Une équipe internationale de chercheurs, incluant des médecins du Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS, viennent de publier dans le Lancet des préconisations sur la prise en charge de la ménopause chez les femmes ayant été traitées pour un cancer, fondées sur une vaste revue de la littérature et des recommandations de sociétés savantes de plusieurs pays.
Quel risque de ménopause précoce après traitement anticancéreux ?
Le traitement pour un cancer diminuerait l’âge moyen d’entrée dans la ménopause à 44 ans, selon les données récentes issues d’une quarantaine de pays (versus 51 ans en moyenne dans les pays à hauts revenus).
Ces traitements peuvent en effet induire une ménopause précoce par divers mécanismes – ovariectomie, chimiothérapie et/ou radiothérapie gonadotoxiques –, que ce soit lors des traitements des tumeurs du sein (les plus fréquentes chez la femme), des tumeurs gynécologiques, colorectales ou des cancers hématologiques. Si dans certains cas la fonction ovarienne peut être préservée (certaines tumeurs de bas grades du col de l’utérus, de l’endomètre ou des ovaires), dans d’autres – par exemple, les tumeurs colorectales et cervicales localement avancés nécessitant une irradiation pelvienne – une ménopause précoce est induite quasi-systématiquement.
La gestion de ces symptômes s’avère souvent difficile après un cancer, d’autant plus qu’ils peuvent être plus graves que lors d’une ménopause naturelle. Syndromes climatérique (bouffées de chaleur à prédominance nocturne) et génito-urinaire (sécheresse, douleurs, brûlures, irritation, dyspareunie, pollakiurie, urgences mictionnelles, infections urinaires à répétition, etc.) sont volontiers au premier plan, mais les troubles du sommeil, de l’humeur, de la libido et le retentissement négatif sur la qualité de vie en général ne doivent pas être négligés. Enfin, il faut aussi prendre en compte le risque accru d’autres pathologies chroniques, lié à la carence estrogénique prématurée (ostéoporose, maladies cardiovasculaires).
S’y ajoute, enfin, une difficulté diagnostique : les critères habituels – aménorrhée de plus d’un an, taux de FHS élevé – sont inadaptés car, dans certains cas, la fonction ovarienne peut reprendre des années après la fin du traitement. Par exemple, une étude transversale sur plus de 1 000 femmes âgées d’entre 20 et 35 ans traitées pour un cancer a trouvé qu’un tiers d’entre elles avaient une aménorrhée après le traitement (en particulier celles ayant eu une chimiothérapie, les plus âgées au moment du diagnostic et celles n’ayant jamais été enceintes) mais la majorité (70 %) ont eu un retour des règles par la suite, dans les 2 ans pour la plupart d’entre elles.
Quelle prise en charge ?
Elle dépend du profil de chaque patiente (âge, type de cancer, temps écoulé depuis le diagnostic…), non seulement parce qu’il influence la probabilité d’instauration de la ménopause mais aussi parce que la balance bénéfices/risques d’un éventuel traitement médicamenteux varie avec le temps, les comorbidités présentes et les facteurs de risque des pathologies liées à la ménopause. Bien entendu, elle dépend aussi du retentissement des symptômes ménopausiques sur la qualité de vie et des préférences de la patiente.
Pour confirmer le diagnostic de ménopause, un test de la fonction ovarienne 12 mois après la fin du traitement anticancéreux peut être envisagé, en fonction du type de traitement réalisé : par exemple, il est peu probable que la fonction ovarienne reprenne après une radiothérapie pelvienne sans transposition ovarienne, mais elle pourrait reprendre après une chimiothérapie pour un cancer du sein, en particulier chez les jeunes femmes. Chez les patientes âgées de 40 à 45 ans traitées par chimiothérapie pour un cancer du sein et atteintes par la suite d’une aménorrhée secondaire, une hormone antimüllérienne indétectable à 30 mois est un facteur prédictif fiable de ménopause permanente.
THM : pour qui ?
Le tableau ci-contre résume les données disponibles sur la sécurité de l’utilisation d’un traitement hormonal de la ménopause (THM) après cancer, selon le type de cancer.
Les cancers hormonodépendants (sein et endomètre) font partie des contre-indications absolues au THM – de même que les antécédents thromboemboliques artériels et veineux, les hémorragies génitales sans diagnostic établi et les affections hépatiques aiguës ou chroniques – mais un traitement hormonal local peut être envisagé dans certains cas, après discussions avec l’oncologue (v. encadré).
Pour les autres localisations, lorsque le THM n’est pas contre-indiqué, les auteurs recommandent de façon générale de préférer les traitements locaux plutôt que systémiques en raison du risque accru de thromboembolie veineuse chez les patientes atteintes d’un cancer.
Ainsi, ils préconisent que les femmes de moins de 45 ans ayant une aménorrhée prolongée après un traitement anticancéreux gonadotoxique et n’ayant pas de contre-indication à une THM puissent en bénéficier lorsque le retentissement des symptômes le justifie et pour prévenir les pathologies associées à la carence estrogénique – après discussion avec l’oncologue et la patiente. La durée du traitement n’est pas consensuelle, mais ils proposent de considérer sa poursuite jusqu’à l’âge moyen de la ménopause, en fonction des symptômes et d’autres signes tels que la densité osseuse. En règle générale, il est recommandé de ne pas dépasser 5 ans et de réévaluer tous les ans la balance bénéfices-risque.
Autres mesures thérapeutiques
Pour le syndrome génito-urinaire et les troubles sexuels, la prise en charge non médicamenteuse est recommandée en 1re ligne (lubrifiants et hydratants locaux, vibromasseurs et dilatateurs vaginaux). Ils sont plus sévères en cas de cancers gynécologiques, et associés souvent à d’autres dysfonctions du plancher pelvien (incontinences, vaginisme…) ; dans ces cas, la rééducation périnéale et pelvienne a quelques preuves d’efficacité dans l’amélioration de la fonction sexuelle.
Des traitements non hormonaux pour traiter les symptômes vasomoteurs sont disponibles en cas de contre-indication aux THM, avec des données croissantes : certains antidépresseurs (escitalopram ou citalopram en 1re ligne) ou des anticonvulsivants (prégabaline, gabapentine) auraient une efficacité d’entre 40 et 70 % dans la réduction des symptômes ; l’antihypertenseur clonidine peut aussi être proposé. Une nouvelle molécule non hormonale (fézolinétant ) a reçu l’AMM européenne fin 2023 ; le cancer du sein n’est pas une contre-indication à son utilisation, mais des données spécifiquement sur les patientes atteintes de cancer n’ont pas encore été publiées. Aucun de ces traitements n’a toutefois d’effet sur les symptômes génito-urinaires ni le risque de fracture.
Des interventions non pharmacologiques peuvent également réduire les symptômes vasomoteurs : la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est celle qui a les plus hauts niveaux de preuves ; elle améliore aussi le sommeil et les symptômes dépressifs. De petits essais randomisés contrôlés suggèrent l’efficacité de l’hypnose, du yoga, de la relaxation/pleine-conscience, avec des effets également sur le sommeil, l’humeur et les symptômes dépressifs.
Enfin, les auteurs soulignent l’importance d’une prise en charge pluridisciplinaire, y compris psychologique.
Recos internationales de la prise en charge du syndrome génito-urinaire de la ménopause après cancer du sein
Recommandations générales : les lubrifiants et hydratants locaux, les vibromasseurs et les dilatateurs vaginaux sont des traitements de 1re ligne. L’accord de l’oncologue doit être demandé avant d’initier une hormonothérapie locale. L’ospémifène et les SERM (modulateurs sélectifs des récepteurs aux œstrogènes) n’ont pas été étudiés chez la femme à haut risque de cancer du sein et ne sont pas recommandés dans ce contexte. Le laser doit être proposé aux femmes qui préfèrent une approche non hormonale.
Femmes à haut risque de cancer du sein. L’hormonothérapie locale est une option raisonnable chez les femmes pour qui le traitement non hormonal est un échec. Les études ne semblent pas montrer un risque augmenté de cancer du sein.
Femmes ayant une tumeur hormonodépendante traitée par tamoxifène. Les patientes ayant une symptomatologie sévère persistante malgré l’utilisation de traitement non hormonal et ayant un faible risque de récidive sont éligibles au traitement hormonal local.
Femmes avec une tumeur hormonodépendante traitée par anti-aromatases. Les patientes ayant une symptomatologie sévère non améliorée par les traitements non hormonaux peuvent tout de même bénéficier d’un traitement hormonal local après avis et accord de l’oncologue, et après avoir discuté d’un éventuel changement d’hormonothérapie pour le tamoxifène.
Femme avec une tumeur dite « triple négative ». En théorie, l’utilisation d’un traitement hormonal local semble raisonnable et donc possible chez ces patientes mais la littérature manque de données à ce sujet.
Femme ayant une atteinte métastatique de la pathologie. La qualité de vie et le confort doivent rester des priorités chez ces patientes L’utilisation d’une hormonothérapie locale dans ce cas et de son impact sur la survie doit être appréhendée différemment quand la qualité de vie est la priorité.
D'après : Faubion SS, Larkin LC, Stuenkel CA, et al. Management of genitourinary syndrome of menopause in women with or at high risk for breast cancer : consensus recommendations from The North American Menopause Society and The International Society for the Study of Women’s Sexual Health. Menopause 2018 ;25(6) :596 - 608.
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Nobile C. Syndrome génito-urinaire de la ménopause : quels traitements ? Rev Prat (en ligne) 2 novembre 2022.
Mounier-Véhier C, Plu-Bureau G. Ménopause : dépister le risque cardiovasculaire. Rev Prat Med Gen 2020;34(1049);742-4.
Nobile C. THM : quels bénéfices/risques selon les dernières données ? Rev Prat (en ligne) 14 juin 2022.