’autres associations à explorer
Les auteurs n’ont pas trouvé de différence de risque associée à la surface corporelle tatouée – ce qui peut paraître contre-intuitif – ni aux couleurs des encres, mais ils soulignent que ces variables étaient sujettes à des biais de classification erronée (la surface tatouée était renseignée pour l’année du questionnaire et non par rapport à l’année du diagnostic de cancer), et les analyses manquaient ainsi de puissance. Pour mieux étudier cette association, les études futures doivent être plus exhaustives (consigner toutes les années où les participants ont été tatoués).
Enfin, dans cette cohorte, le traitement au laser pour le détatouage semblait augmenter considérablement le risque de lymphome. En effet, parmi les participants tatoués ayant subi un traitement au laser pour enlever le tatouage, le risque relatif de lymphome était de 2,63 par rapport aux non-tatoués (contre 1,19 chez les participants n’ayant pas enlevé leur tatouage). Néanmoins, l’estimation étant associée à un large intervalle de confiance (IC95 % : 0,96 à 7,18) en raison du faible effectif, des recherches plus approfondies sont nécessaires.
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Kluger N. Tatouages : quelles complications ? Rev Prat (en ligne) 5 septembre 2023.
Nobile C. Les tatouages augmentent-ils le risque de cancer ? Rev Prat (en ligne) janvier 2024.
Kluger N. Été et tatouages ne font pas bon ménage ! Rev Prat (en ligne) 11 août 2024.