Les cancers sont aux premiers rangs des causes de mortalité dans le monde. L’augmentation de l’espérance de vie et l’amélioration du diagnostic n’expliquent pas, à eux seuls, ce phénomène. Le cancer colorectal (CCR), troisième plus fréquent en France chez l’homme et deuxième chez la femme, resulte du cumul successif de modifications d’ADN (instabilité génique chromosomique ou microsatellitaire) qui a pour conséquence une désorganisation génétique des cellules coliques jusqu’à un point de non-retour à la normale. Il est désormais démontré que les modifications de facteurs environnementaux sont à l’origine de ce processus.1
Influence de l’environnement démontrée
Les facteurs environnementaux sont répartis en trois groupes : externes généraux (niveau socio-économique, stress, climat, zone d’habitation…), généraux spécifiques (polluants, agents infectieux, radiations ionisantes, régime alimentaire, consommations thérapeutiques et de toxiques…) et internes (métaboliques, hormonaux, activité physique…). C’est par le microbiote (ensemble des microbes que nous hébergeons, en particulier dans notre intestin) que se fait le lien entre l’environnement et la muqueuse colique. Le calcul du temps d’exposition à l’environnement est capital. En 2000, une étude épidémiologique a trouvé que les jumeaux des personnes atteintes d’un cancer colorectal avaient un risque accru de développer aussi ce cancer. Or, ce sur-risque était lié pour 60 % à des facteurs environnementaux non partagés (non communs à la fratrie).2
Analyse des facteurs environnementaux
L’étude exhaustive des facteurs environnementaux est cependant difficile, car près de 80 % des bactéries du microbiote intestinal ne peuvent pas être cultivées dans les conditions standard de laboratoire. Des approches moléculaires d’identification ont donc été développées pour décrire les écosystèmes bactériens complexes de l’environnement :
– l’étude de la séquence du gène codant pour l’ARN 16S de la petite sous-unité 30S des ribosomes bactériens est la plus simple. Elle informe, à moindre coût, sur la nature de la bactérie. La diversité des milieux auxquels celle-ci est exposée peut être appréciée grâce à la présence de régions constantes, variables et hypervariables au niveau de ce gène. Le séquençage de l’ARN ribosomique (ARNr) 16S fécal a été utilisé dans l’étude de l’alimentation en tant qu’actrice de carcinogenès colorectale. ;
– le séquençage du microbiome entier est une approche plus complète, informant sur le rôle fonctionnel de l’ensemble du microbiote intestinal.
– l’étude de la séquence du gène codant pour l’ARN 16S de la petite sous-unité 30S des ribosomes bactériens est la plus simple. Elle informe, à moindre coût, sur la nature de la bactérie. La diversité des milieux auxquels celle-ci est exposée peut être appréciée grâce à la présence de régions constantes, variables et hypervariables au niveau de ce gène. Le séquençage de l’ARN ribosomique (ARNr) 16S fécal a été utilisé dans l’étude de l’alimentation en tant qu’actrice de carcinogenès colorectale. ;
– le séquençage du microbiome entier est une approche plus complète, informant sur le rôle fonctionnel de l’ensemble du microbiote intestinal.
Une étude pour preuve : l’influence du régime alimentaire
Grâce à ces techniques moléculaires, les microbiotes de deux populations d’origine africaine ont été analysés : d’une part, celui de patients afro-américains (natifs des États-Unis et y vivant) ; d’autre part, celui de patients africains (natifs d’Afrique du Sud et y vivant).3 Ces deux populations ont un patrimoine génétique commun, mais leur régime alimentaire diffère : aux États-Unis, la consommation de viande rouge, graisses insaturées et produits sucrés est accrue et la consommation de fibres alimentaires est réduite. Au moment de l’étude, l’incidence du cancer colorectal chez les Afro-Américains vivant aux États-Unis s’élève à 65 cas/100 000 habitants, alors que chez les Sud-Africains vivant en zone rurale elle est inférieure à 5 cas pour 100 000 habitants. Un changement de régime africain rural traditionnel vers une alimentation de type américain a été proposé aux sujets natifs sud-africains : appauvrissement en métabolites protecteurs comme les acides gras à chaîne courte (AGCC), en folates et en biotine ; enrichissement en métabolites délétères (espèces sulfurées, sels biliaires). Ces modifications d’apports ont induit la formation d’un infiltrat inflammatoire au niveau de la muqueuse rectale, une augmentation de prolifération cellulaire muqueuse et une augmentation des bactéries pro-inflammatoires (Bacteroides fragilis).3 Cette étude révèle l’impact de la nutrition sur des modifications métaboliques et histologiques procarcinogènes, par action conjuguée des bactéries intestinales.
Microbiote : quels rôles dans le cancer colique ?
Dysbiose : en cause
Le microbiote intestinal est propre à chaque individu, unique sur les plans qualitatif et quantitatif. Il compte en moyenne 160 espèces chez un individu sain, dont la moitié est commune à tous les individus (un socle commun de 15 à 20 espèces serait en charge des fonctions essentielles du microbiote).
La symbiose entre les bactéries du microbiote et notre muqueuse colique a été étudiée à partir de l’analyse de selles. Trois profils d’entérotypes, indépendants de leur origine géographique, y sont caractérisés et dominés par les genres Bacteroides, Prevotella et Ruminococcus. Ces entérotypes sont associés aux régimes alimentaires à long terme : entérotype Bacteroides pour une importante consommation de protéines et de graisses animales, entérotype Prevotella pour un régime basé sur la consommation de glucides. On pressent ici que la prévention en général, et concernant l’alimentation en particulier, doit tenir compte du microbiote et du caractère durable de nos habitudes.4
La dysbiose est un déséquilibre durable entre les entérotypes du microbiote, une altération qualitative et fonctionnelle de la flore intestinale. Elle se définit par rapport à l’eubiose intestinale (état d’un microbiote équilibré). Sa principale caractéristique est la perte de diversité des communautés bactériennes. Elle équivaut à un amoindrissement de la richesse génétique, ce qui implique une moins bonne résilience en cas de perturbations et des pertes de fonctions du microbiote. La dysbiose a autant de conséquences que de voies fonctionnelles altérées : métabolique, dysimmunitaire, néoplasique, neurodégénérative, etc.
La symbiose entre les bactéries du microbiote et notre muqueuse colique a été étudiée à partir de l’analyse de selles. Trois profils d’entérotypes, indépendants de leur origine géographique, y sont caractérisés et dominés par les genres Bacteroides, Prevotella et Ruminococcus. Ces entérotypes sont associés aux régimes alimentaires à long terme : entérotype Bacteroides pour une importante consommation de protéines et de graisses animales, entérotype Prevotella pour un régime basé sur la consommation de glucides. On pressent ici que la prévention en général, et concernant l’alimentation en particulier, doit tenir compte du microbiote et du caractère durable de nos habitudes.4
La dysbiose est un déséquilibre durable entre les entérotypes du microbiote, une altération qualitative et fonctionnelle de la flore intestinale. Elle se définit par rapport à l’eubiose intestinale (état d’un microbiote équilibré). Sa principale caractéristique est la perte de diversité des communautés bactériennes. Elle équivaut à un amoindrissement de la richesse génétique, ce qui implique une moins bonne résilience en cas de perturbations et des pertes de fonctions du microbiote. La dysbiose a autant de conséquences que de voies fonctionnelles altérées : métabolique, dysimmunitaire, néoplasique, neurodégénérative, etc.
Acteur de la cancérogenèse
Par la dysbiose
La disparition de communautés bactériennes bénéfiques à l’hôte favorise l’émergence de pathobiontes, organismes non nécessairement pathogènes en eubiose mais pouvant s’avérer délétères dans des contextes particuliers (déficit immunitaire, destruction temporaire des communautés résidentes par la prise d’antibiotiques…) et agir en faveur de fonctions nuisibles. Le maintien de la réponse immune des bactéries bénéfiques (telles que Bifidobacteria et Lactobacilli) pour limiter les bactéries qui exercent un effet inflammatoire (telles que Bacteroides fragilis) lie le processus carcinogène au régime alimentaire de type occidental, trop riche en protéines et sucres. En effet, en l’absence d’un apport suffisant en fibres, les bactéries recrutées par la surconsommation de protéines ou de graisses animales érodent le mucus colique (source de fibres pour elles), mettent ainsi l’épithélium à nu et au contact de bactéries virulentes (Bacteroides fragilis, Escherichia coli), surexprimées dans la dysbiose liée au CCR. La pérennité du processus induit une tolérance immune en faveur de la survenue de tumeurs dans la muqueuse colique.5Des données permettent aujourd’hui d’affirmer que certaines tumeurs sont liées à la présence de micro-organismes précis, ou d’une dysbiose intestinale. Bien entendu, il faut cependant savoir discriminer ces effets du microbiote de ceux d’autres facteurs carcinogènes (tabac, alcool, etc.) qui, de plus, favorisent eux-mêmes une dysbiose.
Par l’épigenèse
L’épigenèse est l’ensemble des processus modifiant l’expression de l’ADN sans passer par les voies de mutation et de cassure. La méthylation du promoteur ou du corps du gène peut entraîner sa non-expression. La réponse immunitaire défaillante est ainsi généralement associée à des altérations de la méthylation de l’ADN. Des schémas modifés de méthylation ont été proposés pour expliquer l’absence de réponse effective contre les cellules tumorales : méthylation des lymphocytes T CD8+ circulants associée à l’expression de PD-1, épitope tolérant la présence de cellules tumorales, méthylation de l’ADN de lymphocytes T effecteurs CD4+ devenant anergiques.6Les bactéries pourraient donc jouer le rôle pivot dans ces changements de méthylation. Si nos cellules subissent des mutations géniques face à l’exposition à l’environnement, les bactéries, elles, s’adaptent par de nombreuses modifications épigénétiques. L’impact du changement de l’environnement est donc amplifié par le comportement des micro-organismes (plus nombreux que les cellules). De façon schématique, on considère que les bactéries avantagées par un régime carné amplifient l’activité « méthyltransférase », facilitant à leur tour les échanges de résidus méthyl (CH3) en faveur d’une épigenèse.
Facteur d’efficacité thérapeutique
Outre la cancérogenèse, l’efficacité des thérapies anticancéreuses serait aussi sous l’influence du microbiote. Il existerait une synergie d’action entre certains médicaments anticancéreux et la flore intestinale. Ainsi, dans le CCR, le défaut de réponse immune dû à la surabondance des bactéries dans les selles des malades (Parvimonas micra, Bacteroides fragilis) peut être surveillé par des modèles de méthylation de l’ADN de leucocytes circulants. Il en va de même pour la réponse à la chimiothérapie néoadjuvante ou à la vaccination peptidique.
Avancées pratiques
Dépistage du CCR
La quantification d’une ou plusieurs bactéries fécales (en particulier Fusobacterium nucleatum), associée à la recherche de sang occulte, peut améliorer le test de dépistage du CCR chez les individus asymptomatiques, en en augmentant la sensibilité et la spécificité.7
Réponse à la chimiothérapie
La composition du microbiote influe sur la réponse à la chimiothérapie.
Par exemple, l’efficacité de la gemcitabine est réduite en présence d’Escherichia coli par l’activité cytidine désaminase bactérienne qui transforme le produit actif en métabolite inactif (2′,2′-difluorodésoxyuridine).
L’irinotécan peut, quant à lui, voir sa toxicité augmenter par l’élimination biliaire d’un métabolite inactif. Ce dernier devient en effet plus toxique sous l’effet d’une β-glucuronidase bactérienne intestinale.
La co-administration d’un inhibiteur de β-glucuronidase permet alors une meilleure tolérance de l’irinotécan.
Par exemple, l’efficacité de la gemcitabine est réduite en présence d’Escherichia coli par l’activité cytidine désaminase bactérienne qui transforme le produit actif en métabolite inactif (2′,2′-difluorodésoxyuridine).
L’irinotécan peut, quant à lui, voir sa toxicité augmenter par l’élimination biliaire d’un métabolite inactif. Ce dernier devient en effet plus toxique sous l’effet d’une β-glucuronidase bactérienne intestinale.
La co-administration d’un inhibiteur de β-glucuronidase permet alors une meilleure tolérance de l’irinotécan.
Effets sur l’immunothérapie
En augmentant la densité fécale de Bifidobacterium (prébiotique), on améliore l’efficacité de l’immunothérapie. En maintenant l’équilibre fécal entre Bacteroides thetaiotaomicron et Bacteroides fragilis, on améliore l’efficacité des anti CTLA-4.8 La colite, effet indésirable grave souvent associé aux immunothérapies, peut, elle, être évitée en restaurant des Bacteroidetes phylum et les familles Bacteroidaceae, Rikenellaceae, Barnesiellaceae.
Et demain ?
Les perspectives thérapeutiques sont encore nombreuses, et l’analyse du microbiote pourrait devenir systématique avant la mise en œuvre d’un traitement. Elle permettrait de l’adapter et d’en prédire l’efficacité.
Références
1. Heavey PM, McKenna D, Rowlandet IR. Colorectal cancer and the relationship between genes and the environment. Nutr Cancer 2004;48(2):124-41.
2. Lichtenstein P, Holm VN, Verkasalo PK, et al. Environmental and Heritable Factors in the Causation of Cancer-Analyses of Cohorts of Twins from Sweden, Denmark, and Finland. N Engl J Med 2000; 343(2):78-85.
3. O’Keefe SJ, Li JV, Lahti L, et al. Fat, fibre and cancer risk in African Americans and rural Africans. Nat Commun 2015;6(1):1-14.
4. Song M, Garrett WS, Chan AT. Nutrients, foods, and colorectal cancer prevention. Gastroenterology 2015;148(6);1244-60.
5. Cianci R, Franza L, Schinzari G, et al. The Interplay between Immunity and Microbiota at Intestinal Immunological Niche: The Case of Cancer. Int J Mol Sci 2019;20(3):501.
6. Hernandez Puente CV, Hsu PC, Rogers LJ, et al. Association of DNA-Methylation Profiles With Immune Responses Elicited in Breast Cancer Patients Immunized With a Carbohydrate-Mimicking Peptide: A Pilot Study. Front Oncol 2020;10:879.
7. Wong SH, Kwong TNY, Chow TC, et al. Quantitation of faecal Fusobacterium improves faecal immunochemical test in detecting advanced colorectal neoplasia. Gut 2017;66(8):1441-8.
8. Wang F, Yin Q, Chen L, et al. Bifidobacterium can mitigate intestinal immunopathology in the context of CTLA-4 blockade. Proc Natl Acad Sci USA 2018;115(1):157-61.
2. Lichtenstein P, Holm VN, Verkasalo PK, et al. Environmental and Heritable Factors in the Causation of Cancer-Analyses of Cohorts of Twins from Sweden, Denmark, and Finland. N Engl J Med 2000; 343(2):78-85.
3. O’Keefe SJ, Li JV, Lahti L, et al. Fat, fibre and cancer risk in African Americans and rural Africans. Nat Commun 2015;6(1):1-14.
4. Song M, Garrett WS, Chan AT. Nutrients, foods, and colorectal cancer prevention. Gastroenterology 2015;148(6);1244-60.
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8. Wang F, Yin Q, Chen L, et al. Bifidobacterium can mitigate intestinal immunopathology in the context of CTLA-4 blockade. Proc Natl Acad Sci USA 2018;115(1):157-61.