Il est souvent difficile de différencier revue légitime et revue prédatrice. Nous devons être très critiques en choisissant nos lectures pour éviter les pièges.

 

Les escroqueries, les fake-news nous entourent

Trop de collègues se font piéger. Les revues scientifiques n’échappent pas à l’inventivité d’informaticiens habiles sans scrupules, basés le plus souvent en Inde. Le terme de revue prédatrice qualifie environ 14 000 revues scientifiques (base de données Cabells) dont l’objectif mercantile prime sur la visée scientifique. Une définition a été proposée en 2019 : « Les revues et les éditeurs prédateurs sont des entités qui privilégient l’intérêt personnel au détriment de l’érudition et se caractérisent par des informations fausses ou trompeuses, un écart par rapport aux bonnes pratiques rédactionnelles et de publication, un manque de transparence et/ou le recours à des pratiques de sollicitation agressives et sans discernement. »1

Des collègues sont sollicités par des courriels flatteurs leur proposant de publier rapidement dans des revues aux titres trompeurs, avec des sites et maquettes imitant des revues prestigieuses. Ils sont attirés par la rapidité de publication, l’acceptation automatique et desprix très inférieurs aux pratiques des revues légitimes en accès libre. Les revues prédatrices ont émergé vers les années 2010 quand le modèle économique des publications a changé : des « FTA » ou frais de traitement des articles payés à l’acceptation remplacent les abonnements. C’est par exemple le cas des revues légitimes du groupe PLoS (Public Library of Science). Les FTA sont de 1 000 à 3 000 $, voire plus, selon le prestige de la revue. Les revues prédatrices demandent moins de 200 $. Ces collègues publient soit car ils se font piéger, soit par opportunité pour étoffer rapidement leur CV. Il s’agit d’une menace pour la recherche médicale.2,3 Par revues légitimes, j’entends les revues indexées dans des bases fiables, par exemple PubMed, Web of Science, Scopus, DOAJ (Directory of Open Access Journals), et les revues non indexées mais dont on connaît la réputation.

Il n’y a pas d’estimation fiable sur le nombre d’articles et d’auteurs concernés. En 2014, on estime que 420 000 articles auraient été publiés par 8 000 revues prédatrices.4 Basée sur ces données, une hypothèse pour l’année 2021 serait d’au moins 1 million d’articles pour 14 000 revues prédatrices, donc 2 ou 3 millions d’auteurs impliqués au minimum. Bientôt le volume des articles publiés dans des revues prédatrices sera équivalent au nombre de ceux publiés dans des légitimes. Des articles refusés plusieurs fois par ces dernières viennent en priorité remplir les revues prédatrices. Certains de ces articles sont corrects… il ne faut pas avoir un raisonnement simpliste en considérant qu’ils sont tous mauvais. Il s’agit d’articles non évalués par des pairs ou rédigés rapidement pour combler un CV.


La pandémie de SARS-CoV-2 a fait connaître les revues prédatrices 

Le collectif « Laissons les médecins prescrire » a écrit un manuscrit montrant l’efficacité de l’association hydroxychloroquine-azythromycine chez 88 patients Covid (étude observationnelle rétrospective). Après avoir été refusé par plusieurs revues légitimes, ce très mauvais manuscrit a été envoyé à la revue prédatrice Asian Journal of Medicine and Health, qui l’a publié rapidement après une pseudo-évaluation par les pairs. L’article était signé par 7 auteurs affiliés au collectif et un médecin généraliste avec l’affiliation « Département de santé publique, Institut Pierre-Louis de Santé publique, Inserm UMR S 1136, EPAR Team, Sorbonne Université, APHP, hôpital Tenon, Paris ». Cet institut a réagi en affichant un démenti en page de garde de son site (fig. 1). Cet exemple montre l’incapacité de notre système de lutter contre ces escroqueries, car l’article est toujours consultable. Il n’est pas indexé dans des bases de données comme PubMed ou le DOAJ.

Ensuite, un groupe de médecins a démontré la supercherie en soumettant à cette même revue prédatrice un article farfelu dont le titre (traduit en français) était : « Contrairement aux attentes, le SARS-CoV-2 est plus létal que les trottinettes : est-ce-que l’hydroxychloroquine pourrait être la seule solution ? ». Les auteurs étaient prestigieux : Willard Oodendijk, Michaël Rochoy, Valentin Ruggeri, Florian Cova, Didier Lembrouille, Sylvano Trottinetta, Otter F. Hantome, Nemo Macron et Manis Javanica. La conclusion : « La combinaison HCQ + AZT devrait être utilisée en urgence en prévention des accidents de trottinette partout dans le monde » ! Cet article a été rapidement publié par la revue prédatrice, après une pseudo-évaluation. Une délation, provenant probablement du groupe « Laissons les médecins prescrire », a poussé la revue à le retirer. L’histoire détaillée (avec tous les éléments montrant la supercherie) est accessible sur le site du Dr Michaël Rochoy.5,6


Comment ne pas se faire piéger ?

Les lecteurs autrefois se fiaient à quelques revues légitimes auxquelles ils étaient abonnés ; aujourd’hui, ils ont accès aux articles plutôt qu’aux sommaires des revues. Les accès sont directs à partir de bases de données reconnues ou de moteurs de recherche comme Google. Or les moteurs prennent en compte des articles sans vérifier la légitimité de la revue. Le premier réflexe est de s’assurer que la revue est connue de son entourage, ou indexée dans une base reconnue. Les recherches sur le Net sans précautions sont dangereuses et font remonter des articles de revues prédatrices.

Dans le doute, il faut soit demander l’avis d’un documentaliste – tous avertis de ce problème –, soit utiliser des outils pour vérifier la source. Il existe des guides simples comme le site Coopist en langue française,7 ou le site canadien « Penser, Vérifier, Soumettre ».8 Des règles simples9 peuvent aider : toujours faire attention, évaluer le contenu de la revue, chercher les frais de publication (s’ils n’apparaissent pas, c’est suspect !), comprendre comment est faite l’évaluation par les pairs, examiner le comité de rédaction, chercher une indexation de la revue et le nom de l’éditeur…


Les chercheurs français doivent être prudents plutôt que complaisants

Nombreux sont nos collègues qui publient dans des revues prédatrices soit par opportunité soit par naïveté. Prenons l’exemple des revues du groupe Fortune où on trouve des centaines d’articles d’auteurs français. Il ne s’agit pas d’articles malhonnêtes ou frauduleux car les auteurs sont pour la plupart des universitaires ayant des compétences. Mais ces articles n’ont pas été relus correctement par des pairs, ont été publiés en moins d’un mois, contre des paiements de FTA « officiels » de 500 à 1 000 $ (mais des remises sont facilement accordées, et payer 100 ou 200 $ est accepté). La plupart des auteurs sont naïfs, mais pas tous ; par exemple, le Pr Perronne et ses collègues y publient régulièrement et utilisent ensuite des diapos de ces publications lors de conférences.

D’autres collègues se font piéger. Par exemple, un professeur français de médecine générale bordelais a découvert son nom et sa photo dans un comité de rédaction d’une de ces revues.3 Des auteurs me demandent fréquemment conseil car ils sentent le piège (v. encadré ci-dessous avec des exemples de situations rencontrées).


Les arnaques ne s’arrêtent pas aux revues prédatrices

Dans le domaine des congrès, il existe des sites miroirs qui prennent des inscriptions en lieu et place du site légitime ou des congrès annoncés dans des villes touristiques, avec des programmes alléchants… et ces congrès, s’ils se tiennent, sont décevants.

Certains éditeurs publient des livres sur des modèles similaires à celui des revues prédatrices, d’autres s’approprient des thèses pour en faire des ouvrages qu’ils vendent sans compenser les auteurs.


La communauté scientifique doit réagir !

Des actions conjointes de tous les acteurs pourraient alerter sur les revues prédatrices et décourager les chercheurs de les solliciter. En particulier : les médecins impliqués dans la recherche devraient être plus vigilants ; les universités et leurs instances devraient informer et former ; les revues légitimes devraient avoir une action pédagogique ; les organismes de recherche et financeurs ne devraient pas faire la promotion de chercheurs ayant publié dans des revues prédatrices, ni allouer des ressources sur des dossiers citant ces revues ; les sociétés savantes devraient se mobiliser ; les diverses instances d’éthique et d’intégrité alerter ; les médias, journalistes et citoyens avertis comprendre ce phénomène et informer ; les politiques se saisir de cette problématique.3 Des initiatives vertueuses existent déjà : la Charte éthique et déontologique des facultés de médecine et d’odontologie qui alerte sur les revues prédatrices ; les actions du Speps (Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé)... mais il faut faire plus !

Encadré


Figure 1. Copie d’écran de la première page du site de l’IPLESP le 18 janvier 2022 (https://www.iplesp.upmc.fr/fr/home)

Figure 1


Par Hervé Maisonneuve

Référent intégrité scientifique, facultés de médecine, Université de Paris

Rédacteur du blog Revues et Intégrité

30 rue Faidherbe, 75011 Paris

hervemaisonneuve@gmail.com

Liens d’intérêts : l’auteur déclare être rédacteur d’un blog sur les revues scientifiques www.redactionmedicale.fr. Formateur en rédaction scientifique et consultant (gérant de la société H2MW), il déclare être en délicatesse avec des collègues auteurs d’articles de revues prédatrices, après avoir identifié leurs articles de complaisance.

Références :

1. Grudniewicz A, Moher D, Cobey KD, et al. Predatory journals: no definition, no defence. Nature 2019;576(7786):210-212.  2. De La Blanchardière A, Barde F, Peiffer-Smadja N, Maisonneuve H. Revues prédatrices : une vraie menace pour la recherche médicale – 1. Identifier ces revues et comprendre leur fonctionnement. Rev Med Interne 2021;42(6):421-426.  3. De La Blanchardière A, Barde F, Peiffer-Smadja N, Maisonneuve H. Revues prédatrices : une vraie menace pour la recherche médicale – 2. Évaluer leurs conséquences et engager une riposte. Rev Med Interne 2021;42(6):427-433.  4. Shen C, Björk BC. ‘Predatory’ open access: a longitudinal study of article volumes and market characteristics. BMC Med 2015;13,230.  5. Rochoy M. Le meilleur article de tous les temps. Billet du 15 août 2020 sur « Le blog de Michaël » [consulté le 18 janvier 2022]. Disponible sur : https://www.mimiryudo.com/blog/2020/08/le-meilleur-article-de-tous-les-temps/.  6. Maisonneuve H. Les revues prédatrices : une menace pour la science. À propos de la Covid-19. Médecine 2020;16(9):389-391.  7. Fovet-Rabot C. 2021. Éviter les revues et éditeurs prédateurs : définition et indices. Montpellier (FRA) : CIRAD, 6 p. https://doi.org/10.18167/coopist/0036  8. Centre for Journalology. Predatory journals. A one stop shop resources. http://www.ohri.ca/journalology/one-stop-shop-predatory-journals   9. Leonard M, Stapleton S, Collins P, et al. Ten simple rules for avoiding predatory publishing scams. PLoS Comput Biol 2021;17(9):e1009377.  Note : Les références 2 et 3 citent des articles apportant un panorama exhaustif du sujet. Les redondances avec d’autres articles du même auteur sont signalées.