Les lymphœdèmes secondaires du membre supérieur surviennent chez 15 à 20 % des femmes après traitement du cancer du sein. Quelles complications et comment les prévenir ? Quelle prise en charge ? Quelles précautions adopter ? Devant quels signes s’inquiéter ? Tout ce qu’il faut savoir en médecine générale d’après le référentiel – fraîchement mis à jour – de l’Association francophone des soins oncologiques de support et la Société française de lymphologie.

 

La cause la plus fréquente de lymphœdème secondaire en France est le cancer et ses traitements. Dans le contexte du cancer du sein, on estime qu’un lymphœdème du bras (souvent appelé « gros bras ») apparaît chez 15 à 28 % des patientes après curage axillaire et 2,5 à 6,9 % après ganglion sentinelle ; son délai d’apparition est variable : quelques semaines voire plusieurs années après (temps médian de survenue : 2 ans). Il débute préférentiellement au niveau proximal ou au niveau du coude mais peut d’emblée toucher la main et y rester localisé ; il faut toujours rechercher un œdème de la paroi thoracique et/ou du sein associé.

Les facteurs de risque principaux sont : le nombre de ganglions enlevés lors du curage axillaire ; un traitement par radiothérapie externe ; l’obésité au moment du diagnostic et après traitement (favorisée par la sédentarité).

L’impression de lourdeur, de pesanteur, est le symptôme le plus fréquent. La douleur n’est pas habituelle, elle doit faire rechercher : récidive axillaire, pathologie ostéo-articulaire, neuropathie (intercosto-brachiale, toxicité chimiothérapie), thrombose veineuse profonde.

La peau peut être souple et prendre le godet, ou indurée, ou avoir un aspect érythémateux.

En plus de l’impact fonctionnel, le lymphœdème peut entraîner de nombreuses difficultés psychologiques et sociales.

Il est indispensable de mesurer le volume du lymphœdème avant tout traitement et lors du suivi. Les études récentes sont en faveur d’un diagnostic et d’un traitement précoces.

Quelles complications ?

L’érysipèle complique 20 à 40 % des lymphœdèmes. Le germe responsable est le streptocoque β hémolytique. Il se caractérise par la survenue brutale de fièvre > 38,5 °C, frissons, malaise général. Les signes locaux suivent rapidement : placard rouge, chaud, douloureux, d’extension centrifuge (adénopathie satellite, inflammatoire et lymphangite dans 25 à 50 % des cas). Le diagnostic est clinique. Traitement : amoxicilline 50 mg/kg/j en 3 prises (max 6 g/j) ou pristinamycine (1 g x 3/j) pendant 7 jours ; en cas d’allergie à la pénicilline, la clindamycine peut être utilisée. Attention : la régression complète des signes cutanés nécessite 2 voire 3 semaines (il ne faut pas prolonger l’antibiothérapie). Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), corticoïdes et immunosuppresseurs sont contre-indiqués car ils favorisent abcès et nécrose (en cas de prise chronique d’AINS : arrêter ce traitement jusqu’à guérison).

Les récidives sont fréquentes (30 %). En prévention : compression +++ et traitement des portes d’entrée. À partir de deux épisodes d’érysipèle dans l’année écoulée, une antibioprophylaxie est recommandée : extencilline 2,4 millions UI tous les 14-21 j en IM, ou oracilline 1 à 3 millions UI par jour ou azithromycine 250 mg/j si allergie à la pénicilline.

Les angiosarcomes compliquent essentiellement le lymphœdème secondaire (syndrome de Stewart-Treves). Tumeur rare (0,03 % après cancer du sein, délai moyen d’apparition de 10 ans), il a l’aspect clinique d’une macule violacée, de nodules infiltrées ou ecchymotiques (« un petit hématome qui ne guérit pas »).

Quelle prévention ?

Les seules mesures préventives préconisées sont : éviter la prise de poids (ou perdre du poids en cas d’IMC ≥ 30) ; conserver et surveiller toutes les amplitudes de mouvements de l’épaule et reprendre ou mettre en place une activité physique adaptée (progressive en fréquence et intensité et encadrée par des professionnels formés).

Il faut être vigilant sur les risques infectieux : désinfecter soigneusement toutes plaies sur le membre.

Attention toutefois à ne pas être trop anxiogène ! Les mesures préventives empiriques trop restrictives altèrent la qualité de vie et ne sont pas justifiées : à ce jour, aucune donnée de la littérature ne permet d’interdire les gestes sur le membre supérieur (prise de tension, prise de sang…) ni certaines activités (tricot, bains, soleil, avion…).

Quelle prise en charge ?

La physiothérapie décongestive combinée est le seul traitement actuellement reconnu. Il comprend deux phases.

– Phase intensive

L’objectif est la diminution de volume de 30 à 60 %. Les bandages multicouches (à dominance rigide) sont posés en ambulatoire (masseur kinésithérapeute (MK) en secteur libéral, hospitalisation de jour) ou en hospitalisation complète. Ces bandes doivent être portées 24h/24 et renouvelées toutes les 24 ou les 48 heures pendant environ 2 semaines. Il faut éduquer les patientes à mobiliser leur membre et à pratiquer des exercices, lors des périodes de bandage, pour favoriser le drainage de l’œdème.

Le drainage lymphatique manuel (DLM) doit être réalisé par des MK formés. L’efficacité n’est prouvée qu’associée aux bandages ou à la compression élastique pour obtenir une décongestion.

– Phase d’entretien

L’objectif est le maintien du volume obtenu.

Elle repose sur la mise en place au quotidien d’un manchon, à porter le jour, de classe 3 le plus souvent. Il faut vérifier la bonne adaptation tous les 3 à 6 mois (usure, renouvellement, modification en fonction de l’évolution du lymphœdème) ; il est à renouveler aussi fréquemment que nécessaire (au moins 2 fois par an). La patiente doit prendre soin de son membre supérieur, hydrater la peau et éviter toute effraction cutanée. Le DLM est facultatif en phase d’entretien (en fonction du suivi clinique du lymphœdème).

L’éducation thérapeutique est indispensable en raison de la chronicité du lymphœdème. L’activité physique est recommandée (encadrée et progressive), car elle induit une diminution des symptômes et de leur sévérité. Le port du manchon ne semble pas obligatoire pendant l’activité physique et dépend du ressenti de la patiente. Du point de vue de l’alimentation, maintenir ou obtenir un IMC normal (la perte de poids en cas de surpoids diminue le volume du lymphœdème).

– Autres traitements

La pressothérapie ou compression pneumatique intermittente peut être utilisée en complément dans la phase intensive ou d’entretien, après une séance de DLM. Elle ne doit pas être utilisée seule ni en cas de stase localisée au niveau de la racine du membre. Elle doit être suivie soit du bandage, soit d’une compression. Contre-indications : phase aiguë d’un érysipèle ou thrombose veineuse.

Les diurétiques et les veinotoniques ne sont pas indiqués.

Les indications de la chirurgie sont exceptionnelles. Les chirurgies palliatives ne sont proposées qu’en cas d’échec du traitement médical de physiothérapie décongestive combiné du lymphœdème, après une concertation multidisciplinaire intégrant une évaluation psychologique de la patiente, qui devra poursuivie la phase de maintien (port du manchon ou bandage +/- DLM).

Comment traiter les symptômes associés ?

Le lymphœdème n’est pas douloureux, mais peut être associé dans environ 30 % des cas à des douleurs neuropathiques séquellaires. En cas de douleur rebelle au traitement antalgique, une consultation auprès d’un médecin de la douleur est recommandée.

Devant toute douleur inhabituelle du membre supérieur, rougeurs, lymphœdème brutal, une consultation médicale s’impose à la recherche d’une récidive +++ (mammaire ou axillaire) ou d’une métastase, ou d’une thrombose veineuse.

L’épaule douloureuse est fréquemment (25 à 30 %) associée au lymphœdème dans les 4 ans après le traitement : il s’agit d’une douleur articulaire et péri-articulaire de l’épaule accompagnée d’une raideur dans toutes les amplitudes. Un traitement précoce par kinésithérapie est indiqué en première intention ; demander un avis spécialisé si l’évolution n’est pas favorable (les infiltrations ne sont pas contre-indiquées).

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

AFSOS. Prise en charge du lymphœdème secondaire du membre supérieur après cancer du sein. 8 juillet 2021.

HAS. Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé. Avis de la CNEDiMTS. 14 janvier 2020.

Sami G, El Fatoiki F, Hali F, et al. Syndrome de Stewart-Treves.Rev Prat 2021;71(1);69.