En raison de l’extrême polymorphisme de la maladie, tout médecin généraliste peut être confronté à un lupus systémique débutant. La précocité de la prise en charge, l’éducation du patient, l’éviction des facteurs favorisants et le suivi sont essentiels pour améliorer le pronostic. Synthèse des nouvelles recos de la HAS à destination du médecin traitant.

Le lupus systémique (LS) est une maladie systémique, protéiforme, grave en l’absence de traitement, qui touche surtout la femme en période d’activité ovulatoire (sex-ratio 9 femmes pour 1 homme). Il est rare chez l’enfant, et plus grave que chez l’adulte, notamment en raison de la plus grande fréquence de l’atteinte rénale. Il est caractérisé sur le plan biologique par la production d’anticorps antinucléaires dirigés contre l’ADN double brin. Le LS s’associe parfois au syndrome des anticorps antiphospholipides  (SAPL) défini par l’association de thromboses ou d’événements obstétricaux et d’anticorps antiphospholipides (aPL).

La HAS a mis à disposition le nouveau protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) expliquant aux professionnels de santé et en particulier aux MG la prise en charge diagnostique et thérapeutique optimale et le parcours de soins d’un patient atteint de lupus systémique.

Une clinique polymorphe

La fatigue est une plainte rapportée par près de 80 % des patientes. L’approche diagnostique et thérapeutique de ce symptôme, en particulier en dehors des poussées, est rendue complexe par l’intrication des conséquences physiques et psychologiques de la maladie et de ses séquelles.

Les manifestations cutanées, présentes dans 80 % des cas, sont typiques, mais très variées. Trois types de lésions spécifiques sont décrits :

  • le lupus aigu est caractérisé par le vespertilio de topographie symétrique ou en ailes de papillon (fig. 1) ; les lésions érythémateuses ou maculopapuleuses, non prurigineuses, disparaissent sans séquelles ;
  • dans la forme subaiguë, l’éruption siège aux zones photosensibles (fig. 2) ; annulaire ou polycyclique, elle est généralement associée à des anticorps anti-SSA (ou anti-Ro).
  • le lupus chronique, le plus souvent discoïde, se manifeste par des plaques érythémateuses, des squames et une atrophie cicatricielle ; il siège au visage, aux oreilles et aux mains.

Livedo, phénomène de Raynaud, urticaire, purpura, ulcère de jambes sont parfois associés.

Fréquentes (80 % des cas), les arthralgies surviennent dans un tableau de polyarthrite symétrique touchant les petites articulations (MCP, IPP, carpe, genoux et chevilles). Mais, contrairement à la polyarthrite rhumatoïde, l’atteinte n’est pas déformante et rarement destructrice.

Les manifestations neurologiques compliquent 30 à 60 % des LS. Le « neurolupus » ne touche que rarement les neurones périphériques (neuropathies, multinévrites, voire polyradiculonévrites) ; les atteintes centrales sont plus fréquentes, plus graves et de pronostic sévère.

Les accidents vasculaires sont plutôt associés à des anticorps antiphospholipides. Des crises comitiales de tous types sont possibles. Une pseudosclérose en plaques entraîne des démyélinisations encéphalique ou médullaire (myélite lupique). La maladie peut toucher les nerfs crâniens et provoquer des épisodes neuropsychiatriques sévères (psychotique ou dépressif).

Les manifestations rénales ayant une importance pronostique majeure, elles sont systématiquement et régulièrement traquées par bandelette urinaire durant la vie du patient. Toute protéinurie, inexpliquée par ailleurs, de plus de 0,5 g/j impose la biopsie rénale. La principale atteinte est glomérulaire, mais ce n’est pas la seule : il peut s’agir d’une néphropathie vasculaire (souvent associée à un SAPL) ou interstitielle.

Des manifestations cardiaques sont possibles. La péricardite parfois latente est corticosensible. La myocardite est rare, sans signes spécifiques (insuffisance cardiaque, troubles du rythme ou conduction). Les lésions valvulaires (endocardite de Libman-Sacks) s’accompagnent d’anticorps antiphospholipides, avec les complications habituelles (greffe oslérienne, emboles artériels ou insuffisance cardiaque). Une pleurésie, uni- ou bilatérale, lymphocytaire exsudative et corticosensible, est souvent associée à une péricardite, révélatrice ou latente. La tamponnade est exceptionnelle.

Pneumopathie interstitielle ou hypertension artérielle pulmonaire sont plus rares.

Évaluation initiale

La première étape est la confirmation du diagnostic. Même si la prise en charge initiale peut être assurée par le médecin généraliste, compte tenu de l’impact pronostique de la précocité de la prise en charge, il est préférable de faire confirmer le diagnostic par un médecin ayant l’expérience du LS (centres de référence, centres de compétences et leurs réseaux de correspondants).

Une fois le diagnostic du LS établi, il faut :

  • lister les atteintes présentes (extension de la maladie, notamment rénale par la recherche d’une protéinurie) ;
  • évaluer l’activité et la sévérité de la maladie ;
  • anticiper ses menaces potentielles ;
  • rechercher d’éventuelles maladies associées ;
  • situer le malade dans son environnement familial, socio-professionnel…
  • apprécier son attitude psychologique vis-à-vis du LS ;
  • établir un premier pronostic (encadré 1) ;
  • poser les indications thérapeutiques.

La gravité des atteintes viscérales justifie leur recherche systématique par un interrogatoire dirigé, un examen clinique et des examens complémentaires, y compris en l’absence de symptômes évocateurs : leur prise en charge précoce est un facteur déterminant pour la survie des patients.

Prise en charge thérapeutique

L’éducation thérapeutique est un élément clé de la prise en charge. Elle porte en particulier sur les points suivants :

  • Connaissance des symptômes de la maladie et du profil évolutif du LS, en précisant les signes d’alarme qui doivent conduire à consulter. Toute modification ou aggravation de la symptomatologie doit motiver une consultation. Le patient doit pouvoir reconnaître seul les signes cliniques avant-coureurs de la poussée évolutive et consulter.
  • Maîtrise des risques liés au traitement : ostéoporose cortisonique (supplémentation vitamino-calcique et anti-ostéoporotique selon les recommandations), infections liées aux immunosuppresseurs (prévention antipneumocystose et herpès virus), atteinte rétinienne sous hydroxychloroquine, imposant un bilan ophtalmologique annuel (fond d’œil, champ visuel central et électrorétinogramme multifocal).
  • Sensibilisation au respect du calendrier vaccinal, place de la vaccination anti-Covid, vaccination spécifique en lien avec les éventuels traitements immunosuppresseurs ou immunomodulateurs.
  • Nocivité du tabac : facteur de risque cardiovasculaire, interférence avec l’efficacité de l’hydroxychloroquine et augmentation de l’activité du LS.
  • Mise en garde vis-à-vis des risques d’une exposition au soleil. On recommande une protection vestimentaire et une photoprotection (application toutes les 2 heures d’un écran solaire d’indice très élevé sur les régions découvertes).
  • Précision des règles de maniement et de surveillance d’un éventuel traitement par antivitamine K.
  • Information diététique personnalisée : régime adapté en cas de corticothérapie, notion d’équilibre alimentaire.
  • Encouragement quant à l’activité physique d’entretien.
  • La grossesse devant être programmée, une contraception efficace doit être évoquée dès la première consultation. Elle est absolument indispensable quand un traitement tératogène est administré (mycophénolate mofétil, acide mycophénolique, cyclophosphamide, méthotrexate, thalidomide).
  • Dépistage des cancers gynécologiques, en particulier liés à l’infection par l’HPV.
  • Les objectifs pédagogiques sont résumés dans le tableau.

Traitement médicamenteux

Le traitement de fond, à proposer à tous les patients sauf contre-indication, repose sur l’hydroxychloroquine, parfois associée à un immunosuppresseur et/ou une corticothérapie à très faible dose (≤ 5 mg/j d’équivalent prednisone). Lors des poussées, le traitement repose sur l’HCQ et les AINS non photosensibilisants (à l’exception de l’ibuprofène, contre-indiqué par le risque de méningite aseptique), plus rarement l’acide acétylsalicylique et, si besoin, une corticothérapie à faible dose. En cas de poussées sévères : corticothérapie seule ou associée aux immunosuppresseurs et parfois aux biothérapies (en plus de l’HCQ).

En l’absence de traitement curatif, la prise en charge a plusieurs objectifs :

  • à court terme : assurer le confort quotidien, préserver les fonctions vitales dans les poussées graves ;
  • à moyen terme : s’opposer à l’évolution prévisible des atteintes viscérales, prévenir les poussées, les thromboses, préserver le cursus scolaire, les études et l’insertion socioprofessionnelle, préserver la fertilité ;
  • à long terme : limiter les séquelles du LS et les effets délétères des traitements.

Quel suivi ?

La fréquence des consultations varie en fonction de la sévérité initiale, du type d’atteinte viscérale et/ou de la survenue d’événements intercurrents. Une évaluation clinique spécialisée est nécessaire à chaque modification de traitement.

De manière générale, la fréquence recommandée de l’examen clinique est tous les 3 (chez l’enfant) à 6 mois en période de quiescence, plus rapprochée, mensuelle, en cas de lupus évolutif, a fortiori en cas d’atteinte viscérale grave.

Un bilan clinique et biologique des complications, des atteintes viscérales et de l’activité immunologique du LS est réalisé à chaque consultation (recherche de protéinurie par bandelette urinaire au minimum à chaque consultation, et à long terme tous les 3 mois).

Encadre

Quel pronostic ?

Les poussées se succèdent avec des intervalles libres de durée variable. Les périodes à risque sont le jeune âge, la grossesse. Une rémission survient souvent à la ménopause.

La pathologie est habituellement plus sévère chez l’enfant, les hommes et les sujets à peau noire.

Les glomérulonéphrites (stades III et IV) et les atteintes du système nerveux central sont les formes les plus graves et requièrent une immunosuppression.

L’éducation et l’information du patient, une bonne observance (hydroxychloroquine), l’éviction des facteurs favorisant les poussées sont essentiels à l’amélioration du pronostic.

Les complications des traitements sont à anticiper autant que faire se peut : rétinopathie sous hydroxychloroquine, infections et ostéoporose favorisées par les corticoïdes et les immunosuppresseurs, risque néoplasique (hémopathies) induit.

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