Les professionnels du soin, de l’éducation ou de la protection infantile sont confrontés à la révélation par l’enfant de violences sexuelles (viol, agression, prostitution). Par ailleurs, ces soignants guident les adolescents dans la découverte de la sexualité. Qu’il s’agisse d’expériences sentimentales heureuses des ados (et des questions, voire des doutes qu’elles génèrent) ou de traumatismes résultant de violences sexuelles, l’enfant, quel que soit son âge, doit pouvoir bénéficier d’une législation mais aussi de professionnels protecteurs. C’est dans cet objectif que se situent les réflexions sur ce que l’on appelle abusivement la « majorité sexuelle ».

Un vocable erroné

Résultant d’une méprise, ce terme ne décrit pas justement la capacité juridique de l’enfant (ou de l’adolescent) dans le domaine intime de la sexualité et plus largement des relations affectives et sentimentales ou dans le rapport à son corps.
La majorité est au plan juridique la capacité d’exercer les droits dont un sujet a la jouissance. A contrario, sont incapables ceux qui ne peuvent le faire, qu’ils soient majeurs ou mineurs.
La minorité est le statut juridique des enfants, c’est-à-dire les personnes âgées de moins de 18 ans et non émancipées. Si l’enfant dispose de droits, il n’a pas la capacité juridique de les exercer lui-même, qu’il s’agisse de ceux attachés à sa personne ou de ceux liés aux biens qui peuvent appartenir à son patrimoine. Ses droits sont en principe exercés pour lui par ses parents, représentants légaux (ils peuvent par exemple se constituer partie civile en son nom dans une procédure pénale) ou administrateurs légaux de ses biens.
La minorité est un statut qui vise à garantir la protection de l’enfant en raison de sa vulnérabilité et à lui permettre d’acquérir progressivement l’autonomie (pas seulement juridique) de prendre des décisions.
Sauf émancipation, la majorité n’est acquise qu’à 18 ans depuis 1974, quel que soit le domaine concerné. Les parents disposent pour éduquer et protéger leur enfant de l’autorité parentale, « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant » (art. 371-1 C. civ.).
Bien sûr, l’éducation de l’enfant visant à développer son autonomie, la loi prévoit que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité » (même article).
S’agissant de la sexualité, la loi réserve à l’enfant la capacité de décider seul de certains actes, sans imposer, ni à lui-même ni aux tiers concernés, de solliciter une autorisation parentale. Ainsi une fille mineure peut avoir recours à une IVG sans que ses parents en soient informés si elle le demande. Elle doit néanmoins être accompagnée d’une personne majeure de son choix (art. L2212-7 du code de la santé publique).
L’idée de majorité sexuelle vient en réalité d’une interprétation erronée des dispositions du code pénal relatives à l’infraction d’atteinte sexuelle. En effet, conformément à l’article 227-25 du code pénal, « hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende ». A contrario, si une personne majeure a un rapport sexuel avec un enfant de 15, 16 ou 17 ans, sans contrainte, violence, menace ou surprise (éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle), elle ne commet pas d’infraction, sauf si elle est un ascendant de l’enfant, a sur lui autorité de droit ou de fait, ou abuse de celle que lui confèrent ses fonctions (art. 227-27 du code pénal).
Il est abusif de déduire de cela que l’enfant âgé de 15 à 17 ans dispose d’une « majorité sexuelle ». Il est en effet, et c’est heureux, toujours sous la protection de ses parents, dont c’est le droit et le devoir. Ils surveillent notamment ses fréquentations et ses activités, sous réserve des dispositions précitées sur l’association de l’enfant aux décisions qui le concernent…
De même qu’il est sain que les parents puissent autoriser ou interdire certaines activités pour par exemple favoriser développement intellectuel et scolarité, ils doivent assurer cette protection s’agissant du développement affectif et éventuellement de la découverte progressive de la sexualité. Il serait problématique que la loi assigne aux parents cette responsabilité pour toutes les dimensions de son existence sauf pour l’une des plus sensibles sinon importantes, la sexualité.
La limite de ces droits et devoirs est l’intérêt de l’enfant. Si les parents détournaient leur autorité parentale pour exercer sur lui une emprise (interdictions excessives de sortie, contrôle abusif des fréquentations et des relations sentimentales), la société aurait alors toute légitimité à intervenir dans la vie familiale et à mettre en œuvre les dispositifs de protection, et notamment l’assistance éducative sous le contrôle du juge des enfants.

Protection pénale des victimes de violences sexuelles

Dans son avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles publié en 2016, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a recommandé que soit instauré dans la loi un seuil d’âge en deçà duquel la contrainte constituant l’infraction de viol ou d’agression sexuelle soit présumée et que cet âge soit fixé à 13 ans.
Pour que soit caractérisés le viol ou l’agression sexuelle, il est nécessaire de prouver que la personne à laquelle cet acte est reproché l’a perpétré par violence, contrainte, menace ou surprise et ce quel que soit l’âge de la victime.
Or de nombreux professionnels de la protection de l’enfance ont signalé plusieurs affaires pénales clôturées sans poursuite de l’agresseur faute d’avoir démontré que celui-ci avait exercé sur l’enfant, parfois très jeune, des actes de violence, de contrainte, de menace ou de surprise.
Certes, le législateur, tenant compte de la jurisprudence, avait déjà modifié les textes du code pénal pour mieux protéger la jeune victime, en prévoyant que « la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime » (article 222-22-1 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 8 février 2010).
Cependant, ces dispositions, en raison d’une part de l’exigence d’un caractère cumulatif (différence d’âge + autorité) et d’autre part de la faculté d’appréciation (« peut résulter ») laissée aux enquêteurs et magistrats, ont paru insuffisamment protectrices.
C’est pourquoi la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a ajouté à l’article 222-22-1 un troisième alinéa prévoyant que « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. »1
Il appartiendra à la jurisprudence de définir les notions d’abus de vulnérabilité et de disposition du discernement nécessaire pour donner à la loi pénale une interprétation à la fois respectueuse des principes fondamentaux et protectrice des enfants victimes de violences sexuelles.

Protection du développement de l’enfant : cruciale

Les adultes ont « quelque chose » à dire aux enfants sur la sexualité. Leur devoir, qu’ils soient parents, professeurs ou quelle que soit leur place, est de le faire dans le registre de l’autorité, qui exclut par définition à la fois la violence et la séduction.
Or il est étonnant de constater que la sexualité est une dimension de l’existence humaine très peu abordée avec les adolescents. Les professionnels évoquent avec lui, et s’échangent des informations, sur l’ensemble des aspects de son existence, parfois de façon intrusive. Seule la sexualité est peu ou pas abordée.
Pourtant, l’adolescent qui la découvre ou la pressent (parfois avec inquiétude) a besoin qu’un adulte bienveillant et protecteur l’aide à identifier ses émotions, ses désirs, ses craintes peut-être, et veille à lui ouvrir un espace de langage et d’élaboration, sans séduction ni violence.
Plus encore, il est nécessaire, même pour l’enfant petit, que les adultes (parents ou professionnels) ouvrent à l’enfant un espace de révélation des violences éventuellement subies. Il est en effet essentiel de lui signifier d’une part l’interdit de la violence y compris sexuelle et d’autre part qu’il est entouré d’adultes capables d’entendre et de prendre en compte de façon protectrice les révélations de violences sexuelles qu’il ou elle aurait subies.

Encadre

Les médecins face au débat

Dans leur exercice, les soignants amenés à entendre et examiner des enfants et adolescents doivent favoriser en particulier la révélation des actes de violence qu’ils ont subis. Nous (médecins) avons été étonnés, lors du procès récent d’un adulte accusé d’une agression sexuelle sur une mineure de 13 ans, que l’on ait pu évoquer un consentement alors que nous pensions qu’existait un seuil de 15 ans appelé à tort majorité sexuelle. L’argumentation d’édouard Durand, très claire, nous fait comprendre l’inadéquation de ce terme. Nous restons inquiets comme d’autres professionnels2 sur le flou qui peut entourer la notion d’abus de vulnérabilité. L’argumentation reste très juridique et soumise à une évaluation discutable du discernement. Notre pays n’est pas le seul à discuter de ce problème. Au Canada, le choix a été fait de déterminer un âge de consentement sexuel qui est passé en 2008 de 14 à 16 ans. Pour cela, on dispose d’arguments épidémiologiques. Les rapports sexuels des mineurs de moins de 16 ans sont le plus souvent liés à une violence et à l’absence de consentement. L’utilisation des moyens contraceptifs et des protections est beaucoup plus rare et reste difficile. L’âge précis du consentement possible reste discuté au Canada.3

Pourrait-on dans l’avenir préciser la loi et définir comme nos collègues nord- américains un âge de consentement sexuel ? Nous prenons position pour une défense inconditionnelle des mineurs face aux agressions sexuelles insuffisamment déclarées et reconnues. Le rôle des parents et de la prévention par l’éducation est bien sûr très important. Cependant, la majorité des enfants et adolescents victimes n’ont pas eu accès à des démarches préventives.

Références
1.  Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. https://bit.ly/2M0XZVm
2.  Laborde F, Créoff M. Le massacre des innocents. Les oubliés de la République. KDP Amazon; 2018: 188 p.
3.  Miller B, Cox D, Saewyc E. Age of sexual consent law in Canada: Population-based evidence for law and policy Can J Hum Sex 2010;19:105-17.

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essentiel

La « majorité sexuelle » vient d’une interprétation erronée du code pénal.

La responsabilité des parents est de protéger le développement affectif et la découverte de la sexualité.

Plusieurs associations souhaitent qu’avant 15 ans la personne soit automatiquement jugée comme non consentante.