Plusieurs pathologies peuvent se manifester par des lésions blanches de la cavité buccale. Il faut savoir différencier les formes pseudomembraneuses des kératoses potentiellement malignes, pour bien orienter le patient.
Stomatites candidosiques
Les stomatites mycosiques sont le plus souvent dues à Candida albicans. L’infection touche plus volontiers l’immunodéprimé bien qu’elle soit largement favorisée par des facteurs exogènes : antibiotiques, bains de bouche en excès, tabac, prothèses anciennes, asialie, médicaments sialoprives – certains antidépresseurs et anxiolytiques –, corticoïdes au long cours, immunosuppresseurs. La mycose aiguë se traduit par une efflorescence d’enduits ou de pseudomembranes blanchâtres (joues, palais) appelée « muguet » (fig. 1) qui se décolle au grattage, découvrant une muqueuse érythémateuse. Des formes purement érythémateuses existent.
En cas de doute, un prélèvement est nécessaire pour examen à l’état frais au microscope (montrant des filaments ou pseudofilaments, signe du passage à l’état parasitaire) et mise en culture. Le traitement prend en compte les causes générales et locales, qu’il faut si possible éliminer.
Un antifongique topique est prescrit en première intention : amphotéricine B, nystatine en suspensions buvables, miconazole en gel buccal. L’administration systémique est indiquée en cas d’immunodépression prononcée et de lésions majeures, par fluconazole par exemple. L’amphotéricine B (Fungizone) est efficace à condition d’une bonne observance : 1 cuillère à café 4 fois/j en bain de bouche, puis à avaler, pendant 2 à 3 semaines. Si le patient a des prothèses dentaires amovibles, il faut les nettoyer aussi, avec une brosse dédiée et du savon de Marseille, puis placer une goutte de Fungizone dans l’intrados avant remise en bouche (surtout ne pas les laisser tremper).
Leucoplasie : kératose tabagique
Une leucoplasie est une « lésion blanche à risque discutable de cancérisation ». C’est un terme purement clinique et n’a aucune spécificité histologique.
On distingue deux aspects des lésions : homogènes ou non homogènes.
La leucoplasie homogène (fig. 2) est une plaque blanche clairement circonscrite, plane ou légèrement surélevée, lisse ou uniformément rugueuse, légèrement granulaire et ondulée, parfois traversée par de fines crevasses ou fissures sans érythème ou avec un érythème discret et uniforme sans érosions. Cette forme, la plus fréquente, a rarement des aspects histologiques inquiétants (dysplasies) et subit rarement une transformation maligne.
Les leucoplasies non homogènes (fig. 3) ont un aspect érythémateux, érosif, verruqueux ou nodulaire sur toute leur surface ou par endroits. La surface est irrégulière aussi en épaisseur. L’aspect peut être une plage érythémateuse mouchetée de kératose ou érythroleucoplasie, avec un risque élevé de transformation.
Les lésions sont liées à une cause (usage du tabac ou de la noix d’arec), ou idiopathiques.
Diagnostics différentiels : white sponge naevus, kératose frictionnelle, tic de mordillement, lésion chimiquement induite, candidose pseudomembraneuse, lichen plan, « leucoplasie » chevelue. Une biopsie est le plus souvent indiquée : elle affirme le diagnostic et constate ou non la présence de dysplasie, meilleur élément prédictif d’une future transformation maligne.
L’évolution des leucoplasies peut être marquée par une régression, une extension lésionnelle, une modification de l’aspect d’homogène à non homogène, ou par une dégénérescence maligne. Cela impose une surveillance clinique et histologique biannuelle pendant une longue période : l’objectif est de permettre un diagnostic très précoce de la cancérisation à un stade où les possibilités thérapeutiques sont efficaces sans répercussions majeures sur la qualité de vie.
Le traitement repose principalement sur l’élimination des facteurs de risque (tabac, noix d’arec) et sur l’exérèse chirurgicale qui permet un contrôle histologique de la totalité de la pièce chirurgicale et de ses bords, et confirme le diagnostic porté sur la biopsie. La destruction par le laser CO2 est exceptionnelle car elle ne permet pas l’analyse histologique. Malgré la chirurgie, les récidives sont fréquentes et la transformation maligne est toujours possible.
Lichen plan buccal
C’est une maladie dermatologique inflammatoire chronique survenant surtout chez l’adulte d’âge moyen. On estime que 30 à 77 % des malades ayant un lichen plan cutané ont une atteinte muqueuse associée. Le lichen plan muqueux isolé représente 25 % des cas de lichen plan.
Sa cause est inconnue. Dans les zones atteintes, les lymphocytes T s’accumulent en dessous de l’épithélium et augmentent le rythme de différenciation épithéliale. Il en résulte une hyperkératose et un érythème avec ou sans érosion.
Très souvent, le début est insidieux : les patients se plaignent d’une rugosité dans la cavité buccale et/ou d’une sensibilité à l’alimentation (chaude et épicée) attribuée de façon erronée à des aphtes. Site de prédilection : la face interne postérieure des joues, mais toutes les muqueuses peuvent être atteintes. La localisation gingivale peut être prise à tort pour une gingivite bactérienne.
Différentes formes cliniques sont décrites (tableau 1) :
- La forme réticulée est la plus caractéristique : les lésions sont asymptomatiques, bilatérales et réalisent un réseau blanchâtre de préférence sur la face interne des joues (fig. 4), ou des plaques fixes blanchâtres sur la langue (bords libres et face ventrale) ou sur la gencive.
- La forme érosive, la plus fréquente, associe à un fond érythémateux des zones érosives douloureuses à limites nettes, à fond le plus souvent rouge (fig. 5) ; la présence d’un réseau lichénien en périphérie confirme le diagnostic.
- Les formes atrophiques s’observent plus volontiers sur la gencive et le dos de la langue où elles s’accompagnent d’une dépapillation irréversible. Les patients se plaignent d’une sensibilité accrue aux aliments épicés ou d’une irritation liée au brossage des dents. La localisation gingivale peut être prise à tort pour une gingivite bactérienne. La biopsie est souvent nécessaire.
Le risque de transformation maligne du lichen plan buccal justifie généralement une surveillance clinique tous les 6 mois. Toutefois, ce risque est très faible : selon une étude finlandaise portant sur 13 100 femmes suivies de 1969 à 2001, le standardized incidence ratio (SIR) [nombre de cancers observés divisé par le nombre de cancers attendus] était de 1,15 ; il était plus élevé pour les localisations linguales, labiales et plus globalement de la cavité orale ainsi que pour l’œsophage et le larynx (et la vulve) ; le risque était absent pour les localisations pharyngées et cutanées.
En cas de douleur, des corticoïdes topiques sont le plus souvent utilisés :
– 1 à 3 cp de prednisolone (Solupred effervescent 20 mg) dans un demi-verre d’eau, en bain de bouche d’une minute, 1 à 3 fois/j ;
– et/ou clobétasol (Dermoval crème), 1 à 3 fois/j, à appliquer sur les lésions si localisées et faciles d’accès ;
– bétaméthasone 0,1 mg (Buccobet) : laisser fondre au contact des lésions, pour les atteintes jugales.
Il faut insister sur le sevrage tabagique et l’élimination des restaurations dentaires métalliques.
Autres lésions
La leucoplasie orale chevelue, due à l’EBV, survient essentiellement au cours de l’infection par le VIH ; elle se manifeste par des stries kératosiques blanchâtres, indolores, disposées verticalement sur les bords latéraux de la langue.
L’ulcération traumatique est souvent unique, de taille variable, douloureuse à fond fibrineux et à bordure blanchâtre. Elle est souple, ne s’accompagne pas d’adénopathie satellite. L’agent traumatisant est souvent évident : carie, couronne dentaire défectueuse, prothèse inadaptée ou crochet blessant ; sa suppression permet la cicatrisation en une dizaine de jours.
Dossier élaboré selon les conseils scientifiques du Pr Patrick Goufot. Pathologie de la muqueuse buccale. Rev Prat 2019;69(8);849-71.
Messeca C, Halimi C, Ejeil AL. Pathologie des muqueuses buccales. Rev Prat Med Gen 2018 ;32(1008) ;691-8.