Alors que la société tout entière s’interroge sur les modifications des comportements de la jeunesse associées à l’avènement des réseaux sociaux et d’internet, beaucoup s’inquiètent des conséquences de l’exposition à la pornographie chez l’enfant et l’adolescent. Les seules données françaises émanent d’un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) datant de 2017 sur des adolescents de 15 à 17 ans :1 les garçons « consomment » plus que les filles, l’âge de la première exposition est en moyenne de 14 ans. Certaines caractéristiques sont associées à une plus grande exposition : avoir déjà eu une expérience sexuelle, être scolarisé en zone d’édu­cation prioritaire, avoir une sexualité homo- ou bisexuelle, disposer d’un accès à internet. La moitié des adolescents interrogés, garçons ou filles, jugent avoir été exposés trop jeunes.
Pour les prépubères, on ne dispose d’aucun chiffre. Quelques études à l’étranger estiment l’exposition à la pornographie entre 2 et 5 % chez les garçons et 1 % chez les filles de 10 à 11 ans. Mais elle est sans doute plus importante car le temps passé sur les écrans est en augmentation constante chez les enfants.2
Parmi les jeunes qui déclarent avoir déjà vu de la pornographie, 85 % des garçons et 80 % des filles y accèdent notamment par les réseaux sociaux. Cet accès est facilité par la quasi-­absence de réglementations contraignantes et l’utilisation d’algorithmes de renforcement d’usage.
Les conséquences sur la sexualité sont de deux ordres : d’abord, la pornographie participe au fait que la sexualité est moins taboue pour beaucoup de jeunes aujourd’hui ; par ailleurs, la pornographie véhicule une attitude sexiste – même si 80 % des jeunes in­terrogés pensent que les films pornogra­phiques sont une caricature de la normalité des corps et des comportements –, une sexualité plus permissive (avec des risques en matière de santé), une certaine maladresse dans les relations intimes à l’autre, une modification des croyances, avec de forts stéréotypes de genre.3
Toutefois, il n’existe pas de lien de causalité entre consommation de pornographie et conduite violente, consommation de toxiques (alcool, drogue) ou violence sexuelle. On constate chez certains jeunes des corrélations, mais des facteurs sociétaux sont communs et probablement en cause : société polarisée et violente, permissivité plus forte, individualisme.
En revanche, on observe l’émergence de comportements nouveaux, à prévenir. Par exemple, le « sexting » (ou sextos), qui correspond à l’envoi de photos de soi nu ou dénudé. Il peut se combiner avec des pratiques de harcèlement dans le « revenge porn » (ou vengeance pornographique).3 On peut citer aussi les pratiques de « chemsex » (combiner pratique du sexe et prise de drogue) qui peuvent débuter dès l’adolescence et dont les risques sanitaires en matière d’addiction, de maladies sexuellement transmissibles et de psychoses toxiques peuvent être importants.4
Face à l’ampleur du phénomène, il faut intervenir à plusieurs niveaux : à destination des parents, des enfants et des adolescents, il s’agit de repenser l’éducation à la sexualité à l’école en intégrant les parents ; à destination des vecteurs de la pornographie, il faut responsabiliser tous les acteurs de l’industrie et faire évoluer la réglementation, qui est trop permissive sur les réseaux ; à destination des acteurs de la recherche, tout est à faire en France, tant quantitativement que qualitativement ; enfin, à destination de la société et des politiques, il s’agit de renforcer la réglementation et les organismes de contrôle, d’autant qu’il existe une différence notable de traitement juridique entre internet et la télévision.
Références
1. Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique. Institut Ifop. Les adolescents et le porno : vers une « Génération YouPorn » ?
2. Horvath MAH, Alys L, Massey K, et al. « Basically... porn is everywhere ». Project Report https://vu.fr/ZpCQD
3. Cohen D. Rapport 23-01. Accès à la pornographie chez l’enfant et l’adolescent : conséquences et recommandations. Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2023.
4. Benyamina A (coord.), Basset B, Bâtisse A, Cessa D, Donnadieu-Rigole H, Karila L, et al. Chemsex. Rapport rendu à Monsieur le Ministre de la Santé, 2022; 73 p.