Il est toutefois très complexe de quantifier ce phénomène, étant donné qu’il est par nature ignoré : une étude belge1 estime ainsi que 10 à 15 % des homicides ne seraient pas détectés, tandis qu’une étude suisse2 considère que près d’un homicide sur deux pourrait être concerné.
La médecine légale est essentielle à la justice, elle contribue à l’apport de la preuve au magistrat et à la manifestation de la vérité judiciaire. Or le nombre d’autopsies pratiquées en France diminue significativement ces dernières années, allant à contre-courant des recommandations et du bon sens.
Recommandations européennes sur les situations nécessitant une autopsie
Ces recommandations dressent une liste non exhaustive de situations dans lesquelles l’autopsie devrait systématiquement être pratiquée : morts subites inattendues, suicides, accidents (de transport, de travail ou domestique), maladies professionnelles, corps non identifiés, etc.
L’application de ces recommandations européennes semble être un prérequis indispensable pour diminuer de manière significative le nombre d’homicides non détectés. Comme le préconisent Beauthier et al., « tout décès ne pouvant raisonnablement s’expliquer devrait aboutir à la décision de pratiquer une autopsie ».1
Manque de formation à la médecine légale
Ceci s’explique notamment par le fait que, depuis la réforme de la médecine légale de 2011 en France, l’autopsie n’est plus facturée à l’acte ; néanmoins, d’importants frais de justice persistent et sont proportionnels au nombre d’autopsies réalisées. Il y a donc un risque réel de limiter le nombre d’autopsies pour des raisons budgétaires.5 Cela est particulièrement dommageable : en effet, on constate fréquemment des discordances sur les causes du décès entre la levée de corps et l’autopsie. L’examen du corps ne saurait en aucun cas se substituer à l’autopsie pour donner un diagnostic précis des causes du décès, d’où l’intérêt de recourir à la médecine légale pour un examen plus approfondi.6 In fine, l’autopsie permet de réduire le risque d’erreur concernant la détermination de la cause du décès.
La qualité du médecin examinateur serait l’un des problèmes majeurs pouvant expliquer la non-détection de certains homicides.1 Or les médecins généralistes et urgentistes n’ayant bien souvent aucune formation spécifique à la médecine légale, des erreurs peuvent être commises. Il est ainsi indispensable de former plus et mieux, aussi bien durant le cursus médical initial qu’en formation continue.
Les médecins sont parfois désarçonnés par la réalisation de l’examen du corps, souvent mené de manière trop sommaire, et par le certificat de décès dont la notion centrale d’obstacle médico-légal est mal comprise. Le manque de connaissances juridiques des médecins ainsi que le manque de connaissances médico-légales sont des freins à la réalisation de ces examens post mortem, pourtant d’une importance capitale pour le processus judiciaire.
Le médecin s’avère donc être un acteur capital dans la détection des homicides : s’il ne détecte pas les signaux d’alerte et ne pose pas d’obstacle médico-légal, les opérations funéraires ont lieu et peuvent déboucher sur une perte irrémédiable de preuves, notamment en cas d’incinération. L’auteur de l’homicide, non appréhendé et donc impuni, pourrait ainsi être tenté de récidiver.
Obstacles médico-légaux selon le Conseil de l’Europe
En cas de décès qui pourrait être dû à une cause non naturelle, l’autorité compétente, accompagnée d’un ou plusieurs médecins légistes, devrait procéder, dans les cas appropriés, à l’examen des lieux et du cadavre, et décider si une autopsie s’avère nécessaire.
Les autopsies devraient être réalisées dans tous les cas de mort non naturelle évidente ou suspectée, quel que soit le délai entre l’événement responsable de la mort et la mort elle-même, en particulier dans les cas suivants :
- homicide ou suspicion d’homicide ;
- mort subite inattendue, y compris la mort subite du nourrisson ;
- violation des droits de l’homme, telle que torture ou toute autre forme de mauvais traitement ;
- suicide ou suspicion de suicide ;
- suspicion de faute médicale ;
- accident de transport, de travail ou domestique ;
- maladie professionnelle ;
- catastrophe naturelle ou technologique ;
- décès en détention ou associé à des actions de police ou militaires ;
- corps non identifié ou restes squelettiques.
L’obstacle médico-légal à l’inhumation
L’obstacle médico-légal est défini dans l’article 81 du Code civil. Il concerne les morts par suicide ou les décès suspects paraissant avoir leur source dans une infraction. Le corps est alors à la disposition de la justice. Dans ces conditions, le médecin, qui constatera le décès, signalera l’existence d’un obstacle médico-légal à l’inhumation. Le médecin doit alors attendre sur place l’arrivée de l’officier de police judiciaire (police ou gendarmerie). Ne pas procéder ainsi, c’est attester que le patient est décédé de « mort naturelle », ce qui ne manquera pas de mettre le médecin en contradiction quand il lui sera demandé ultérieurement des certificats pour les compagnies d’assurances ou autres organismes.
- Les opérations funéraires suivantes sont suspendues jusqu’à autorisation donnée par l’autorité judiciaire :
- don du corps (article R363-10 du code des communes) ;
- soins de conservation (article R 363-1 du code des communes) ;
- transport de corps avant mise en bière vers la résidence du défunt ou vers un établissement de santé (article R363-6 du code des communes) ;
- admission avant mise en bière en chambre funéraire (articles R361-37 et R361-38 du code des communes) ;
- prélèvement en vue de rechercher la cause du décès (article R363-11 du code des communes) ;
- fermeture du cercueil (article R363-18 du code des communes) ;
- inhumation (par voie de conséquence) ;
- crémation (article R361-42 du code des communes).
Les mêmes opérations funéraires sont suspendues lorsque des droits sont liés à la cause du décès (accident du travail, maladie professionnelle, conséquence des blessures pour un pensionné de guerre).
2. Jackwoski C, Haussmann R, Jositsch D. Eine Dunkelziffer bei Tötungsdelikten in der Schweiz. Fiktion oder Realität? Kriminalistik 2014;68(10):607-14.
3. Richaud-Eyraud E, Gigonzac V, Rondet C, Khireddine-Medouni I, Chan-Chee C, Chérié-Challine L, et al. État des lieux des pratiques et de la rédaction des certificats de décès par les instituts médico-légaux en France, en 2016, dans la perspective de la mise en place d’un volet complémentaire du certificat de décès. La Revue de médecine légale 2018;9(1):1-9.
4. Laborie JM, Ludes B. L’obstacle médico-légal, pour un mode d’emploi. La Revue de médecine légale 2016;7(1):16-21.
5. Chiron F, Vergnault M, Martrille L, Savall F, Grenier F, Giordano A, et al. L’éloignement influence-t-il les demandes d’autopsies ? L’activité thanatologique dans trois instituts médico-légaux en 2012 : analyse descriptive des conclusions d’autopsie. La Revue de médecine légale 2017;8(1):4-8.
6. Nguyen F, Mathy F, Hervé C, Lorin de la Grandmaison G, Charlier P. Comment bien remplir un certificat de décès ? La Revue du Praticien 2012;62(6):759-63.