« Au début de la pandémie de Covid-19, alors que la France était confinée, j’ai participé au suivi téléphonique de patients suspects d’avoir la maladie sans pour autant nécessiter une hospitalisation (le dépistage massif n’était pas encore développé). Étant médecin nutritionniste, j’en profitais pour leur demander s’ils avaient maigri. Très fréquemment la réponse était oui, et l’amaigrissement se comptait souvent en kilos.1 Et tout aussi fréquemment les patients ajoutaient : " Mais j’en avais besoin, docteur. " Comme si, malgré les autres symptômes, la perte de poids était un bénéfice indirect de la maladie. Comme je leur faisais remarquer qu’un amaigrissement si rapide s’accompagnait très probablement d’une fonte musculaire (ce que les patients confirmaient), ils restaient généralement " fiers " d’avoir réussi à maigrir. »
Cette anecdote en dit long sur la pression sociétale d’un modèle corporel idéal. Mais cette pression n’est-elle que le résultat de notre société de consommation ? Quelle part tient le médecin dans cette culpabilité de grossir ou de reprendre du poids après un régime amaigrissant ? Qui d’entre nous, et pour de bonnes raisons (le cholestérol, la tension, le diabète, etc.), n’a jamais suggéré à son patient au décours de la consultation « qu’il faudrait peut-être maigrir un peu » ? La phrase est d’ailleurs parfois plus violente, de sorte que les patients sont souvent contents de ne pas passer sur la balance (une injonction de moins…).

La peur de grossir

« Durant les " dîners en ville ", lorsque pour casser la glace on parle de son travail, et que j’annonce que je suis médecin nutritionniste, la glace ne fond que lorsque je rassure mon interlocuteur en lui disant que je m’occupe de faire grossir les maigres et pas de faire maigrir les gros. »
La peur de grossir ou la culpabilité d’avoir grossi est partagée par beaucoup de nos concitoyens, qui donc ne voient pas le problème de maigrir lorsqu’ils tombent malades. Plus exactement, ils le perçoivent, mais tardivement, et alors de manière très angoissante.

La culpabilité de ne pas avoir faim

Arrive alors une autre culpabilité : celle de ne pas avoir faim, autrement dit de ne pas réussir à manger suffisamment pour ne plus maigrir, voire pour repren­dre du poids. À ce stade, devant une assiette non terminée, la famille, les amis, mais aussi les soignants (médecins compris) ont souvent cette phrase, on ne peut plus culpabilisante : « Il faut vous forcer ! » Cette injonction est, en nutrition, la pire de toutes car si une personne en surpoids imagine pouvoir éventuellement, à force de privation, réussir à maigrir, un malade anorexique perçoit dans sa chair toute l’impossibilité de manger plus (en volume).

Les erreurs à ne pas commettre

Régimes amaigrissants : à bannir !

Un régime amaigrissant est un régime restrictif faisant perdre rapidement du poids (donc des muscles) et après lequel on pourrait reprendre une vie normale. Ces pratiques ont fait la preuve de leur inefficacité à long terme, voire de leur dangerosité s’ils sont répétés (« effet yo-yo ») car ils font le lit de l’obésité sarcopénique.2 Ces régimes transitoires sont à peu près aussi utiles que d’arrêter de fumer pendant 15 jours. Il faut au contraire changer définitivement ses habitudes alimentaires et faire de l’activité physique. Mais ce n’est pas toujours simple. Et c’est là qu’intervient « le sport sur ordonnance » et peut-être un jour « la consultation diététique sur ordonnance ». Dans les deux cas, ces expertises ne sont pour l’instant pas systématiquement remboursées par la Sécurité sociale.

Sans sel, sans graisses, sans sucre ?

Que penser des autres régimes (sans sel, contre le cholestérol, pour les diabétiques) souvent prescrits par les médecins ?
En dehors d’une période courte d’hospitalisation, le régime sans sel strict est à bannir. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas limiter sa consommation, mais qu’il faut qu’il reste plaisant de manger.
Le régime contre le cholestérol correspond à une alimentation de type méditerranéen qui ne pose pas de problème et qui ne bannit aucunement les graisses (surtout lorsqu’elles sont d’origine végétale).
Le régime pour les patients diabétiques doit lui aussi évoluer. Les glucides ne sont pas interdits lorsque l’on est diabétique. Il faut au besoin augmenter l’insuline. Ce qui ne veut pas dire que l’on peut se laisser aller sur les boissons sucrées.
La notion de tempérance a pour objectif l’obtention d’un poids stable, voire une perte de poids lente et continue.

Encadrer les régimes « sans » et les régimes « plus »

Que penser des autres régimes « sans » (gluten, fibres, lactose…) souvent auto-infligés par les patients ? Nous sommes là dans un territoire délicat. Tant que les exclusions ne sont pas invivables et n’entraînent ni carence ni amaigrissement, il est bien difficile d’aller contre le choix du patient, surtout s’il perçoit une amélioration de sa qualité de vie.
À l’opposé des régimes « sans », il y a les régimes « plus ». C’est-à-dire une alimentation adaptée aux petits appétits mais plus dense en calories et en protéines. Il faut souvent, pour que cette alimentation soit efficace, qu’elle soit expliquée longuement et de manière répétée par un diététicien. Mais le médecin traitant peut préciser que les aliments qu’il faut limiter pour ne pas grossir sont ceux qu’il faut favoriser pour ne pas maigrir.
Lorsque l’on tente de convaincre les patients dénutris qu’ils peuvent manger des frites, de la charcuterie, du fromage, des œufs, des gâteaux, de la crème, du beurre, de l’huile... certains doutent du bien-fondé de ces conseils. Il faut reconnaître à leur décharge qu’on leur répète tout au long de leur vie qu’il ne faut pas manger trop gras, trop salé, trop sucré. Outre le fait que ce slogan est fait pour les bien-portants (et non pour les malades), il stigmatise les aliments. Très peu de personnes comprennent que le mot important est « trop ». Car « trop », qu’est-ce que ça veut dire ? En revanche, gras, sucré, salé, chacun sait ce que cela veut dire. Et au lieu de comprendre que ce slogan promeut la tempérance, il favorise souvent la mise à l’index de ces aliments.

Objectif : un poids stable

Ne participons pas à cette culpabilisation nutritionnelle. N’oublions pas que les études épidémiologiques indiquent que la mortalité est moindre aux alentours d’un indice de masse corporelle (IMC) de 25 à 26 et que la mortalité est supérieure pour les personnes ayant un IMC à 18,5 que pour celles à 30.3 L’objectif pour un adulte de poids normal est de garder un poids globalement stable, mais il faut aussi être capable de tolérer une prise de poids lorsqu’elle est lente et qu’elle ne s’accompagne pas de troubles métaboliques. Lorsque la prise de poids existe et est rapide, ne culpabilisons pas les patients, mais cherchons à comprendre les raisons de cette prise de poids ; elles sont souvent à chercher dans les relations humaines. Gardons-nous de toute prescription de régime amaigrissant rapide. Faisons la promotion du régime méditerranéen, tout en reconnaissant que le prix des fruits et légumes peut parfois poser un problème pour certaines familles. Soyons convaincus qu’aucun aliment n’est interdit, et que seuls les excès répétés sont à combattre. Enfin, lorsqu’un patient commence à maigrir, restons attentifs et prenons le temps d’expliquer qu’une alimentation « riche » est maintenant nécessaire. 

Références

1. Vaillant MF, Agier L, Martineau C, Philipponneau M, Romand D, Masdoua V, et al. Food intake and weight loss of surviving inpatients in the course of COVID-19 infection: A longitudinal study of the multicenter NutriCoviD30 cohort. Nutrition. 2022;93:111433.
2. HAS. Surpoids et obésité de l’adulte : prise en charge médicale de premier recours. 2011. Disponible sur : www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2011-09/2011_09_30_obesite_adulte_argumentaire.pdf.
3. Bhaskaran K, Dos-Santos-Silva I, Leon DA, Douglas IJ, Smeeth L. Association of BMI with overall and cause-specific mortality: A population-based cohort study of 3.6 million adults in the UK. Lancet Diabetes Endocrinol. 2018;6(12):944-53.

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