Taux de satisfaction, de burn out, durées et modes de consultation, modifications des conditions de travail avec la pandémie… un rapport britannique sur près de 10 000 praticiens a comparé les modalités de travail des médecins généralistes dans plusieurs pays d’Europe.

L’organisation britannique The Health Foundation a publié en mars un rapport sur les conditions de travail des médecins généralistes dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord, ainsi qu’en Nouvelle-Zélande. Les résultats ont été confrontés à ceux de la même enquête menée en 2019, afin d’évaluer le retentissement qu’a eu la pandémie de Covid sur leur pratique.

L’échantillon, représentatif de la population de médecins de premiers recours dans chacun des pays sondés, comprenait près de 10 000 praticiens. Ils ont répondu à une enquête d’une quarantaine de questions au début de l’année 2022.

Moins d’un tiers des médecins français se déclarent très satisfaits de leur travail

Sur les 10 pays où a été menée l’étude, la France et le Royaume-Uni étaient en 2022 ceux où les taux d’insatisfaction globale des médecins vis-à-vis de leur profession étaient les plus hauts. Ainsi, moins de 30 % des praticiens interrogés (24 % au Royaume-Uni et environ 27 % en France) se déclaraient « extrêmement ou très satisfaits ». Ce pourcentage a diminué par rapport à 2019 (39 % et 31 % respectivement), reflétant probablement les conséquences négatives des années Covid. Par opposition, les taux de satisfaction dépassent les 50 % dans des pays comme la Suède et la Suisse. Un des versants de cette insatisfaction : une charge de travail importante, qui a augmenté par rapport à la période précédant la pandémie dans tous les pays sondés.

En 2022, selon cette enquête, un médecin généraliste en France voyait en moyenne 114 patients par semaine, pour 45 heures de travail (qui incluaient aussi les tâches administratives et autres activités non comprises dans la pratique clinique). Le nombre de patients vus était comparable à celui des médecins britanniques (110), alors que leur temps de travail hebdomadaire était inférieur (39 heures). À l’inverse, le temps de travail des Français était comparable à celui des Suisses (44 heures), alors que ceux-ci voyaient beaucoup moins de patients (83) ; l’Allemagne était le pays où les deux étaient les plus élevés : 53 heures de travail pour… 253 patients vus par semaine ! Dès lors, le temps moyen de consultation, qui était le plus bas en Allemagne et au Royaume-Uni (10 min), était de 15 minutes dans la moitié des pays sondés (dont la France), mais il pouvait atteindre 20 minutes (Suisse) voire 25 (Suède). Ces divergences suggèrent que le temps de travail consacré aux tâches administratives serait plus important en France que, par exemple, en Allemagne.

À noter : selon les dernières données de l’OCDE, la densité des médecins est moins importante en France et au Royaume-Uni (3,4 et 3,2 pour 1 000 habitants respectivement) qu’en Suède, en Suisse ou en Allemagne (respectivement 4,3 et 4,5 pour 1 000 habitants).

Enfin, sans surprise, un temps de consultation limité entraînait une faible satisfaction des médecins : seuls 7 % au Royaume-Uni et en Allemagne se déclaraient satisfaits du temps qu’ils pouvaient consacrer à chaque patient, alors que ce pourcentage atteignait 33 % en Suisse.

Un généraliste sur trois aurait au moins un symptôme de burn out

Enfin, les taux de stress professionnel ont augmenté dans tous les pays depuis 2019. La proportion de médecins déclarant que leur travail était « très ou extrêmement stressant » est passée d’environ 39 % à 48 % en France, de 60 % à 71 % au Royaume-Uni, et de près de 51 à 68 % en Allemagne. Plus précisément, 30 % des médecins généralistes français déclaraient avoir au moins un symptôme de burn out en 2022 (dont plus d’un tiers déclaraient des symptômes persistants, voire un état d’épuisement professionnel sévère dans près de 6 % des cas). Ce taux était d’environ 35 % en Allemagne et 40 % au Royaume-Uni, alors qu’il n’atteignait pas 20 % en Suisse. 

Étant donné que l’épuisement professionnel résulte non seulement d’une fatigue physique, mais aussi d’une souffrance psychique issue d’un décalage entre une demande professionnelle soutenue et l’insuffisance des ressources disponibles pour y répondre, il n’est pas surprenant que ces taux soient corrélés à des perceptions très défavorables exprimées par les médecins sur la qualité des soins : près de 40 % des médecins français pensaient que la qualité des soins qu’ils étaient en mesure de prodiguer avait empiré depuis la pandémie, et ils étaient jusqu’à 76 % à penser que la qualité des soins en général – prenant en compte tout le système de santé – s’était détériorée. Cette proportion était semblable pour les médecins allemands mais atteignait 50 % au Royaume-Uni.

Qu’en est-il des différences de pratique entre les pays ?

Cette enquête révèle un certain nombre de divergences sur les pratiques de soins dans les pays sondés, notamment le recours à la téléconsultation et le degré de coordination des soins.

La France et la Suisse étaient les pays où la part de consultations présentielles demeurait la plus importante (plus de 80 %). En revanche, au Royaume-Uni elle était de 40 % ; 55 % des consultations auraient été effectuées par téléphone et 5 % en vidéo, selon les déclarations des praticiens interrogés. En outre, les généralistes français étaient, parmi tous les pays sondés, ceux qui offraient le plus souvent des consultations après 18 h, et ils étaient plus de 60 % à proposer à leurs patients de les voir (en personne ou à distance) même à des heures où le cabinet était fermé, ou à programmer des rendez-vous le week-end au moins une fois par mois.

Le décalage dans l’utilisation des téléconsultations pourrait s’expliquer par une différence des réglementations : alors qu’elles sont limitées à maximum 20 % du volume total de leur activité sur une année civile pour les médecins français, le Royaume-Uni a adopté une politique plus permissive.

Bien que ce rapport n’ait pas permis d’évaluer le retentissement de la télémédecine sur la qualité des soins, plus de la moitié des praticiens britanniques ont déclaré que l’utilisation de la télémédecine les avait conduits à augmenter la prescription d’examens complémentaires, et plus de deux tiers pensaient qu’elle avait favorisé une hausse de leur prescription d’antibiotiques – signalant de potentiels effets délétères de la téléconsultation sur la précision diagnostique et thérapeutique.

Finalement, lorsqu’ils étaient interrogés sur la coordination des soins, les généralistes français faisaient état d’une communication déficiente entre ville et hôpital sur plusieurs aspects. Par exemple, ils étaient à peine plus de 10 % à rapporter qu’ils recevaient rapidement une information nécessaire au suivi de leurs patients lorsque ceux-ci avaient été hospitalisés (contre 26 % au Royaume-Uni et plus de 60 % en Allemagne). Toutefois, cette proportion montait à presque 50 % lorsque le patient avait été reçu aux urgences (mais elle était, en comparaison, de près de 60 % en Allemagne, 75 % en Suisse et 91 % au Royaume-Uni !). En ce qui concerne la communication avec les autres spécialités médicales, les chiffres étaient meilleurs : environ 70 % des généralistes déclaraient recevoir un rapport du spécialiste dans la semaine après que leur patient l’eut consulté.

Qu’en retenir ?

Bien qu’il s’agisse d’une enquête fondée sur des données autodéclaratives, avec des taux de réponse parfois bas et ne capturant les perceptions qu’à un moment donné, ce rapport met en lumière les défis auxquels les médecins généralistes font face, non seulement en France mais aussi en Europe et dans d’autres pays à revenu semblable.

Ces épreuves – surcharge de travail, stress professionnel, temps insuffisant avec les patients… – ne sont pas nouvelles, mais se sont exacerbées avec la pandémie, et aboutissent à une dégradation de la qualité des soins et à une insatisfaction générale des médecins vis-à-vis de leur profession. Les auteurs de ce rapport incitent donc les pouvoirs publics à se saisir rapidement de ce problème pour éviter que la situation ne s’empire (car ce rapport a révélé des taux alarmants de praticiens qui envisageaient de quitter la profession) : « Des mesures décisives sont nécessaires pour améliorer la vie des médecins généralistes au travail. Réduire la charge administrative peut aider, mais une stratégie globale avec des investissements sur le long terme est nécessaire, afin de recruter et maintenir des médecins en activité ».

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