L’incendie de l’usine Lubrizol, site classé Seveso, montre combien la communication de crise des pouvoirs publics face à un problème sanitaire est encore balbutiante et contre-productive. Dans l’immédiat, l’objectif des autorités aura été de rassurer sur les conséquences immédiates de la catastrophe sur la santé des populations vivant à proximité de l’usine ou touchées à distance par le nuage de suie, tout en interdisant la consommation des produits agricoles des exploitations polluées. Mais comment croire un instant que cela aurait pu être suffisant, alors que les réseaux sociaux bruissaient d’interrogations, dans un contexte où la défiance vis-à-vis de la parole publique est à son comble ? Il est bien difficile face au « on ne nous dit pas la vérité » de rectifier le tir après des premiers propos plutôt lénifiants et une cacophonie ministérielle et administrative. Si certains éléments apparaissent moins préoccupants (c’est le cas après les premiers résultats concernant le risque amiante ou les prélèvements sur les denrées alimentaires écartées de la consommation), on plaint le préfet de Normandie qui presque chaque jour, transparence oblige désormais, verse au dossier des éléments aussi peu rassurants les uns que les autres, mais sans qu’on sache vraiment quelles conclusions en tirer. Il dut d’abord annoncer que l’incendie avait fait partir en fumée 5 253 tonnes de substances chimiques, mais sa communication selon laquelle « tous les produits ne sont pas dangereux » s’est heurtée au décryptage complexe de la nature des substances en cause, la liste fournie ayant été très technique et ayant soulevé plus de questions que de réponses. Selon les fiches des données de sécurité associées aux différents produits, nombre d'entre eux auraient, avec des degrés différents, des impacts potentiels sur la reproduction, sur le risque de cancer ou pourraient présenter un danger pour l’environnement : « Plus de deux cents produits sont classés " nocifs " (166), " toxiques " (106) ou " très toxiques " (43) pour les organismes aquatiques, et entraînant " des effets néfastes à long terme ", alors que l’usine est en bordure de la Seine ».1 La confusion s’est encore accrue lorsque le malheureux préfet a dû annoncer, quelques jours après, que l’incendie avait aussi détruit une partie des stocks de l’usine voisine Normandie Logistique, stocks dont on ignore encore ce qu’ils contenaient mais dont on apprend qu’ils concernaient aussi des produits Lubrizol, sans que l’on sache si ce stock déporté était régulier ou pas. Le tonnage des produits brûlés pourrait, en fait, être le double de celui initialement annoncé…
Quel sera l’impact à plus long terme de la combustion mélangée de ces différents produits, en réalité personne n’en sait rien. L’étude des perturbateurs endocriniens – et d’une façon plus générale de toutes les substances susceptibles d’interférer avec la physiologie des organismes vivants – est en train de bouleverser les approches traditionnelles de la toxicologie. De nouvelles questions émergent sur la relation entre dose d’un toxique et risque engendré, laquelle n’est pas toujours aussi linéaire qu’attendue, sur les effets à long terme qui n’impliquent pas forcément une exposition continue, sur la vulnérabilité des sujets exposés qui peut être très différente selon les personnes ou sur les effets du mélange des toxiques qui apparaissent bien plus complexes qu’imaginés.2 Reconnaître lucidement notre ignorance plutôt que de vouloir d’emblée à tout prix rassurer ne serait-ce pas déjà le premier pas vers cette obligation de transparence qu’exige désormais notre société ?
Quel sera l’impact à plus long terme de la combustion mélangée de ces différents produits, en réalité personne n’en sait rien. L’étude des perturbateurs endocriniens – et d’une façon plus générale de toutes les substances susceptibles d’interférer avec la physiologie des organismes vivants – est en train de bouleverser les approches traditionnelles de la toxicologie. De nouvelles questions émergent sur la relation entre dose d’un toxique et risque engendré, laquelle n’est pas toujours aussi linéaire qu’attendue, sur les effets à long terme qui n’impliquent pas forcément une exposition continue, sur la vulnérabilité des sujets exposés qui peut être très différente selon les personnes ou sur les effets du mélange des toxiques qui apparaissent bien plus complexes qu’imaginés.2 Reconnaître lucidement notre ignorance plutôt que de vouloir d’emblée à tout prix rassurer ne serait-ce pas déjà le premier pas vers cette obligation de transparence qu’exige désormais notre société ?
1. Le Monde du 3 octobre 2019.
2. Barouki R. Perturbateurs endocriniens et nouveaux mécanismes de toxicité. Rev Prat 2018;68:1069-74.
2. Barouki R. Perturbateurs endocriniens et nouveaux mécanismes de toxicité. Rev Prat 2018;68:1069-74.