La prise de mélatonine pour lutter contre les troubles du sommeil est de plus en plus répandue, y compris chez les enfants. Néanmoins, elle n’est pas sans risques, surtout en cas d’automédication – une situation fréquente car la mélatonine est aussi vendue sous forme de complément alimentaire. Ainsi, entre 2012 et 2021, les Centers for Disease Control (CDC) aux États-Unis ont enregistré une hausse de + 500 % des appels aux centres antipoison pour ingestion de mélatonine par un enfant.
Les indications actuelles des médicaments contenant de la mélatonine (Slenyto) sont restreintes, dans cette population, au traitement de l’insomnie chez les 2-18 ans ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et/ou un syndrome de Smith-Magenis, lorsque les mesures d’hygiène du sommeil ont été insuffisantes. Dans certains pays, comme le Danemark, cette molécule est aussi indiquée chez les enfants souffrant de troubles du sommeil en lien avec un trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ; dans d’autres pays, particulièrement aux États-Unis, son usage hors AMM dans cette indication est fréquent.
Les recommandations ne concernent pas, aujourd’hui, les insomnies en lien avec d’autres troubles ni les insomnies chroniques idiopathiques. Pour combler cette lacune, des chercheurs danois ont réalisé pour la première fois deux revues systématiques avec méta-analyse sur l’efficacité et la sûreté de la mélatonine dans ces indications, aboutissant à des recommandations qui ont été publiées dans deux articles du Lancet.
Dans l’insomnie idiopathique
Huit essais contrôlés randomisés ont été inclus dans cette étude, avec un total de 419 enfants et adolescents (5-20 ans) ayant une insomnie chronique idiopathique, chez qui un traitement par mélatonine a été testé après échec de mesures d’hygiène de sommeil. Toutes les études comparaient la mélatonine au placebo (aucune à des interventions non pharmacologiques) ; les doses variaient de 1 à 10 mg et la durée du traitement de 1 à 5 semaines.
Selon la méta-analyse, la prise de mélatonine a abouti à une augmentation de 30,33 min de la durée du sommeil et à une réduction de 18,03 min de la latence à l’endormissement. Ces effets étaient considérés modérés et le niveau des preuves bas à très bas. Aucun autre bénéfice n’a été retrouvé (qualité du sommeil, fonctionnement diurne, qualité de vie…). Les effets indésirables non graves étaient plus fréquents (risque relatif : 3,44) dans le groupe traité par rapport au placebo (maux de tête, nausées, vertiges, douleurs abdominales…). Aucune n’étude ne donnait d’informations sur les effets indésirables graves.
À la lumière de ces résultats, les auteurs recommandent de ne jamais utiliser la mélatonine en première intention pour traiter les insomnies idiopathiques de l’enfant et l’adolescent, et de privilégier les mesures d’hygiène de sommeil et les traitements non pharmacologiques tels que la thérapie cognitive et comportementale. Toutefois, ils considèrent que, en raison des nombreux effets délétères de l’insomnie, la prise de mélatonine sur une courte durée chez les patients ne répondant pas à ces mesures peut être envisagée, et seulement si le fonctionnement diurne est affecté. Elle devrait être réévaluée dès le 14e jour après l’initiation puis 3 mois après, et arrêtée si aucun effet n’est constaté sur des paramètres tels que la durée du sommeil ou la latence à l’endormissement.
En cas de troubles associés
Treize essais contrôlés randomisés, pour un total de 403 patients de 1 à 26 ans, ont été inclus dans cette étude. Les participants avaient une insomnie chronique liée à une variété de troubles (dermatite atopique, épilepsie, troubles neurodéveloppementaux autres que le TDAH et les TSA, syndrome d’Angelman, syndrome de Dravets, syndrome de Rett…) et ne répondaient pas aux mesures d’hygiène de sommeil. Toutes les études comparaient la mélatonine au placebo, à des doses allant de 3 à 15 mg et pour des durées de traitement allant de 10 jours à 6 semaines.
La prise de mélatonine a réduit la latence à l’endormissement de 14,88 min et augmenté la durée du sommeil de 18,97 min, des effets considérés modérés, avec un niveau de preuve bas. Aucun autre bénéfice clinique n’a été décelé. Quant aux effets indésirables, leur fréquence n’était pas significativement augmentée dans le groupe traité par rapport au placebo, mais les données de sécurité des études incluses étaient peu abondantes.
Les auteurs concluent ainsi que les mesures d’hygiène de sommeil et les traitements non pharmacologiques doivent être utilisés en première intention pour traiter l’insomnie due à des pathologies sous-jacentes, mais que l’utilisation de la mélatonine peut être envisagée, sous la supervision d’un spécialiste de la pathologie en question, chez les patients non répondeurs chez qui un dysfonctionnement diurne est toujours constaté.
Edemann-Callesen H, Keinke Andersen H, Ussing A, et al. Use of melatonin for children and adolescents with chronic insomnia attributable to disorders beyond indication: a systematic review, meta-analysis and clinical recommendation. Lancet Discov Sci 2023;61:102049.
Lire aussi :
Martin Agudelo L. Mélatonine : quels risques ? Rev Prat (en ligne) 7 septembre 2022.