Les épidémies de grippe se succèdent chaque hiver, avec des conséquences variables. Celles de 2016-17 et de 2017-18 ont eu un impact considérable.
Avant de faire face à une nouvelle flambée, faisons un bilan et une analyse critique de ce qui s’est passé lors de ces deux hivers.
Ces épidémies ont eu toutes deux un début précoce (mi-décembre), une durée longue (10 semaines en 2016-17 et 16 semaines en 2017-18) et un retentissement majeur (28 000 décès au total). Les virus impliqués étaient le A(H3N2) en 2016-17 ; les souches A(H1N1)pdm09 et B/Yamagata en 2017-18 (en 2 vagues successives).
Outre les décès, les cas sévères admis en réanimation ont aussi été très nombreux (4 500 sur 2 ans), ainsi que les épidémies en EHPAD (près de 3 500), notamment en 2016-17, année « H3N2 ». Cet hiver-là, les infections graves ont essentiellement concerné les plus de 65 ans : les 1 479 sujets hospitalisés en réanimation avaient un âge moyen de 66 ans. En revanche, en 2017-18, saison « H1N1 + B/Yamagata », il y a eu moins de foyers d’infections respiratoires aiguës en EHPAD (1 500 environ contre 2 000 en 2016-17), mais davantage de patients en réanimation (environ 3 000) dont la majorité avaient moins de 65 ans. Donc, lors de ces deux hivers, toutes les tranches d’âge ont été touchées…
Devant de tels chiffres, il est difficile de ne pas évoquer le lien entre cette morbi-mortalité élevée et la faible adhésion à la vaccination, même si ce vaccin a une efficacité sub-optimale.
Lors de ces deux épidémies, le taux de vaccination des sujets fragiles a été de 47 à 48 %selon la CNAMTS. Ainsi, sur les 12 millions de personnes invitées à se faire vacciner, plus de 6 millions ne l’ont pas fait. Ces refus ont des conséquences délétères à la fois individuelles et collectives, plaçant les personnes fragiles dans une situation de vulnérabilité inutile, potentiellement dangereuse. Par ailleurs, ils affaiblissent l’effort collectif en ne participant pas à la lutte contre l’épidémie. Se faire vacciner contre la grippe à partir de 65 ans, ou lorsqu’on a un facteur de risque n’est pas un aveu de faiblesse, mais une prise de conscience et aussi un acte citoyen et altruiste. Le vaccin protège et renforce le rôle du vacciné dans la lutte contre la pollution virale en réduisant le risque d’infection, et en bloquant la chaîne de transmission. Il protège le sujet immunisé mais aussi les autres.
Depuis 2015, les vaccins contre les virus A(H3N2) sont de moins en moins performants en raison du masquage des épitopes majeurs d’immunisation par de nombreux sites de glycosylation qui couvrent l’hémagglutinine du virus.3 Contre ces souches, on ne peut proposer actuellement que des candidats vaccins moins immunogènes que précédemment. De plus, l’apparition de mutations imprévues sur le faible nombre de sites antigéniques encore « visibles » par le système immunitaire (et utilisés dans le vaccin) peut générer une baisse de l’efficacité (de 60 % espérée à 25 % observée). Le choix de la composition vaccinale pour les virus A(H3N2) est actuellement très complexe, du fait aussi de la co-circulation de nombreux groupes génétiques (clades) différents, dont certains peuvent aussi être des variants antigéniques.3, 4 Toutefois, même avec une efficacité de 25 ou de 40 %, le vaccin permet d’éviter des infections, des hospitalisations et des décès.
Pour l’hiver 2017-18, l’efficacité des vaccins a été disparate : plutôt élevée contre le A(H1N1)pdm09 puisque estimée à près de 70 % par le réseau Sentinelles, mais moins bonne contre le virus B (entre 25 et 40 %) à cause d’une inadéquation entre la souche contenue dans le vaccin (B/Victoria) et celle circulante (B/Yamagata). Le phénomène – inattendu – a été la surmortalité importante due à cette souche, essentiellement chez les plus de 65 ans, ce qui est inhabituel en Europe (par exemple, il n’a pas été observé lors de l’épidémie due à un virus B en 2015-16). Les seniors ont été particulièrement impactés par cette épidémie B tardive, certainement pour plusieurs raisons. Outre les deux évoquées précédemment (inadéquation du vaccin et faible couverture), il est possible que les personnes âgées soient moins bien protégées à distance de l’acte de vaccination. Il serait intéressant de vérifier si les injections faites début octobre restent protectrices fin mars chez ces patients immunosénescents.
De plus, rappelons que seul 1 sujet fragile sur 2 a suivi la recommandation vaccinale. Nos seniors et grands seniors sont de plus en plus nombreux. Cet accroissement est lié au fait que nous avons, en France, une espérance de vie qui est parmi les meilleures du monde. En revanche, et cela est moins connu, l’espérance de vie en bonne santé reste médiocre…
Chaque hiver, la grippe menace et altère l’autonomie des sujets âgés ; c’est la troisième cause d’entrée en dépendance, avant la fracture de hanche. Or, en prévention des chutes, personne ne conteste l’importance de l’aménagement des appartements… L’objectif est de diminuer le risque, sa suppression étant impossible. Dans le domaine de l’infection grippale, le mécanisme et le but sont similaires : réduire le risque même s’il n’est pas possible de l’éliminer.
Or cette démarche est négligée, non seulement par les seniors, mais aussi par de nombreux patients ayant des pathologies chroniques, que la grippe peut faire gravement décompenser. Leur liste est longue et très bien documentée (encadré).
Nous devons mieux expliquer les dangers aux sujets fragiles et à leur entourage, en plaçant la vaccination au cœur d’une stratégie de prévention. Cet acte n’est que le premier des moyens qu’il faut mettre en œuvre. L’épidémie de grippe doit être considérée comme une « pollution microbienne » nécessitant des approches complémentaires et additionnelles comme des mesures d’hygiène et barrières (port de masque, hygiène des mains, isolement des cas), et la prise en charge adaptée des malades au niveau individuel et collectif (utilisation des antiviraux). L’analyse critique des deux hivers passés montre que, collectivement, la gestion de l’épidémie n’a pas été optimale. Nous n’avons pas lutté contre ce fléau avec l’ensemble des moyens dont nous disposons (difficile de ne pas parler de fléau devant 27 000 décès en 2 ans !).
La campagne de vaccination contre la grippe est lancée, mais dans l’esprit des personnels soignants et des personnes au contact des fragiles, nous devrions plutôt parler de lutte contre l’infection grippale.
Apprenons à préserver la santé des plus âgés et des personnes à risque. Il y a un travail gigantesque à faire pour vacciner les 6 millions qui ne l’ont pas été l’année dernière. Nous ne serons pas trop nombreux – médecins, infirmières, sages-femmes et maintenant pharmaciens – pour rattraper notre retard, en participant tous à l’effort collectif d’immunisation, en vaccinant mais aussi en nous vaccinant. Rappelons que cette mesure n’est que la première étape de la lutte contre l’épidémie de grippe : celle-ci est un marathon qui continue après la vaccination.
Bruno Lina
Encadre

Qui doit se faire vacciner ?

Toutes les personnes de 65 ans et plus.• Femmes enceintes, quel que soit le stade de la grossesse.Toute personne de plus de 6 mois ayant une des pathologies suivantes :– bronchite chronique, emphysème, asthme, BPCO, silicose, dilatation des bronches, mucoviscidose, malformations de la cage thoracique… – maladies CV : cardiopathie congénitale, insuffisance cardiaque, maladie des valves cardiaques, des artères du cœur, troubles du rythme, angine de poitrine, antécédent d’AVC, d’infarctus ou de pontage ;– formes graves des affections neurologiques et musculaires (myopathie, sclérose en plaques, séquelles d’AVC, démence, poliomyélite, myasthénie…), paraplégie ou tétraplégie avec atteinte du diaphragme ;– néphropathie chronique grave, dialyse, syndrome néphrotique, maladie chronique du foie ;– diabète, obésité ;– cancers et autres maladies du sang, greffe d’organe et de moelle, déficits immunitaires, maladies inflammatoires et/ou auto-immunes traitées par immunosuppresseurs, VIH, drépanocytose.• Entourage des nourrissons de moins de 6 mois ayant des facteurs de risque de grippe grave : prématurité, cardiopathie congénitale, déficit immunitaire congénital, pathologie pulmonaire, neurologique ou neuromusculaire ou ALD.• Personnes séjournant dans un établissement de soins de suite ou dans un établissement médico-social d’hébergement. En milieu professionnel :– professionnels de santé et tout professionnel en contact régulier et prolongé avec des personnes à risque de grippe sévère ; – personnel navigant des bateaux de croisière et des avions, ou accompagnant les groupes de voyageurs.

Références
1. Campèse C, Bonmarin I, Savitch Y, et al. Surveillance de la grippe en France, saison 2016-2017. BEH 2017;n° 22:466-75. https://bit.ly/2Qnqtqf
2. InVS. Bulletin épidémiologique grippe. Bilan préliminaire. Saison 2017-2018. https://bit.ly/2SO9YoG
3. Beer K, Dai M, Howell S, et al. Characterization of neutralizing epitopes in antigenic site B of recently circulating influenza A(H3N2) viruses. J Gen Virol 2018;99:1001-11.
4. OMS. Rapport sur la composition des vaccins antigrippaux dans l’hémisphère Nord, saison 2018-2019. https://bit.ly/2opojtD