Les patients immunodéprimés sont particulièrement vulnérables et à risque de forme grave de Covid. Il est donc essentiel de connaître l’efficacité et la tolérance des vaccins actuellement disponibles dans ces populations.
S’il n’y a pas de rationnel pour penser que l’immunodépression puisse favoriser la survenue d’effets indésirables particuliers, une baisse de l’efficacité est tout à fait possible. La plupart des immunodépressions et des traitements immunosuppresseurs pourraient diminuer l’immunogénicité (baisse du nombre et de la fonctionnalité des lymphocytes T CD4, des anticorps Ig M et Ig A), et la durée de la réponse vaccinale.
Cela a été montré par exemple pour le vaccin antigrippal : le taux de séroconversion après vaccination est inférieur chez les patients atteints de cancer. Cependant, l’efficacité clinique constatée chez les malades cancéreux vaccinés par rapport à ceux qui n’ont pas reçu de vaccin reste en faveur de la vaccination. Des données récentes ont également confirmé le bénéfice net de la vaccination antigrippale chez les patients atteints de tumeur solide.
Qu’en est-il de la vaccination contre le SARS-CoV-2 ?
Une étude américaine de la Johns Hopkins University publiée dans le JAMA a quantifié la réponse humorale après vaccination chez 436 patients transplantés d'organes solides, dont aucun n’avait eu la Covid précédemment. Les patients inclus ont reçu une dose de vaccin à ARN messager entre le 16 décembre 2020 et le 5 février 2021 (61 % de femmes ; âge médian : 55,9 ans ; 52 % ont reçu le vaccin Pfizer et 48 % Moderna). Le temps médian depuis la transplantation était de 6,2 ans. Ils étaient traités par les immunosuppresseurs suivants : tacrolimus (83 %), corticostéroïdes (54 %), mycophénolate (66 %), azathioprine (9 %), sirolimus (4 %) et évérolimus (2 %).
20 jours (en moyenne) après avoir reçu la première dose du vaccin Pfizer ou Moderna, seulement 17 % des participants avaient des anticorps neutralisants contre le SARS-CoV-2 (76 des 436 participants). Rappelons que, dans les essais cliniques de ces deux vaccins à ARN chez les personnes immunocompétentes, ce taux était de 90 %.
Les patients dont le traitement antirejet comportait des antimétabolites (cellcept, myfortic, mycophénolate mofétil,azathioprine…) avaient moins de chances de développer des anticorps que ceux ne recevant pas un tel traitement immunosuppresseur (37 % vs 63 %). Les patients ayant reçu le vaccin Moderna avaient deux fois plus de chances de développer ces anticorps que ceux ayant reçu le vaccin Pfizer (69 % vs 31 %).
Ces résultats semblent confirmés par une autre étude strasbourgeoise, en preprint (non encore revue par ses pairs) incluant 242 transplantés rénaux : 28 jours après la première dose du vaccin Moderna, seulement 10,8 % produisaient des anticorps. Une meilleure réponse serait obtenue chez les patients greffés depuis plus longtemps, qui reçoivent un traitement antirejet moins lourd et qui ont une meilleure fonction rénale.
Ainsi, en attendant les données après la deuxième injection, les patients greffés et vaccinés ne devraient pas, pour le moment, considérer qu’ils sont protégés…
Quelles sont les données chez les patients atteints de cancer ?
Les résultats intermédiaires d’une étude anglaise sur l'innocuité et l'efficacité du vaccin Pfizer ont été publiés en preprint. Cet essai a inclus 54 témoins sains et 151 patients, pour la plupart âgés, atteints de tumeurs malignes solides et hématologiques.
41,3 % (38/92) des patients avec une tumeur solide et 47 % (26/55) de ceux ayant un cancer hématologique avaient eu un traitement anticancéreux dans les 15 jours précédant la 1ère dose du vaccin (chimiothérapie ou immunothérapies).
Le vaccin était très bien toléré. Cependant, contrairement à ses très hautes performances chez les témoins sains (efficacité > 90 %), l'efficacité d’une dose unique de vaccin Pfizer était de 40 % chez les patients avec un cancer solide ; elle était encore plus faible chez les patients atteints d'un cancer hématologique : inférieure à 15 %. En revanche, après la 2e dose administrée à 21 jours, l'efficacité chez les patients atteints de cancer solide a été considérablement et rapidement augmentée (95 % dans les 2 semaines suivant le rappel). Les données pour les patients avec cancers hématologiques n’étaient pas exploitables car ceux recevant les 2 doses de vaccins étaient trop peu nombreux. En effet, en Angleterre, contrairement à la France, la 2e dose des vaccins à ARN a été différée à 12 semaines au cours de cette étude afin de maximiser la couverture de la population. Les auteurs concluent que ces données plaident en faveur de la priorisation des patients cancéreux pour une deuxième dose précoce (21 jours) du vaccin Pfizer ; d’autre part, étant donné les réponses globalement médiocres à la vaccination chez les patients atteints de cancers hématologiques, ils suggèrent également de pratiquer des tests sérologiques post-vaccination chez ces patients, et de promouvoir la vaccination de leurs proches.
L’étude des réponses après la 2e dose, également au niveau de l’immunité cellulaire, est cruciale pour envisager des possibles modifications de la stratégie vaccinale dans ces populations immunodéprimées : rappels supplémentaires, combinaison de vaccins différents, augmentations les doses, ajout d’adjuvants pour « booster » la réponse…
Des essais cliniques et des études de cohorte sont en cours pour apporter des réponses à cette problématique, y compris en France….
Cinzia Nobile
Pour en savoir plus
Monin-Aldama L ; Laing AG, Muñoz-Ruiz M, et al. Interim results of the safety and immune-efficacy of I versus 2 doses of COVID-19 vaccine BNT 162b2 for cancer patients in the context of the UK vaccine priority guidelines. medRxiv. 2021 21253131.