Cette hormone – disponible en France sous forme de deux médicaments et de très nombreux compléments alimentaires – gagne en popularité depuis quelques années, notamment en raison de sa capacité à favoriser l’endormissement. Dans un article du JAMA, les auteurs s’inquiètent de cet engouement, car son utilisation n’est pas dénuée de risques, surtout sur le moyen-long terme et dans des populations particulières. Ce qu’il faut savoir pour bien conseiller vos patients.
La mélatonine est une neurohormone endogène qui régule le cycle veille-sommeil ; physiologiquement, l’augmentation de sa sécrétion, le soir venu, joue un rôle dans l’endormissement. Outre cet effet, elle possède d’autres propriétés : modulation de l’humeur et du système immunitaire, régulation de la température corporelle et de la motricité intestinale.
Disponible en France sous forme de médicament (v. ci-dessous), elle est également utilisée dans de nombreux compléments alimentaires en vente libre (comprimé, gélules, spray oral…). Ces derniers, d’après la réglementation européenne, peuvent afficher les allégations de santé suivantes : « soulage les effets subjectifs du décalage horaire » (à la dose de 0,5 mg/prise avant le coucher, le jour du départ et ceux suivant l’arrivée à destination) et « réduit le temps nécessaire à l’endormissement » (à la dose de 1 mg/prise avant le coucher).
À noter, cependant : le seuil dont dépend son statut (> 2 mg par unité de prise : médicament ; < 2 mg par unité de prise : complément alimentaire) n’a pas été fixé par une autorité de santé, mais par une décision administrative de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Médicaments à base de mélatonine : quelles indications ?
Il existe en France deux médicaments à base de mélatonine : Circadin 2 mg et Slenyto 1 mg et 5 mg (tous à libération prolongée).
Le premier a une indication en monothérapie chez les patients de 55 ans et plus pour le traitement à court terme de l’insomnie primaire (sans comorbidité). L’AMM se fonde sur deux études cliniques de phase III en double aveugle contre placebo incluant 542 patients. Le Circadin, administré pendant 3 semaines à 2 mg/j, a montré un bénéfice modeste sur la qualité du sommeil : amélioration d’au moins 10 mm des scores de qualité du sommeil et de comportement au réveil chez 26 % des patients dans une étude (versus 15 % dans le groupe) et 47 % dans la seconde (versus 27 % dans le placebo). La HAS estime donc que le service médical rendu est faible. De façon générale, elle recommande de privilégier les approches non médicamenteuses (la thérapie cognitive et comportementale a fait ses preuves chez les adultes ayant une insomnie chronique).
Slenyto a une AMM dans le traitement de l’insomnie chez les enfants et les adolescents de 2 à 18 ans ayant un trouble du spectre de l’autisme et/ou un syndrome de Smith-Magenis, lorsque les mesures d’hygiène du sommeil ont été insuffisantes. De plus, dans un cadre de prescription compassionnel (CPC), il peut être prescrit aux enfants âgés de 2 à 18 ans ayant un trouble du rythme veille-sommeil associé à des troubles développementaux et des maladies neurogénétiques comme le syndrome de Rett, le syndrome d’Angelman ou la sclérose tubéreuse.
Usage des compléments alimentaires en augmentation : quels risques ?
La mélatonine sous forme de complément alimentaire fleurit dans le commerce en vente libre. L’Anses a ainsi estimé en 2018 le nombre de boîtes vendues à 1,4 millions par an. Ce gain de popularité n’est pas propre à la France. Selon un article paru en août 2022 dans le JAMA, aux États-Unis (où, quel que soit son dosage, la mélatonine est considérée comme un ingrédient de complément alimentaire), les ventes ont plus que doublé entre 2017 et 2020 – les perturbations du sommeil subies par la population durant la pandémie y jouant sans doute un rôle.
Effets indésirables
Si elle généralement sûre et bien tolérée, la consommation accrue de compléments alimentaires à base de mélatonine expose à des risques d’effets indésirables. L’ANSM et l’Anses ont rapporté 90 cas d’intoxication à la mélatonine entre 2009 et 2017, avec des effets secondaires variés : symptômes généraux (céphalées, vertiges, somnolence, cauchemars, irritabilité), troubles neurologiques (tremblements, migraines) et gastroentérologiques (nausées, vomissements, douleurs abdominales).
La sécurité de sa consommation à long terme interroge aussi, faute de données au-delà de 3 semaines de traitement. De plus, chez l’enfant/adolescent, ses effets potentiels sur la puberté doivent faire l’objet d’études. L’Anses recommande ainsi de limiter la prise de ces compléments alimentaires à un usage ponctuel.
Intoxications pédiatriques
S’il n’existe pas, en France, de données spécifiques aux intoxications pédiatriques à la mélatonine, un rapport américain récent met en garde sur le danger de l’ingestion de ces compléments alimentaires par les enfants : les Centers for Disease Control (CDC) ont enregistré, entre 2012 et 2021, plus de 200 000 appels aux centres antipoison (soit + 500 % sur la période) pour ingestion de mélatonine par un enfant. Si la plupart étaient asymptomatiques, plus de 4 000 enfants ont été hospitalisés, dont 287 ont nécessité des soins intensifs, 5 une ventilation mécanique, et 2 sont décédés.
Ces données rappellent l’importance non seulement d’éviter « l’automédication » par les parents – d’autant plus que des formes « adaptées » aux enfants existent (gommes, sirops…), portant à confusion sur l’innocuité de cette molécule –, mais aussi de conserver tout produit contenant de la mélatonine hors de portée des enfants.
Interactions médicamenteuses
La prise de compléments à base de mélatonine expose également au risque d’interactions médicamenteuses.
D’une part, certaines substances peuvent augmenter la concentration sanguine de mélatonine au-delà du seuil toxique : certains antibiotiques (quinolones), la fluvoxamine, des antihistaminiques (cimétidine), neuroleptiques (chlorpromazine), des contraceptifs estroprogestatifs et traitements hormonaux de substitution de la ménopause, le méthoxypsoralène…
D’autre part, la mélatonine peut influencer la concentration sanguine d’autres substances : risque de potentialisation de certains anticoagulants (warfarine, aspirine), de modification des effets des antihypertenseurs, de baisse de l’efficacité anti-inflammatoire des corticoïdes…
Par ailleurs, la prise concomitante de mélatonine et de médicaments psychotropes augmente le risque de somnolence, troubles de la mémoire et de la concentration, d’hallucinations visuelles, troubles de l’équilibre, syndromes extrapyramidaux et hypotension artérielle.
Dans son avis de 2018, l’Anses recommande d'éviter les compléments alimentaires à base de mélatonine chez les :
- femmes enceintes et allaitantes ;
- enfants et adolescents (hors AMM)
- personnes souffrant de maladies inflammatoires ou auto-immunes ;
- insuffisants hépatiques
- personnes devant réaliser une activité nécessitant une vigilance soutenue et pouvant poser un problème de sécurité en cas de somnolence.
Prudence aussi chez les personnes épileptiques, asthmatiques, ayant une insuffisance rénale, souffrant de troubles de l’humeur, du comportement ou de la personnalité, ainsi que chez les personnes polymédiquées.
Kuehn BM. Climbing Melatonin Use for Insomnia Raises Safety Concerns. JAMA 2022;328(7):605-7.
Lelak K, Vohra V, Neuman MI, et al. Pediatric Melatonin Ingestions – United Stated, 2012-2021. Weeskly I 2022;71(22);725-9.
Korsia-Meffre S. Mélatonine : non sans danger, notamment chez les enfants. Vidal 2 août 2022.
Anses. L’Anses recommande à certaines populations d’éviter la consommation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine. 11 avril 2018.