Bonne nouvelle ! Si les variants du SARS-CoV-2 semblent moins sensibles (à des degrés différents selon les mutations) aux anticorps neutralisants issus de personnes précédemment infectées ou vaccinées, une étude en preprint montre que les réponses des lymphocytes T CD4+ et CD8+, qui jouent aussi un rôle dans la guérison de cette infection, ne sont pas touchées de la même façon…

 

Les variants les plus préoccupants actuellement – le variant « anglais » ou 501Y.V1 (UK – lignage B.1.1.7), le « sud-africain » 501Y.V2 (SA – lignage B.1.351), le « brésilien » 501Y.V3 (BR – P1 et P2), le californien (CAL.20C – B.1.427) – ont un ensemble de mutations au niveau de la protéine S (Spike), dans des régions qui se lient aux anticorps neutralisants. Plusieurs études ont montré que ces virus (surtout le variant « sud-africain » et le « brésilien ») sont moins sensibles aux anticorps neutralisants provenant d’individus précédemment infectés ou vaccinés. Leur circulation pourrait donc être associée à un risque accru de réinfection et à une diminution de l’efficacité de certains vaccins.

Mais l’immunité humorale n’est pas le seul mécanisme impliqué dans la lutte contre le virus. Les cellules T jouent un rôle dans la résolution de l’infection et dans la modulation de la gravité de la maladie. Nous savons que des cellules mémoire T CD4+ et CD8+ sont induites après infection par le SARS-CoV-2 et que les vaccins contre la Covid-19 stimulent ces cellules.

Quel est l’impact potentiel des mutations des variants sur la réactivité des lymphocytes T ? Pour répondre à cette question, dans cette étude combinant approche expérimentale et bio-informatique, les auteurs ont effectué une analyse complète des cellules T CD4+ et CD8+ spécifiques contre le SARS-CoV-2 issues de 11 sujets convalescents (après infection par la souche d’origine), ainsi que de 19 patients vaccinés avec Moderna ou Pfizer. 

Dans un premier temps, les chercheurs ont cartographié les mutations spécifiques (remplacements et délétions d’acides aminés) associées à ces variants, puis ils ont synthétisé les peptides correspondants. Ils ont ensuite généré des combinaisons de peptides couvrant toutes les séquences génomiques de la souche virale d’origine ou des variants. Ces pools ont été évalués par rapport à leur capacité à être reconnus par des cellules T mémoire issues de patients convalescents ou vaccinés.

Pour les donneurs convalescents (âge médian de 39 ans ; 27 % étaient des hommes et 73 % des femmes), l’infection par le SARS-CoV-2 a été confirmée par un test PCR pendant la phase aiguë (si disponible, c’est-à-dire dans 55 % des cas), et/ou sérologique (IgG spécifiques). Les échantillons sanguins ont été collectés entre juillet et octobre 2020, lorsque la souche circulante dominante était le virus d’origine. Les 11 donneurs vaccinés ont été prélevés environ 14 jours après avoir reçu la deuxième dose du vaccin Moderna ou Pfizer (âge médian : 43 ans ; 26 % d’hommes et 74 % de femmes) ; ils avaient des titres d’IgG compris entre 1 843 et 16 365, correspondant à une vaccination récente.

Les PBMC (cellules mononucléaires périphériques sanguines) des sujets convalescents ou vaccinés ont été stimulées avec les pools de peptides dérivés de la souche d’origine ou des variants, et les réponses des lymphocytes T CD4+ et CD8+ ont été mesurées par l’expression de marqueurs d’activation et la production d’interféron gamma. Les résultats montrent que l’effet des mutations sur les réponses globales des lymphocytes T était négligeable, suggérant que les cellules mémoire d’individus qui ont rencontré précédemment la souche d’origine reconnaissent cette dernière mais aussi les variants, avec une efficacité comparable. 

S’il n’pas été montré que les lymphocytes T mémoire circulants sont efficaces pour prévenir l’infection par le SARS-CoV-2, il est probable qu’ils puissent réduire la gravité de la Covid-19. En effet, des réponses cellulaires précoces ont été corrélées à une forme clinique plus modérée. Ainsi, la réponse cellulaire pourrait contribuer à limiter la gravité de la Covid-19 induite par des variants capables d’échapper aux anticorps neutralisants. Cela est observé avec la grippe, par exemple.

Les réponses des lymphocytes T contre le SARS-CoV-2 sont hautement multi-antigéniques et multi-spécifiques, avec des dizaines d’épitopes différents reconnus par les cellules T CD4+ et CD8+ chez un même individu. En raison du polymorphisme HLA, les épitopes reconnus peuvent être très différents d’un individu à l’autre, diminuant considérablement la probabilité d’un échappement immunitaire. En effet, une mutation avantageuse pour une personne ne l’est pas forcément pour une autre ayant un typage HLA non compatible. 

Ces résultats ont également des implications potentielles dans la conception de futurs vaccins : pour stimuler une immunité protectrice contre les variants préoccupants, une stratégie pourrait consister à inclure, outre la protéine Spike, des antigènes et des épitopes supplémentaires, moins susceptibles de muter, pour garantir une complémentarité des réponses (anticorps neutralisants + lymphocytes T) et minimiser la morbidité et la mortalité de la Covid-19. 

Ces résultats sont très encourageants, mais des questions restent en suspens. Les chercheurs n’ont pas évalué la réponse chez des personnes vaccinées avec le vaccin d’AstraZeneca, qui semble être moins efficace contre le variant africain.

D’autre part, le rôle de l’immunité cellulaire doit être confirmé dans des études de vraie vie. Comment expliquer, par exemple, l’augmentation brutale des hospitalisations à Manaus (au Brésil), au cours du mois du janvier 2021, chez une population largement immunisée lors de la première vague ?

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

Crédit image : National Institutes of Health, États-Unis