Le traitement du cancer de l’ovaire chez les femmes jeunes induit une ménopause précoce associée à des symptômes délétères sur leur qualité de vie. Un traitement hormonal de la ménopause est proposé au cas par cas, selon le type histologique tumoral.
Un cancer qui touche aussi la femme jeune
Avec près de 5 200 nouveaux cas en 2018, le cancer de l’ovaire est le troisième cancer gynécologique le plus fréquent, après ceux du sein et de l’endomètre. L’âge médian au diagnostic se situe vers 68 ans, 3 à 17 % des patientes ont moins de 40 ans. Bien que son incidence ait diminué au cours des dernières décennies, le cancer de l’ovaire conserve une mortalité élevée car il est fréquemment diagnostiqué à un stade avancé.
Les tumeurs ovariennes épithéliales représentent la majorité des cancers de l’ovaire (90 %) et les quatre sous-types histologiques principaux sont : les adénocarcinomes séreux (les plus fréquents), endométrioïdes, mucineux et à cellules claires.
Les tumeurs non épithéliales sont représentées majoritairement par les tumeurs germinales malignes (dysgerminomes, tératomes immatures, tumeurs vitellines, choriocarcinomes) ainsi que les tumeurs du stroma et des cordons sexuels (tumeurs de la granulosa, tumeurs de Sertoli-Leydig). Ces dernières sont plus rares et surviennent plus fréquemment chez des patientes jeunes.
Une prédisposition génétique est retrouvée dans environ 10 % des cancers de l’ovaire. Les mutations constitutionnelles des gènes breast cancer (BRCA) 1 et 2 ainsi que celles des gènes du système Mismatch Repair (MMR) – syndrome de Lynch – sont les plus fréquentes.
La prise d’une contraception orale, la puberté tardive, la multiparité, l’allaitement ou l’installation précoce de la ménopause – en somme, des situations ou interventions diminuant l’ovulation – protègent du cancer de l’ovaire.
La prise d’un traitement hormonal de la ménopause (THM) augmente le risque de développer un cancer épithélial de l’ovaire, en particulier certains sous-types histologiques comme les adénocarcinomes séreux et endométrioïdes.
Carence oestrogénique après traitement du cancer
La prise en charge du cancer de l’ovaire repose sur un traitement chirurgical de cytoréduction maximale (incluant une hystérectomie avec une annexectomie bilatérale), en association à des traitements complémentaires tels que la chimiothérapie, selon le stade tumoral et le type histologique.
Une perte totale de la fonction endocrine ovarienne en résulte (lorsqu’il est réalisé chez des femmes jeunes non encore ménopausées), qui est à l’origine d’une carence œstrogénique brutale profonde. Cette ménopause précoce induite peut être responsable de symptômes cliniques handicapants pouvant altérer de façon significative la qualité de vie. Les principaux sont les bouffées vasomotrices avec sueurs nocturnes, les troubles du sommeil et les troubles génito-urinaires, dont la sécheresse vaginale, à l’origine de dyspareunies. Ce syndrome climatérique est parfois plus intense chez ces patientes du fait de son installation brutale.
Une accélération de la perte osseuse, une augmentation du risque de pathologies cardiovasculaires, en particulier coronariennes, ainsi que de certains troubles cognitifs figurent également parmi les conséquences de cette privation œstrogénique précoce, particulièrement lorsqu’elle intervient avant l’âge de 45 ans.
L’instauration d’un traitement hormonal de la ménopause peut être discutée dans le double objectif d’améliorer la qualité de vie et de réduire les risques liés à une ménopause précoce. Cependant, ce traitement ayant une action dépendante des récepteurs aux œstrogènes et à la progestérone, une certaine prudence est nécessaire dans le cas de tumeurs ovariennes hormonosensibles afin de limiter le risque de récidive.
Quand peut-on prescrire le THM ?
Les recommandations de traitement diffèrent selon les tumeurs et le sous-type histologique.
Tumeurs épithéliales de l’ovaire
Plusieurs études se sont intéressées aux bénéfices d’un THM après un cancer épithélial de l’ovaire. Une méta-analyse de Li et al., publiée en 2015, a inclus deux essais randomisés et quatre études de cohortes : 419 patientes ont bénéficié du traitement en postopératoire et 1 029 n’en ont pas bénéficié. Les résultats suggèrent un effet favorable sur la survie globale (hazard ratio [HR] = 0,69 ; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 0,61-0,79) sans augmentation significative du risque de récidive (HR = 0,83 ; IC à 95 % : 0,64-1,07).1 Selon une méta-analyse de la Cochrane, trois essais randomisés, dont l’essai de Eeles et al. en 2015, regroupant au total 350 femmes, suggèrent un effet positif sur la survie globale (HR = 0,71 ; IC à 95 % : 0,54-0,93) et peu ou pas de différence sur la survie sans récidive (HR = 0,76 ; IC à 95 % : 0,57-1,01). Néanmoins, les auteurs soulignent le faible niveau de preuve de cette analyse dû à l’imprécision des données disponibles dans ces différentes études.2
Très peu d’études ont analysé spécifiquement les bénéfices selon les différents sous-types histologiques épithéliaux. En 2006, Mascarenhas et al. ont montré une amélioration de la survie globale dans une cohorte de patientes prises en charge pour un adénocarcinome séreux (HR = 0,65 ; IC à 95 % : 0,44-0,96).3 Une autre étude a retrouvé une amélioration significative de la survie sans récidive uniquement dans le groupe des femmes âgées de moins de 55 ans atteintes d’une tumeur épithéliale non séreuse, sans bénéfice sur la survie globale (
Tumeurs germinales
Aucune étude à ce jour n’a analysé spécifiquement l’effet du traitement après une tumeur germinale de l’ovaire. Ces tumeurs sont connues pour être non hormonosensibles. Les recommandations issues du groupe français expert des tumeurs rares de l’ovaire ne contre-indiquent pas un THM chez les patientes avec un antécédent de tumeur germinale6.
Tumeurs des cordons sexuels
La tumeur maligne des cordons sexuels est un cancer rare de l’ovaire, issu des cellules de la granulosa. Les tumeurs de la granulosa (ensemble de cellules folliculeuses granuleuses entourant l’ovocyte et la cavité liquidienne du follicule ovarien et responsable de la sécrétion de la progestérone) répondent aux hormonothérapies telles que les agonistes à la gonadotropin- releasing hormone (GnRH), le tamoxifène (Nolvadex et génériques) ou les inhibiteurs de l’aromatase, suggérant une hormonodépendance tumorale. Cependant, aucune étude à ce jour n’a analysé l’effet du traitement dans ce sous-type histologique.
Selon les recommandations françaises :6
– après une tumeur de stade IA/B : traitement discuté au cas par cas ;
– après une tumeur de stade supérieur au stade IA/B : traitement contre-indiqué.
Cas particuliers : les tumeurs borderline de l’ovaire
Ce sont des tumeurs ayant des caractéristiques histopathologiques intermédiaires entre les tumeurs bénignes et malignes. Elles sont rares et représentent 15 % des tumeurs épithéliales de l’ovaire. Ces tumeurs peuvent être associées à des implants péritonéaux invasifs ou à un contingent micropapillaire (présence de micro-papilles )qui sont considérés comme des critères péjoratifs. De plus, il existerait une forme de transition possible entre les tumeurs borderline séreuses de l’ovaire vers des tumeurs séreuses de bas grade qui sont hormonosensibles (
Modalités de prescription
Les règles de prescription sont les mêmes que celles en population générale. En cas d’hystérectomie, un traitement par œstrogène seul peut être prescrit. En l’absence d’hystérectomie, il faudra y ajouter un traitement par progestérone afin de diminuer le risque d’hyperplasie endométriale, donc de cancer de l’endomètre.
La posologie et le choix du protocole, combiné ou séquentiel, continu ou discontinu, dépendent des symptômes, des facteurs de risque, de l’efficacité et de la tolérance du traitement et aussi des desiderata de la patiente. La durée du traitement dépendra de l’évolution de la symptomatologie et des différents facteurs de risque. Le traitement doit être prescrit à la fin des traitements adjuvants oncologiques.
Un traitement hormonal estrogénique local peut aussi être prescrit. Il pourra être employé seul ou judicieusement associé à un THM afin de préserver ou restaurer une trophicité vaginale autorisant la poursuite ou la reprise d’une activité sexuelle satisfaisante.
Recommandations
Groupe d’experts français (Francogyn, Cngof, Sfog, Gineco-Arcagy sous l’égide du Cngof et labellisées par l’INCa)5, 6
- Après prise en charge d’un adénocarcinome séreux de haut grade
Pour les femmes de moins de 45 ans : proposer un traitement hormonal de la ménopause après un traitement chirurgical non conservateur.
Après 45 ans : le traitement n’est pas contre-indiqué en cas de syndrome climatérique dans le cadre d’une évaluation individuelle de la balance bénéfice-risque.
- Après prise en charge d’un adénocarcinome mucineux ou d’un adénocarcinome à cellules claires
Peu de données sont disponibles sur ces deux sous-types histologiques. Toutefois, ces tumeurs étant non hormonosensibles, un traitement hormonal de la ménopause peut être proposé chez ces patientes après traitement oncologique.
- Après prise en charge d’un adénocarcinome séreux de bas grade
Ces types histologiques sont hormonosensibles et répondent positivement aux traitements oncologiques par hormonothérapie anti-œstrogénique.
• Après une tumeur de stade IA/B : discussion au cas par cas en réunion de concertation pluridisciplinaire.
• Après une tumeur de stade supérieur au stade IA/B : traitement hormonal de la ménopause contre-indiqué.
- Tumeurs borderline mucineuses ou de tumeurs borderline séreuses sans critères péjoratifs (contingent micropapillaire, implants péritonéaux, micro-invasion stromale)
Prescription d’un traitement possible.
- Dans les autres cas
Discussion au cas par cas au cours d’une réunion de concertation pluridisciplinaire.
1. Li D, Ding C, Qiu L. Postoperative hormone replacement therapy for epithelial ovarian cancer patients: A systematic review and meta-analysis. Gynecologic Oncology 2015;139(2):355-62.
2. Saeaib N, Peeyananjarassri K, Liabsuetrakul T, et al. Hormone replacement therapy after surgery for epithelial ovarian cancer. Cochrane Database of Systematic Reviews 2020, Issue 1.
3. Mascarenhas C, Lambe M, Bellocco R, et al. Use of hormone replacement therapy before and after ovarian cancer diagnosis and ovarian cancer survival. Int J Cancer 2006;119(12):2907-15.
4. Power L, Lefas G, Lambert P, et al. Hormone Use After Nonserous Epithelial Ovarian Cancer: Overall and Disease-Free Survival. Obstetrics & Gynecology. 2016;127(5):837–47.
5. Sénéchal C, Akladios C, Bendifallah S, et al. Surveillance après traitement initial d’une tumeur épithéliale de l’ovaire, place du traitement hormonal de la ménopause et de la contraception. Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie 2019;47(2):250-62.
6. Rousset-Jablonski C, Selle F, Adda-Herzog E, et al. Fertility preservation, contraception and menopause hormone therapy in women treated for rare ovarian tumours: guidelines from the French national network dedicated to rare gynaecological cancers. European Journal of Cancer 2019 Jul;116:35-44.