Les traitements pharmacologiques de la gonarthrose étant nombreux, il est essentiel de maîtriser leur juste prescription. De nouvelles recommandations ont été publiées à la fin de l’année 2020 sous l’égide de la Société française de rhumatologie (SFR). Que faut-il en retenir pour la pratique ? Interview du Pr Jérémie Sellam, service de rhumatologie, hôpital Saint-Antoine, Paris.

Pourquoi de nouvelles recommandations sur la gonarthrose ?

La prise en charge médicamenteuse de l’arthrose du genou est très variable d’un médecin à l’autre avec une gestion sub-optimale des traitements médicamenteux. Il était donc important d’établir des recommandations pour améliorer et homogénéiser les pratiques. De plus, à la suite du déremboursement des injections intra-articulaires d’acide hyaluronique, il fallait positionner ces traitements dans la stratégie thérapeutique. 

Par ailleurs, si des recommandations internationales – européennes et américaines – existent, elles sont peu adaptées à notre spécificité française, des différences importantes demeurant entre les pays en termes de disponibilité et de remboursement des médicaments, d’habitudes de prescription et de parcours de soin. Sous l’égide de la SFR, nous avons donc mis en place un groupe de travail multidisciplinaire impliquant des rhumatologues, mais aussi un médecin généraliste, un rééducateur, un chirurgien orthopédiste, des spécialistes de la douleur et une patiente, l’objectif étant d’élaborer des recommandations fondées sur les données de la littérature les plus récentes et sur la pratique clinique.

Quelles sont les conclusions de votre analyse ?

Tout d’abord, deux principes généraux : toujours associer une prise en charge non médicamenteuse (cette dernière fera l’objet d’une recommandation future par la SFR) ; réévaluer régulièrement l’intérêt de chaque traitement en termes d’efficacité et de tolérance, en tenant compte des comorbidités du patient. 

En ce qui concerne les médicaments, ce qui est original, c’est la recommandation sur le paracétamol : il ne doit plus être considéré comme un traitement de fond antalgique àprendre de manière systématique au long cours. De nombreux patients l’utilisent tous les jours (en automédication) sans se poser la question de savoir s’il a un effet ou non, alors que son efficacité est très modeste et que son utilisation au long cours est associée à des effets indésirables hépatiques, digestifs (saignements) et possiblement à une augmentation de la pression artérielle. De même, son intérêt doit être réévalué par le médecin lors de chaque renouvellement d’ordonnance afin de discuter de sa reconduction.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), d’après cette analyse de la littérature, se sont révélés plus efficaces que le paracétamol. En l’absence de contre-indication (maladie cardiovasculaire, insuffisance rénale ou antécédent d’hémorragie digestive), ils sont indiqués en première intention en cas de poussé inflammatoire, c’est-à-dire dès la 1re ligne. En raison de leur profil de tolérance, ils doivent être utilisés à la dose minimale efficace, c’est-à-dire celle permettant un soulagement perceptible des symptômes, pendant la durée la plus courte possible. 

Nous avons également noté que les AINS par voie topique, généralement perçus comme peu utiles, peuvent être quasiment aussi efficaces que les AINS per os, au moins à court terme, à condition de bien les utiliser, sur la zone du genou atteinte, pendant quelques jours. Je demande toujours à mes patients de les appliquer scrupuleusement pendant une semaine,matin et soir, avant de conclure sur leur inefficacité ! Leur tolérance étant très bonne (à l’exception de rares cas d’allergie cutanée), on a tout intérêt à les essayer dans une maladie chronique comme l’arthrose.

Que penser des injections intra-articulaires d’acide hyaluronique ?

Le groupe de travail est convaincu de leur intérêt. Même si elles n’ont pas d’effet chondro-protecteur (elles ne ralentissent pas la perte de cartilage), leur efficacité sur la douleur a été démontrée, versus placebo. Bien que déremboursés depuis plusieurs années, ces traitements font partie de l’arsenal thérapeutique. Ils sont particulièrement intéressants chez les patients avec des comorbidités, leur profil de tolérance étant meilleur que celui des injections de corticoïdes (quant à elles, remboursées) en cas de diabète ou d’hypertension artérielle. 

Y a-t-il d’autres molécules disponibles ?

La capsaïcine topique faiblement dosée < 1 % (préparation magistrale faite à la pharmacie) a une efficacité mais l’absence d’une formulation prête à l’emploi en limite l’utilisation.

La duloxétine (hors AMM), un antidépresseur, semble efficace ; sa prescription peut se discuter en cas de dépression ou de fibromyalgie associée pour aider au choix de la molécule. 

Très à la mode, les injections intra-articulaires de concentrés plaquettaires (le plasma riche en plaquettes, obtenu par centrifugation d’un prélèvement sanguin du patient, contient des facteurs anti-inflammatoires et cicatrisants) sont une option intéressante dans certains cas d’impasse thérapeutique (échec des autres traitements), mais on manque de recul pour le moment sur leur efficacité et leur tolérance (de plus, leur prix n’est pas réglementé). Le groupe de travail n’a pas pu se positionner du fait du manque de données à long terme et versus placebo.

Pour résumer, quelle est la stratégie thérapeutique devant une gonarthrose ?

En l’absence de comorbidité cardiovasculaire, d’atteinte rénale ou de trouble digestif, on peut utiliser en première intention des AINS per os à la dose et pour la durée la plus faible possible. En cas de comorbidités, il faut les éviter et rester prudents vis-à-vis des injections de corticoïdes ; les AINS topiques et les injections intra-articulaires d’acide hyaluronique ont en revanche toute leur place. Il ne faut bien sûr pas oublier le traitement non médicamenteux (activité physique, réduction pondérale, genouillère, etc.).

Y a-t-il de nouveaux traitements en développement ?

Une multitude de molécules déjà disponibles dans d’autres indications ont été étudiées, mais n’ont pas montré d’efficacité : bisphosphonates, vitamine D, gabapentine, prégabaline, statines, méthotrexate, calcitonine, anti-TNF.

L’injection de cellules souches est en cours d’évaluation, avec des résultats préliminaires prometteurs.

Le tanezumab, un anti-nerve growth factor (NGF) est également étudié : si son efficacité se confirme, il s’agirait de la première biothérapie disponible dans l’arthrose !

Encadre

Recommandations sur les traitements pharmacologiques de la gonarthrose

Principes généraux 

La prise en charge optimale de la gonarthrose doit inclure des mesures non pharmacologiques 

La prise en charge pharmacologique de la gonarthrose doit être personnalisée 

Les traitements pharmacologiques sont donnés uniquement à visée symptomatique et fonctionnelle 

Du fait de l’âge et des comorbidités de la population gonarthrosique, toute prise en charge pharmacologique nécessite une réévaluation régulière 

L’arthroplastie du genou doit être discutée avec le patient ayant une gonarthrose symptomatique, avec atteinte structurale avérée, et responsable d’un handicap altérant la qualité de vie, malgré un traitement médical pharmacologique et non pharmacologique bien conduit 

Recommandations 

Le paracétamol ne doit pas nécessairement être prescrit de manière systématique et/ou continue 

Les AINS par voie orale doivent être utilisés pour la durée la plus courte et à la dose la plus faible efficace possible 

Ils peuvent être proposés en 1re intention, en l’absence de contre-indication et de facteurs de risque cardiovasculaires et/ou facteurs de risque de complications digestives

La prescription et le choix de l’AINS doivent tenir compte des comorbidités du patient et ils doivent être prescrits après information des effets indésirables

Les AINS topiques peuvent être proposés 

Les opioïdes faibles, seuls ou en association au paracétamol, peuvent être proposés à visée antalgique et doivent être prescrits en tenant compte des comorbidités et après information des effets indésirables 

La prescription d’opioïdes forts doit être réservée aux patients ayant une contre-indication à la chirurgie du genou, en cas d’échec ou de contre-indication aux autres traitements, en tenant compte des comorbidités, et après information des effets indésirables 

Les injections intra-articulaires de corticoïdes peuvent être proposées, particulièrement en cas de poussée inflammatoire avec épanchement articulaire 

Les injections intra-articulaires d’acide hyaluronique peuvent être proposées, sans en attendre un effet chondroprotecteur 

Les médicaments anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente (insaponifiables d’avocat et de soja, chondroïtine, glucosamine, diacéréine) peuvent être proposés, sans en attendre un effet chondroprotecteur 

La capsaïcine topique faiblement dosée (< 1 %) peut être envisagée 

Hors AMM, la duloxétine pourrait être envisagée, en l’absence d’alternatives thérapeutiques 

Les experts n’ont pas statué sur l’intérêt des injections intra-articulaires de plasma riche en plaquettes (PRP) du fait du manque de recul et de l’insuffisance des données

À lire aussi

Eymard F, Chevalier X. Traitements pharmacologiques de la gonarthrose. Rev Prat 2019;69:515-9 (dans le dossier « Arthrose », sous la direction du Pr Francis Berenbaum).