Si le lupus cutané n’évolue vers un lupus érythémateux systémique que dans près de 18 % des cas, il est à l’inverse l’une des atteintes les plus fréquemment observées dans la forme systémique (présent dans environ 70 à 80 % des cas). Les lésions cutanées sont d’ailleurs à l’origine du nom de la maladie (du latin lupus, qui signifie « loup ») : l’érythème malaire en vespertilio, manifestation classique, est semblable à un museau de loup. Il peut être isolé ou associé à des atteintes systémiques. L’enjeu pour le médecin généraliste est triple :
– dépister les formes de lupus dit chronique ou discoïde dont la répercussion esthétique et cicatricielle est préjudiciable (notamment sur phototypes foncés) ;
– repérer les premiers signes qui orienteraient vers un lupus systémique et vers des complications viscérales graves ;
– améliorer le suivi, l’adhésion au traitement (en particulier aux antipaludéens de synthèse) et la mise en place des mesures associées (sevrage tabagique, photo­protection et contrôle des facteurs de risque cardiovasculaires).

Différentes formes de lupus cutané

Le lupus cutané est une dermatose auto-­immune photosensible. Son diagnostic repose sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et anatomopathologiques. Le lupus cutané peut être associé à un lupus systémique ; la fréquence de cette association diffère en fonction des sous-types. En effet, il est possible de distinguer les lésions cutanées spécifiques du lupus selon leur localisation : dermo-épidermique (lupus aigu, subaigu et chronique [tableau 1]), dermique (lupus tumidus) et hypodermique (panniculite lupique). Enfin, il existe des lésions non spécifiques (vasculaires et non vasculaires).1-3
Seules les formes de lupus dermo-épidermique (formes photosensibles) et les lésions non spécifiques seront abordées ici.

Lupus aigu

Il est rare (environ 5 % des lupus cutanés) et se distingue par la présence de macules et papules érythémateuses photodistribuées, à disposition centrale et réparties sur la région malaire, en masque de loup avec un respect des sillons nasogéniens et un caractère mal limité (fig. 1). Plus rarement, il peut être généralisé, à type d’exanthème maculopapuleux. Il existe souvent des ulcérations intrabuccales siégeant sur le palais ou la muqueuse jugale et une alopécie non cicatricielle diffuse.
L’association à un lupus érythémateux systémique est quasi-constante, de l’ordre de 95 %.
Le dosage des anticorps antinucléaires (AAN) et anti-ADN natifs révèle des taux élevés chez le patient atteint, permettant d’orienter le diagnostic.

Lupus subaigu

Les lésions cutanées du lupus subaigu sont de deux types : annulaires (érythémato-squameuses) ou érythémato-­squameuses non infiltrées (dites psoriasiformes) [fig. 2 et 3].
L’association à un authentique lupus systémique est estimée entre 10 et 42 % des cas. Il s’agit le plus souvent d’un lupus cutanéo-articulaire peu sévère. La guérison se fait sans cicatrice atrophique, à la différence du lupus discoïde, mais il existe volontiers des séquelles pigmentaires.
À l’interrogatoire, il faut rechercher un tabagisme et la prise de médicaments potentiellement inducteurs.
Il est associé à la présence d’anticorps anti-SSA, qui doit faire rechercher, par principe, un syndrome sec oculo-bucco-­génital potentiellement associé à un syndrome de Gougerot-Sjögren.

Lupus érythémateux chronique ou discoïde

Il s’agit de l’une des formes les plus fréquentes de lupus cutané (environ 80 % des cas). Le lupus cutané chronique ou discoïde est volontiers retrouvé en cas de lupus érythémateux systémique, en particulier chez les patients d’origine afrocaribéenne (> 50 % dans certaines études). À l’inverse, seuls 10 % des lupus discoïdes isolés évoluent vers une forme systémique. Les lésions prédominent sur le visage (conque des oreilles – très caractéristique – et région cervicale) et sont parfois diffuses, à type de plaques érythémato-squameuses bien limitées, folliculaires, avec un pourtour télangiectasique. L’évolution est souvent atrophique, laissant des cicatrices, une dépilation et des séquelles hypo- ou hyperpigmentées (fig. 4).
Les formes diffuses sont plus fréquemment associées à un lupus systémique.
La forme localisée au cuir chevelu se manifeste par une alopécie cicatricielle inflammatoire. Le risque est celui d’une destruction du follicule pileux, responsable d’une alopécie définitive en cas de retard diagnostique. Les atteintes du visage ou du cuir chevelu justifient un avis spécialisé rapide.
Enfin, l’atteinte palmoplantaire, érosive et très douloureuse, est difficile à traiter.
Le lupus engelure est une forme de lupus chronique rare mais classique. Il s’agit de lésions papuleuses ou nodulaires (fig. 5), kératosiques, violacées, prédominant aux extrémités, survenant au froid ou lors d’une baisse des températures (comme les engelures classiques) mais persistant en dehors de la saison froide. Outre les engelures classiques, il faut éliminer les autres diagnostics différentiels que sont les cryoglobulines et les agglutinines froides. Le lupus engelure s’associe volontiers à des lésions de lupus discoïde. Les formes juvéniles justifient un avis spécialisé rapide car elles peuvent être l’expression de maladies génétiques monogéniques potentiellement sévères.

Cas particulier du lupus érythémateux néonatal

Le lupus néonatal est rare. Il résulte du passage transplacentaire d’anticorps maternels dirigés contre l’antigène SSA, et plus exceptionnellement contre les anticorps anti-SSB.
Le risque est estimé à 1 %, et augmenterait à 20 % en cas d’enfant précédemment atteint. Enfin, si la présence d’anticorps anti-SSA est avérée, un risque de bloc de conduction néonatal est possible.

Lupus induit : rechercher les médicaments en cause

Le lupus induit est un lupus cutané (ou systémique) survenant dans les suites de la prise d’un traitement potentiellement inducteur et se résolvant au décours de celui-ci. Une centaine de molécules ont été décrites dans la littérature et dans les données de pharmacovigilance. Certains sous-types de lupus sont plus fréquemment induits. Le lupus érythémateux cutané subaigu, par exemple, est parfois déclenché par la prise d’hydrochlorothiazide, terbinafine, métronidazole, métoclopramide, L-thyroxine, anti-­TNF-alpha, inhibiteurs de la pompe à protons ou inhibiteurs calciques. L’arrêt du médicament responsable est souvent indispensable.

Lésions cutanées non spécifiques du lupus

Le phénomène de Raynaud est très fréquent dans le lupus systémique (10 à 45 % des cas). Lorsqu’il est isolé, asymétrique, survenant tardivement, avec des lésions cutanées ou des signes systémiques, il doit faire rechercher un lupus systémique associé et la présence d’anticorps antinucléaires et d’anticorps spécifiques de la sclérodermie systémique (anticorps anti­centromères et anti-SCL-70). Une capillaroscopie peut être également pratiquée en milieu spécialisé, afin d’éliminer une sclérodermie systémique associée.
L’alopécie non cicatricielle est fréquente dans le lupus systémique, notamment au cours des poussées. Les critères de classification du lupus érythémateux systémique peuvent aider au diagnostic (tableau 2).

Quels diagnostics différentiels ?

Ils varient selon la forme de lupus cutané observé.

Diagnostics différentiels du lupus aigu

 

Rosacée

Dermatose photo-aggravée fréquente, la rosacée se caractérise par la présence de télangiectasies prédominant sur les pommettes, souvent associées à des papulo-pustules du visage ainsi qu’à des épisodes de flush (retrouvés à l’interrogatoire).
L’atteinte de l’arête nasale, le respect du menton, l’absence de papulo-pustule ou de flush et l’absence de télangiectasies plaident en faveur d’un lupus aigu. Il en est de même des taux élevés des anticorps antinucléaires (AAN) et anti-ADN natifs.
L’association d’une rosacée à un lupus systémique reste possible, étant donné la fréquence de cette maladie.

 

Dermite séborrhéique

Elle prédomine dans les plis naso­géniens, le menton, la glabelle, la lisière du cuir chevelu et le cuir chevelu. Elle s’associe à une fine desquamation.

 

Eczéma de contact

Il peut être discuté devant une atteinte isolée du visage.

 

Toxidermie

Dans les formes plus diffuses, on peut discuter une toxidermie, mais aussi une éruption paravirale ou une dermatomyosite. Cette dernière est le principal diagnostic différentiel (érythro-œdème des paupières, érythème périunguéal caractéristique, atteinte préférentiel­lement articulaire avec papules de Gottron).

 

 

Diagnostics différentiels du lupus subaigu

Dans sa manifestation psoriasiforme, il peut être étiqueté à tort comme un psoriasis ou une dermatophytie (caractère volontiers annulaire).
La forme érosive peut faire discuter une toxidermie à type de nécrolyse épidermique toxique (syndromes de Lyell ou de Stevens-Johnson).

Diagnostics différentiels du lupus discoïde

Lorsqu’il est localisé au visage, il fait discuter une dermatophytie, un lupus vulgaire (tuberculose) ou un lupus pernio (forme rare de sarcoïdose cutanée).

Diagnostics différentiels des atteintes lupiques du cuir chevelu

Elles doivent faire évoquer une dermatophytie (teigne), un lichen plan pilaire ou une folliculite décalvante.

Quand redouter un lupus érythémateux systémique ?

Le lupus est une entité rare : même en cas de présence d’anticorps antinucléaires (retrouvés chez près de 10 % des femmes), une éruption du visage en vespertilio est bien plus souvent liée à une dermatose classique (rosacée, dermite séborrhéique…) qu’à un lupus.
En cas de suspicion clinique, il convient d’adresser le patient à un dermatologue pour réalisation d’une biopsie cutanée avec examen anatomopathologique.
L’éventualité de survenue d’un lupus érythémateux systémique en cas de lupus cutané initialement isolé justifie une surveillance régulière : interrogatoire répété, recherche annuelle d’une atteinte rénale par l’étude du sédiment urinaire (examen cytobactériologique des urines [ECBU], à la recherche d’une hématurie) et par un dosage sur échantillon du rapport protéinurie/créatininurie. Les critères SLE ACR-EULAR 2019 (Lupus Erythematosus, American College of Rheumatology-European League Against Rheumatism) pour la classification du lupus érythémateux disséminé (systémique) sont résumés dans le tableau 2.4

Association rare

En premier lieu, il s’agit de rassurer le patient en expliquant la différence entre lupus cutané et lupus systémique. On estime qu’un lupus cutané isolé évolue vers un lupus systémique dans seulement 18 % des cas dans les trois ans après le diagnostic, selon une étude suédoise.5 Ce risque est quasi-nul en cas de lupus discoïde évoluant depuis de nombreuses années. Le lupus aigu est la forme la plus fréquemment associée à un lupus systémique (> 90 %). Cependant, les autres types de lupus cutané peuvent être également concernés. Un malade peut en effet avoir plusieurs types de lésions lupiques au cours de l’histoire naturelle de sa maladie.

Indices cliniques et biologiques

Plusieurs facteurs sont associés au risque d’évolution d’un lupus cutané isolé vers un lupus systémique : titre élevé d’anticorps antinucléaires, lupus discoïde disséminé, ulcérations muqueuses, télangiectasies périunguéales, leucopénie, anémie et vitesse de sédimentation élevée.6
Certains signes doivent alerter et orienter vers un avis spécialisé rapide : arthralgies d’horaire inflammatoire et/ou synovites, anomalies de l’hémogramme (leuco-­neutropénie, anémie hémolytique, thrombopénie), positivité forte des anticorps antinucléaires et anti-ADN natifs, consommation du complément (C3, C4, CH50), insuffisance rénale avec protéinurie, hématurie et symptômes neurologiques centraux.

Mesures thérapeutiques et hygiénodiététiques

Le sevrage tabagique, la photoprotection et l’adhésion au traitement (hydroxychloroquine) sont les trois axes principaux de la prise en charge (encadré).7

Sevrage tabagique

Il fait partie des objectifs à atteindre, que le patient ait un lupus cutané ou systémique. En effet, le rôle du tabac est démontré dans l’augmentation de la fréquence des poussées et la diminution de l’efficacité du traitement par hydroxychloroquine. Plus largement, les facteurs de risque cardio­vasculaires doivent être contrôlés, particulièrement en cas de lupus systémique.

Photoprotection

Elle doit être recommandée sans sombrer dans l’interdit, qui serait illusoire. Il est raisonnable de recommander d’éviter une exposition entre 11 et 15 h, de se protéger par le port de vêtements longs et couvrants et de couvre-chef, et par l’application de crèmes écrans à fort indice protecteur (sun protection factor [SPF] ≥ 50). La supplémentation en vitamine D est, de ce fait, indiquée.

Hydroxychloroquine : pilier du traitement

Si le traitement est bien souvent initié par le dermatologue, le suivi conjoint avec le médecin traitant est essentiel.
 

Hydroxychloroquine

Pilier de la prise en charge du lupus, cet antipaludéen de synthèse est essentiel au bon contrôle de la maladie. Son rôle est bien démontré dans la réduction et la prévention des poussées systémiques et cutanées.8 Mais l’observance est souvent mauvaise, surtout en cas de maladie chronique. Les patients doivent être informés du risque de poussées en cas d’arrêt brutal du traitement ; ils peuvent être rassurés par la rareté des effets indésirables en cas d’exposition prolongée.
Le risque de rétinopathie induite par les antipaludéens de synthèse est faible aux doses thérapeutiques usuelles de l’hydroxychloroquine. Il justifie toutefois une consultation ophtalmologique en début de traitement (examen à la lampe à fente, champ visuel central automatisé), puis un suivi annuel à partir de cinq ans de traitement (et réalisation à cette date d’une tomodensitométrie à cohérence optique).
Le segment QT doit être mesuré par la réalisation d’un électrocardiogramme annuel en cas d’association à d’autres traitements susceptibles de l’allonger. L’association avec le citalopram et l’escitalopram est contre-indiquée.
Enfin, conseiller la prise pendant les repas permet d’amender les possibles nausées. Le Club rhumatismes et inflammations (CRI) a publié en 2021 des recommandations pour la bonne utilisation de l’hydroxychloroquine dont la réputation a été altérée par son utilisation au début de la pandémie de Covid-19.
 

Traitements topiques

On peut proposer aux patients un traitement par corticoïdes de classe très forte (propionate de clobétasol [Clarelux, Dermoval]) ou par tacrolimus topique (Protopic).
 

Autres traitements

Le recours au méthotrexate, à la dapsone, au thalidomide (recommandation temporaire d’utilisation depuis 2015), au bélimumab (biothérapie ciblant la cytokine BLyS) est rarement nécessaire.

Vaccinations : pas de contre-indication !

Le calendrier vaccinal classique s’applique comme à tout patient. Il convient de s’assurer de la vaccination annuelle contre la grippe, contre le Covid et antipneumo­coccique tous les cinq ans. Comme pour toutes les maladies auto-immunes, il n’y a pas de contre-­indication à la vaccination dans le ­lupus systémique ou cutané. Il faut à ce titre rassurer le patient. Ce n’est qu’en cas de traitement immunosuppresseur que les vaccins vivants atténués (fièvre jaune, rougeole-oreillons-rubéole, zona…) peuvent être contre-indiqués.

Grossesse : à programmer

Toute grossesse doit être programmée, a fortiori en cas de lupus systémique associé au lupus cutané. En cas de syndrome de Gougerot-Sjögren ou de lupus subaigu, un suivi en milieu obstétrical spécialisé est conseillé.
En aucun cas, le traitement par hydroxychloroquine ne doit être suspendu pendant la grossesse, en particulier en présence d’anticorps anti-SSA. En effet, il a été démontré que son utilisation diminuait la survenue de blocs auriculoventriculaires congénitaux.

Encadre

Les points clés de la prise en charge

– Suivi conjoint médecin traitant et dermatologue

– Sevrage tabagique

– Photoprotection

– Observance du traitement par hydroxychloroquine et surveillance ophtalmologique

– Contrôle des facteurs de risque cardiovasculaires

– Accompagnement de la grossesse et suivi gynécologique

– Respect du calendrier vaccinal et vaccinations spécifiques, notamment en cas de traitement immunosuppresseur

Références

1. Gilliam JN, Sontheimer RD. Distinctive cutaneous subsets in the spectrum of lupus erythematosus. J Am Acad Dermatol 1981;4(4):471-5.
2. Lipsker D. The need to revisit the nosology of cutaneous lupus erythematosus: the current terminology and morphologic classification of cutaneous LE: difficult, incomplete and not always applicable. Lupus 2010;19(9):1047-9.
3. Biazar C, Sigges J, Patsinakidis N, et al. Cutaneous lupus erythematosus: first multicenter database analysis of 1002 patients from the European Society of Cutaneous Lupus Erythematosus (EUSCLE). Autoimmun Rev 2013;12(3):444-54.
4. Aringer M, Costenbader K, Daikh D, et al. 2019 European League Against Rheumatism/American College of Rheumatology Classification Criteria for Systemic Lupus Erythematosus. Arthritis Rheumatol 2019;71(9):1400-12.
5. Grönhagen CM, Fored CM, Granath F, et al. Cutaneous lupus erythematosus and the association with systemic lupus erythematosus: a population-based cohort of 1088 patients in Sweden. Br J Dermatol 2011;164(6):1335-41.
6. Chong BF, Song J, Olsen NJ. Determining risk factors for developing systemic lupus erythematosus in patients with discoid lupus erythematosus. Br J Dermatol 2012;166(1):29-35.
7. HAS. Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS). Lupus systémique. Janvier 2017 (mise à jour : février 2020). Disponible sur : https://bit.ly/3vQtib9
8. Chasset F, Bouaziz JD, Costedoat-Chalumeau N, et al. Efficacy and comparison of antimalarials in cutaneous lupus erythematosus subtypes: a systematic review and meta-analysis. Br J Dermatol 2017;177(1):188-96.

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essentiel

Le lupus cutané est une entité rare, et son évolution en lupus systémique l’est encore davantage (18 % à trois ans).

Le suivi conjoint entre médecin traitant et dermatologue doit comporter une surveillance régulière clinique et biologique car le risque d’évolution systémique reste possible.

Associée au sevrage tabagique et à la photoprotection, l’hydroxychloroquine est le pilier du traitement ; l’observance est essentielle et un suivi ophtalmologique indispensable.