La majorité des maladies chroniques sont concernées par la problématique de la mauvaise observance ou « l’inobservance » du traitement. Il s’agit d’un enjeu de santé publique majeur touchant à la fois les patients (escalade thérapeutique inutile, augmentation de la morbidité et la mortalité) et la collectivité (surcoûts, hospitalisations évitables). Intuitivement liée aux médicaments par voie orale, l’inobservance peut en réalité concerner différents aspects de la prise en charge, comme le respect des règles hygiénodiététiques ou du suivi médical.
Actuellement, près de 30 % de la population française a une hypertension artérielle (HTA). L’enquête ESTEBAN1 a montré que seul un patient hypertendu sur deux est diagnostiqué et a connaissance de sa condition ; parmi les patients diagnostiqués, environ la moitié suivent un traitement, dont la moitié parviennent aux objectifs tensionnels ; parmi les patients traités, seul un tiers sont observants.
Malgré un arsenal thérapeutique ayant fait la preuve de son efficacité, l’inobservance est un phénomène très documenté, considéré comme l’un des premiers facteurs d’échec thérapeutique, avec l’inertie médicale.
Nouvelle taxonomie de l’observance thérapeutique
L’essor des travaux sur l’observance a permis de redéfinir les termes et concepts qui encadrent son étude (
L’inobservance correspond à l’ensemble des manquements du patient, intentionnels ou non, à une ou plusieurs parties de son traitement. Elle peut résulter de l’absence d’initiation, du non-respect de la fréquence de prise du traitement prescrit ou de l’absence de persistance.
Inobservance, un phénomène multifactoriel
De nombreux travaux ont mis en évidence la nature multifactorielle de l’inobservance. L’HTA combine un nombre particulièrement important de facteurs en défaveur de l’observance. Des revues exhaustives de la littérature ont résumé l’état des connaissances à ce sujet.3
Facteurs socio-économiques et environnementaux
La précarité et le faible niveau d’éducation sont des facteurs défavorables, tout comme le fait de résider dans un désert médical. À l’heure actuelle, un élément particulièrement résonant est l’importance de la mutation numérique et l’accès massif à des informations de santé non hiérarchisées ainsi qu’aux théories «conspirationnistes » concernant les médicaments.
Facteurs liés au système de santé et à la relation avec les acteurs de santé
Moins importante en France que dans d’autres pays, le coût du reste à charge peut cependant rendre les traitements inaccessibles et être un frein à l’observance. Par exemple, les combinaisons fixes de trois antihypertenseurs ne sont pas remboursées par l’Assurance maladie alors que leur bénéfice sur l’amélioration de l’observance est prouvé.
La qualité de l’interaction du patient avec l’ensemble des professionnels de santé (relation patient-médecin mais aussi patient-pharmacien et médecin-pharmacien) joue également un rôle essentiel dans la persistance. L’entretien d’une relation positive, avec une bonne qualité de communication, d’empathie et une attitude non critique a un impact positif démontré sur l’observance.
Facteurs liés au traitement
Les longues durées de traitement induisent mécaniquement un risque supérieur d’inobservance. La complexité de l’ordonnance est un des facteurs les plus souvent associés à l’inobservance. On entend par « complexité » la présence d’un grand nombre de lignes de prescription, de posologies en plusieurs prises quotidiennes, ou l’obligation du respect des horaires de prise.
L’inobservance est également favorisée par les changements fréquents de prescription. Le conditionnement des médicaments joue aussi un rôle important, allant jusqu’à provoquer des arrêts liés au renouvellement du traitement (boîtes de 28, 30 ou 90 comprimés). De moindres fréquences de renouvellement sont favorables à l’observance, tout comme la personnalisation des délivrances à l’unité.
Si l’existence d’effets indésirables favorise les interruptions, les études comparant les classes thérapeutiques entre elles ne sont pas toutes concordantes et ne permettent pas de préjuger clairement des classes évitables. Dans l’HTA, les effets indésirables fréquemment rapportés par les patients, motivant les interruptions, sont la pollakiurie (diurétiques), l’hypotension orthostatique (alphabloquants, diurétiques), les œdèmes des membres inférieures (dihydropyridines) et les troubles sexuels, dont la dysfonction érectile (diurétiques, bêtabloquants, spironolactone) ; ces effets doivent être recherchés lors des consultations.
Facteurs liés à la pathologie
La probabilité d’inobservance est supérieure dans les pathologies chroniques par rapport aux pathologies aiguës, et l’est davantage en cas de présence conjointe de plusieurs pathologies chroniques (HTA, diabète, dyslipidémie…). Par ailleurs, les pathologies ayant une expression clinique faible ou d’évolution insidieuse comme l’HTA sont plus concernées.
Facteurs liés au patient
Les âges extrêmes sont généralement plus sujets à l’inobservance.
La question du genre est aujourd’hui discutée, et les conclusions diffèrent selon les études. Selon certaines études, des éléments comportementaux ou psychologiques favoriseraient l’inobservance : anxiété, dépression, peur de la survenue d’effets indésirables, manque de motivation ou de confiance en soi, manque de connaissances médicales.
La faible perception du bénéfice à attendre du traitement (ou du risque encouru à ne pas le suivre) est un élément clé, notamment dans l’HTA où les effets sont différés dans le temps et probabilistes – l’efficacité du traitement, signifiant la prévention d’événements secondaires, est impossible à quantifier pour le patient.
Le scepticisme envers le diagnostic, la mauvaise compréhension de l’ordonnance ou des instructions, la peur de la dépendance ou même le sentiment de condamnation sont autant de facteurs favorisant l’inobservance.
Enfin, les patients ayant recours à des thérapies dites « alternatives » sont plus fréquemment inobservants aux traitements conventionnels ; certains aspects culturels peuvent également expliquer cette défiance.
Détecter l’inobservance pour mieux y remédier
L’identification des sous-groupes de patients selon leur attitude ouvre des perspectives, notamment pour le choix du type d’intervention adapté pour remédier à l’inobservance (
Affirmer l’inobservance
Différentes méthodes existent pour évaluer l’observance :5
– subjectives : questionnaires, formulaires d’autoévaluation ;
– objectives et indirectes : piluliers électroniques, certaines mesures cliniques (pression artérielle, fréquence cardiaque) et dosages de biomarqueurs (rénine plasmatique, uricémie pour les diurétiques, tétrapeptide acétyl-ser-asp-lys-pro pour les inhibiteurs de l’enzyme de conversion) ;
– objectives et directes (analyse des médicaments dans le sang ou l’urine) ; cette dernière est la plus performante pour affirmer la prise médicamenteuse à un temps donné.
Pour des raisons de simplicité, la détection urinaire des médicaments par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse est la plus fréquemment employée dans les centres spécialisés. Elle consiste à détecter un panel de médicaments (27 à l’Hôpital européen Georges-Pompidou) et à confronter le résultat à la prescription. L’information du patient et le recueil de son consentement sont nécessaires. L’absence d’un ou plusieurs médicaments dans les urines signe l’inobservance pour des périodes précédant le recueil d’environ trois à quinze jours. Une détection positive ne correspond pas toujours à une bonne observance et peut être liée à une observance factice ou « blouse blanche » (patients ne prenant leurs médicaments qu’à l’approche de la consultation).
Quelles solutions ?
Une fois identifiée, l’inobservance doit être prise en charge spécifiquement dans une démarche dite « centrée sur le patient », nécessitant l’initiation d’un nouveau dialogue orienté vers ses difficultés vis-à-vis du traitement.
Il est ainsi important de rappeler clairement les risques de l’HTA et les bénéfices du traitement, et de répondre à toutes les questions, en particulier sur les effets indésirables. Cette démarche implique la souplesse de l’équipe médicale et peut conduire temporairement à une prise en charge différente de celle initialement prévue, au bénéfice de l’adhésion. L’amélioration des compétences en matière de communication chez les soignants est aussi importante. L’usage de termes qui ne soient ni culpabilisants, ni infantilisants, ni terrifiants est un élément essentiel de l’approche participative.
L’implication du patient et de son entourage, la prise de décision partagée et la relation de confiance avec les acteurs de santé jouent un rôle primordial.
L’automesure de la pression artérielle favorise l’observance et doit être envisagée chez tous les patients.
Les consultations de suivi doivent donner lieu à des retours positifs sur les améliorations cliniques et comportementales et permettre l’expression des problèmes et des questions par le patient, pour évaluer, et si possible résoudre, les éventuels obstacles.
Les collaborations interprofessionnelles – pharmaciens et infirmières – sont des relais de médiation essentiels, parfois mieux écoutés par les patients. Bien qu’elles ne conviennent pas à tous les profils, les séances d’éducation thérapeutique demeurent une pierre angulaire de l’amélioration de l’observance. Pour l’HTA, ces programmes sont notamment hébergés par les centres d’excellence. Au sein de l’Hôpital européen Georges-Pompidou, plusieurs infirmières et pharmaciens y sont formés et travaillent de concert avec une équipe médicale sensibilisée.
Chez les patients exprimant des oublis de prise, l’utilisation de dispositifs d’organisation ou de rappels (piluliers, applications numériques) est recommandée.
Enfin, l’ordonnance doit être claire, simplifiée (favoriser les médicaments à prise unique, utiliser des combinaisons fixes de médicaments) et optimisée du point de vue de la tolérance.
Diversité des comportements et trajectoire des patients
Récemment, les études dites de « trajectoire » ont montré que les attitudes des patients vis-à-vis de leur traitement peuvent différer mais qu’il est possible d’identifier quatre traits particuliers :4
– les patients « persistants » ou d’emblée observants ;
– les patients initialement inobservants avec amélioration ultérieure ;
– les patients « non persistants » ou progressivement inobservants (lents ou rapides) ;
– les patients « non initiants » ou d’emblée inobservants.
1. Vallée A, Gabet A, Grave C, et al. Patterns of hypertension management in France in 2015: The ESTEBAN survey. J Clin Hypertens 2020;22(4):663-72.
2. Haag M, Lehmann A, Hersberger KE, et al. The ABC taxonomy for medication adherence translated into French and German. Br J Clin Pharmacol. 2020;86(4):734-44.
3. Burnier M, Egan BM. Adherence in Hypertension. Circ Res 2019;124(7):1124‑40.
4. Alhazami M, Pontinha VM, Patterson JA, et al. Medication Adherence Trajectories: A Systematic Literature Review. J Manag Care Spec Pharm 2020;26(9):1138-52.
5. Kably B, Billaud EM, Boutouyrie P, et al. Is there any Hope for Monitoring Adherence in an Efficient and Feasible Way for Resistant Hypertension Diagnosis and Follow-Up? Curr Hypertens Rep 2020;22(11):96.