Pourquoi ces recommandations ?
Saisie en novembre 2022 par le ministère de la Santé pour se prononcer sur les obligations vaccinales des soignants – dans un contexte de débats politiques sur la réintégration de ceux non vaccinés contre le Covid –, la HAS avait rendu un projet de recommandation en février, en vue d’une consultation publique qui s’est clôturée début mars 2023.
Aujourd’hui, elle publie le premier volet de ces recommandations définitives, concernant les vaccinations qui sont actuellement obligatoires pour les professionnels de santé : diphtérie, tétanos, poliomyélite, hépatite B, Covid-19. Le second volet (à paraître en juillet 2023, consultation publique préalable en mai) sera consacré aux vaccinations qui sont actuellement recommandées : coqueluche, grippe, hépatite A, ROR, varicelle.
Sont concernés : les professionnels de santé, les professionnels qui exercent en établissements de santé, structures sociales et médico-sociales et ceux qui sont en contact étroit et répété avec les jeunes enfants.
La HAS indique avoir pris en compte les données épidémiologiques, la couverture vaccinale de la population générale et des professionnels, la disponibilité des vaccins et les dernières données d’efficacité et de sécurité, aboutissant à la préconisation finale de lever l’obligation vaccinale pour les vaccins anti-Covid et DTP. Elle insiste toutefois sur le fait que cette position ne remet pas en question l’intérêt de cette vaccination, que ce soit en milieu professionnel ou en population générale, précisant qu’elle sera revue selon l’évolution épidémiologique de ces maladies.
Vaccination contre le Covid-19
L’obligation vaccinale serait levée et désormais remplacée par une « forte recommandation », y compris pour les rappels à distance de la primovaccination, et en particulier pour les professions en contact régulier avec des personnes immunodéprimées ou vulnérables.
La HAS a précisé que cette position ne remettait pas en question l’efficacité de la vaccination ni la pertinence des précédents avis et recommandations rendus dans un contexte sanitaire différent.
Cette levée de l’obligation entraînerait la réintégration des soignants non vaccinés (environ 0,3 % des professionnels du secteur). Le ministre de la Santé a déjà annoncé y travailler : « Je suivrai l’avis de cette autorité scientifique » ; il promettait d’« aller assez vite pour qu’on puisse réintégrer les professionnels dans de bonnes conditions ».
Vaccin DTP
Pour le vaccin DTP, la levée de l’obligation est aussi préconisée, elle serait remplacée par une « forte recommandation » chez les professionnels et les étudiants.
Une exception : Mayotte, où ce vaccin devrait rester obligatoire compte tenu de la faible couverture vaccinale de la population et de la circulation du germe de la diphtérie sur ce territoire.
Cette recommandation est enfin conditionnée à celles qui seront formulées pour la coqueluche dans le volet 2 de ces travaux, compte tenu de l’absence de vaccin non combiné contre la coqueluche (disponibilité de vaccins combinés uniquement contenant les valences diphtérique, tétanique, coquelucheuse et poliomyélitique).
Vaccin contre l’hépatite B
Pour ce vaccin, la HAS recommande, en revanche, un maintien de l’obligation à l’identique, pour les professionnels exerçant en établissement et exposés à un risque de contamination, ainsi que pour les étudiants. De plus, elle recommande d’étendre cette obligation aux professionnels exerçant en libéral exposés à un risque de contamination (ou à un risque d’exposer les personnes dont ils ont la charge).
Opposition d’associations, sociétés savantes et de l’Académie
Parmi les plus de 200 contributions reçues par la HAS lors de la consultation publique préalable aux présentes recommandations, de nombreuses sociétés savantes et associations de patients ont exprimé leur opposition à la levée de ces obligations.
Renaloo, association qui représente les patients dialysés et greffés du rein, a signalé dans sa contribution à cette consultation que toute décision sur le maintien ou la suppression d’obligations vaccinales des professionnels de santé devrait reposer sur des arguments scientifiquement fondés, relatifs à l’intérêt collectif, et prendre en compte l’impact sur les populations les plus vulnérables, mais que « ces éléments sont singulièrement absents de la proposition de la HAS». Elle signalait ainsi que cette dernière allait à l’encontre de la mission fondamentale de cet organisme, qui est celle d’améliorer la qualité des soins et la sécurité des patients. Enfin, elle s’inquiétait de l’effet délétère que pourrait avoir la réintégration du personnel non vacciné pour ces patients vulnérables : « Serait-il légitime qu’ils soient confiés à des professionnels qui, en refusant la vaccination, manifestent une défiance importante vis-à-vis de la science et de l’evidence-based medecine ? Une telle défiance est-elle compatible avec les valeurs du soin ? »
La Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) s’est également opposée à la levée de cette obligation, s’inquiétant du message négatif qu’elle pourrait envoyer non seulement aux soignants mais à la population en général : elle pourrait être perçue comme « confortant de nombreux discours non-scientifiques et négationnistes […] quant à l’intérêt et au rapport bénéfices-risques de la vaccination contre le Covid ». Elle considère donc que la primovaccination devrait rester obligatoire pour les étudiants et les professionnels, ou avant toute réintégration d’un professionnel n’ayant pas souhaité se vacciner (une dose pour les personnes infectées auparavant) ; les doses de rappel pourraient rester facultatives. Elle insiste enfin sur la nécessité de réinstaurer cette obligation « en cas de circulation d’un variant générateur de forme particulièrement grave » ou en cas de mise à disposition d’un autre vaccin plus efficace sur la transmission.
La Spilf a aussi exprimé un avis réservé sur la levée de l’obligation de la vaccination DTP : « cela ne peut s’envisager qu’accompagné d’une campagne d’information importante, maintenue sur le long terme, et d’un renforcement de la surveillance du statut vaccinal (individuellement) et de la couverture vaccinale (collectivement), et de l’offre de vaccination », en raison du risque, bien que faible, de rentrer en contact avec des cas d’infection par un poliovirus (cas récents aux États-Unis ; virus détecté dans les eaux usées aussi au Royaume-Uni et en Israël) ou des cas de diphtérie liés à C. diphtheriae (dont l’incidence augmente depuis 3 ans). Elle signale que la disparition de cette obligation vaccinale, pourtant bien acceptée, suscitera des doutes et pourrait être perçue comme une remise en cause de son intérêt : « l’obligation vaccinale a aussi une valeur d’exemplarité, qu’il est dommage de supprimer ». Elle conclut qu’il reste indispensable de vérifier l’existence d’une primovaccination dans l’enfance et d’un rappel au début de l’adolescence.
Enfin, l’Académie nationale de médecine, dans un communiqué paru immédiatement après la publication du texte de la HAS, exprime son profond désaccord avec celui-ci, soulignant qu’il ne faut pas oublier « que le métier de soignant n’est pas un métier comme un autre et qu’il impose un engagement moral respectueux du principe “Primum non nocere” ». Elle rappelle ainsi que si les risques d’être infectés, et d’infecter en retour les patients, sont devenus minimes pour la diphtérie et la poliomyélite, ils restent majeurs pour l’hépatite B et doivent être considérés pour deux infections respiratoires nosocomiales, la grippe et le Covid-19. Pour cette raison, elle soutient non seulement que l’obligation vaccinale contre le Covid devrait être maintenue, mais qu’elle devrait en plus être assortie d’une vaccination obligatoire contre la grippe, selon un programme annuel d’immunisation pendant la saison hivernale, pour les professionnels exerçant dans les secteurs sanitaire et médico-social – aussi bien en établissement que pour le personnel et les auxiliaires de vie intervenant chez des personnes à risque maintenues à domicile.
La Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), après s’être prononcée début mars contre la levée de l’obligation pour tous les vaccins, dans le cadre de sa participation à la consultation, s’est jointe à la proposition de l’Académie d’instaurer cette double obligation vaccinale Covid-grippe de façon saisonnière pour tous les soignants.
Renaloo. Obligations vaccinales des professionnels : contributions de Renaloo à la consultation publique de la HAS. 23 février 2023.
Infectiologie.com. Avis SPILF : obligations vaccinales des professionnels de santé. 2 mars 2023.
Académie nationale de médecine. Vaccinations obligatoires des soignants : l’honneur d’une profession. 31 mars 2023.