Les Journées nationales de médecine générale (JNMG) s’ouvrent cette année par une conférence du Pr Jean-Emmanuel Bibault, chercheur et radiothérapeute, sur l’intelligence artificielle (IA) et ses implications en médecine.

Déjà largement utilisée pour diagnostiquer, aider aux traitements ou prédire des maladies, découvrir de nouvelles molécules ou de nouvelles indications, l’IA promet un séduisant adoucissement des tâches les plus complexes, pénibles ou répétitives. Mais elle amène également de nombreuses questions éthiques et pratiques : confidentialité des données de santé, responsabilité des décisions prises, potentielle aggravation des inégalités d’accès aux soins, formations médicales initiale et continue à adapter, redistribution des tâches, capacité à comprendre comment les modèles d’IA prennent des décisions et donc à vérifier ces dernières (explicabilité), fiabilité des algorithmes nourris de données parcellaires ou normées...2 Et, nous offrant la possibilité d’alléger notre quotidien, n’ampute-t-elle pas, par là même, notre réflexion et notre indépendance, dans un cercle vicieux ?

Les médecins ont une responsabilité dans le développement de ces nouvelles techno­logies, concernant leurs applications en santé et, plus largement, leur impact sociétal ; déléguer cette mission à des entrepreneurs qui n’entendent rien au serment d’Hippocrate – et n’ont nullement pour objectif le « vivre plus longtemps en meilleure santé » – pourrait en effet être lourd de conséquences. Les enjeux de profits ne devraient pas orienter l’essor de ces techniques innovantes ; l’objectif devrait être l’amélioration des soins et des conditions de travail des professionnels. Et les tutelles ont un rôle fondamental à jouer dans le financement des projets en développement et dans la valida­tion de l’utilisation de ces nouveaux outils, en vue d’un remboursement et d’une cotation des actes réalisés par leur biais. Chantier colossal dans lequel la vigilance devra rester constante tant le risque est grand d’utiliser l’opportunité offerte pour un écrémage du personnel qualifié… 

Il est bien du devoir de la rédaction de La Revue du Praticien d’informer sur le formidable développement de ces techniques, mais aussi de mettre en garde. Tel est l’objet de la session plénière d’ouverture de notre congrès annuel : apporter un regard expert, objectif, optimiste mais vigile sur l’avenir de la médeci­ne et le devenir des médecins, à l’heure où l’IA prend une place croissante. 

Il nous revient par ailleurs de continuer à veiller à la qualité des textes publiés dans nos revues, et à leur intégrité manuscrite (ou compuscrite !), sans utilisation d’outils automatisés. Nous avons ainsi ajouté des conditions aux recommandations à nos auteurs, déconseillant l’usage de contenu créé par l’IA, les modèles de langage, l’apprentissage automatique ou toute autre technologie similaire.

Il s’agit bien de continuer à proposer des articles de formation de qualité, dictés par l’expérience clinique et scientifique validée ainsi que par celle de la relation médecin-­patient. 

La médecine est un art. Et si l’art robotique existe, on est en droit de douter de sa composante émotionnelle. Lorsqu’il s’agit de prendre une décision, en tant que praticien, l’algorithme est un support, mais la part individuelle est si prégnante et si complexe que l’on peine à imaginer qu’elle puisse s’affranchir un jour de l’humain.

Références
1. Session plénière d’ouverture des Journées nationales de médecine générale. Jean-Emmanuel Bibault. Enjeux de l’intelligence artificielle en médecine. Le 12 octobre 2023. CNIT. La Défense2. 
2. Bibault JE. Intelligence artificielle et médecine. Rev Prat MG 2023;1080:387-90.