Indiqué en deuxième intention dans le traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), le méthylphénidate peut être prescrit en médecine de ville depuis fin 2021. Une étude récente sur la quasi-totalité de la population pédiatrique française suggère cependant que cette molécule serait trop facilement prescrite hors AMM (et en constante augmentation ces dernières décennies). Quand faut-il réellement envisager un traitement par méthylphénidate ? Comment mener la surveillance ?
Le méthylphénidate est-il surprescrit en France ?
Cette étude rétrospective de cohorte, publiée dans la revue Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, décrit l’évolution de la prescription pédiatrique de méthylphénidate (Medikinet, Quasym, Ritaline, Ritaline LP, Concerta LP et génériques) en France entre 2010 et 2019, soit avant que sa prescription ne soit ouverte à certains spécialistes exerçant en ville, en septembre 2021.
Elle utilise la base de données du régime général de l’Assurance maladie (qui concerne près de 87 % de la population française) pour suivre une cohorte de 144 509 patients de 0-17 ans ayant reçu au moins une prescription de méthylphénidate au cours de cette période. Globalement, en 2019, la prévalence de la prescription de méthylphénidate en population pédiatrique a été estimée par les auteurs entre 0,61 % et 0,75 % (supérieure à celle de la Grande-Bretagne) ; elle concernait en majorité les garçons (80 %).
Premiers constats : entre 2011 et 2019, l’incidence annuelle de la prescription de méthylphénidate a augmenté de 56,7 % ; elle a concerné en premier lieu les 6-11 ans (+ 62,9 %), puis les 12-17 ans (+ 48,4 %). La France affiche à cet égard une tendance contraire à celles d’autres pays comparables, où l’on assiste depuis la fin des années 2000 à une stabilisation de la prescription de cette molécule. Une hausse plus forte encore a été observée sur la prévalence des prescriptions – qui a quasiment doublé chez les 6-11 ans (+ 98 %) et a été multipliée par près de 2,5 chez les 12-17 ans –, ce qui suggère que les durées de traitement ont également augmenté. Enfin, celles-ci apparaissaient d’autant plus longues que les enfants étaient jeunes (durée médiane du traitement : 5,5 ans chez ceux ayant reçu une première prescription à 6 ans, contre 1,9 ans pour ceux ayant débuté le traitement à 12 ans).
En deuxième lieu, l’analyse d’un sous-groupe de près de 4 000 enfants a montré que dans un tiers des cas, la prescription du méthylphénidate n’était pas associée à un diagnostic de TDAH (seule indication pour laquelle cette molécule a une AMM, en plus du traitement de la narcolepsie en cas d’échec du modafinil), mais volontiers à d’autres pathologies neuropsychiatriques (troubles dys, du spectre autistique, de l’humeur…). Sur l’ensemble de la cohorte, au cours des 12 mois suivant la première délivrance de méthylphénidate en 2018, les auteurs ont constaté des coprescriptions d’autres médicaments psychotropes dans 22,8 % des cas – en premier lieu des neuroleptiques, mais aussi des anxiolytiques et antidépresseurs.
Autre prescription hors AMM : celle concernant les enfants de moins de 6 ans (plus de 5 000 sur la période étudiée).
Par ailleurs, les auteurs ont observé que, tandis que la prescription de méthylphénidate n’a cessé de croître sur la période étudiée, le nombre de visites dans les centres médico-pyschopédagogiques (CMPP) des enfants concernés par ces prescriptions a été divisé par quatre. Bien que ces données ne prennent en compte qu’une faible partie des soins psychopédagogiques – car ceux prodigués en libéral n’ont pas été analysés –, elles suggèrent que le traitement médicamenteux ne s’accompagne pas toujours de la prise en charge globale préconisée. Enfin, un jeune âge par rapport aux autres enfants de la même classe et un milieu social défavorisé étaient associés à des plus forts taux de prescription.
Officiellement réservé à une prescription hospitalière avant 2021, le méthylphénidate a pourtant été initié près d’un quart du temps en médecine libérale entre 2010 et 2019, et la moitié des renouvellements ont eu lieu hors milieu hospitalier. Les auteurs ont également observé une part croissante de médecins généralistes dans les prescriptions (plus de 80 % des celles réalisées en ville), mais elles sont le fait d’une minorité de praticiens (moins d’un tiers). Le changement de réglementation en septembre 2021, qui autorise officiellement la primoprescription en ville par certains spécialistes (neurologues, psychiatres ou pédiatres) et le renouvellement au cours de l’année par tout médecin, peut être susceptible de renforcer ces tendances à la hausse. Il apparaît donc d’autant plus important de savoir quand envisager le traitement médicamenteux et quelle surveillance mener.
En pratique
• Quand évoquer un TDAH ?
Le diagnostic du TDAH est clinique, fondé sur l’entretien et l’observation, en tenant compte de plusieurs sources (patient, famille, école...). S’il s’agit de l’un des troubles mentaux les plus fréquents chez les enfants et les adolescents, avec des conséquences multiples (échec scolaire, isolement social, dommages corporels, comportements oppositionnels/agressifs...), pour que le diagnostic soit retenu les symptômes doivent être suffisamment nombreux, observés dans différentes situations (domicile, école…) et avoir un retentissement fonctionnel. Il doit être établi sur les critères du DSM-V (v. tableau). Les tableaux cliniques peuvent être dominés par une hyperactivité et une impulsivité, ou une inattention, ou une combinaison des deux.
Les comorbidités les plus fréquentes chez les enfants sont les autres troubles du neurodéveloppement (troubles spécifiques des apprentissages, trouble développemental de la coordination...) et du comportement (trouble oppositionnel avec provocation, trouble des conduites) et les troubles et symptômes internalisés (troubles anxieux, de l’humeur, dysrégulation émotionnelle).
Enfin, il peut arriver que des symptômes issus d’une exposition trop précoce et excessive aux écrans – nuisible au développement des jeunes enfants et pouvant causer retard de langage, agitation, difficultés de sommeil, intolérance à la frustration, voire troubles de la relation et de la communication – soient confondus avec des troubles du comportement comme le TDAH, voire des troubles du spectre autistique. Il est donc utile dans ce contexte d’évaluer et prendre en charge une surexposition aux écrans (sevrage, en parallèle à l’orientation des familles vers les spécialistes pour élimination des diagnostics différentiels et/ou dépistage de troubles neuropsychiatriques).
• Quand envisager un traitement médicamenteux dans le TDAH ?
La psychoéducation de l’enfant et des parents et les interventions environnementales visant à limiter le retentissement des symptômes sont les mesures thérapeutiques à envisager de façon systématique.
Si le retentissement du TDAH est sévère et/ou s’il persiste malgré ces interventions, le traitement médicamenteux de première intention est le méthylphénidate, dans une prise en charge globale (incluant donc des mesures psychologiques, éducatives et sociales). Cette molécule possède une AMM en France pour cette pathologie, à partir de l’âge de 6 ans. La thérapie cognitive et comportementale est indiquée dans les formes complexes et dans le traitement des comorbidités, généralement en association avec le méthylphénidate.
Attention aux contre-indications chez l’enfant : HTA modérée à sévère, pathologies cardiaques symptomatiques, troubles cérébrovasculaires (dont AVC, anomalies vasculaires…), hyperthyroïdie, phéochromocytome. En cas d’antécédents psychiatriques personnels ou familiaux, le rapport bénéfice-risque doit être attentivement évalué tant au début qu’au cours des consultations de suivi.
• Quelle surveillance ?
L’introduction du traitement doit être progressive, afin d’améliorer la tolérance et de trouver la dose minimale efficace. L’augmentation de dose se fait tous les 4 à 7 jours, si la tolérance est bonne et l’efficacité insuffisante (les doses efficaces se situent entre 0,3 et 1,5 mg/kg/j). Tolérance et efficacité sont évaluées à chaque adaptation de dose, puis à intervalles réguliers.
En raison de ses nombreux effets secondaires, le traitement par méthylphénidate impose une surveillance clinique régulière (poids, tous les 3 mois ; taille, fréquence cardiaque, pression artérielle, tous les 6 mois...).
L’efficacité et la sécurité de l’utilisation à long terme du méthylphénidate n’ayant pas été évaluées de façon systématique au cours des études cliniques contrôlées, la HAS rappelle qu’il est souhaitable que la durée du traitement médicamenteux soit limitée.
Quoi qu’il en soit, l’indication du traitement par psychostimulants doit être réévaluée au moins une fois par an. Ainsi, sur les périodes prolongées, les symptômes et le retentissement sont évalués lors des périodes avec traitement et sans traitement, au moyen d’une fenêtre thérapeutique, en général au cours des vacances d’été (s’il persiste des symptômes avec un retentissement fonctionnel, le traitement peut être poursuivi jusqu’à la prochaine fenêtre thérapeutique).
• Modalités de prescription
Depuis septembre 2021 :
– possible par des médecins spécialistes en ville : neurologues, psychiatres ou pédiatres ;
– prescription initiale annuelle ;
– en conformité avec la réglementation des stupéfiants : sur ordonnance sécurisée, manuscrite, en toutes lettres, mentionnant la pharmacie qui dispensera le traitement (condition pour la prise en charge par l’Assurance maladie), précisant une durée maximale de 28 jours par renouvellement ;
– renouvellement possible par tout médecin au cours de l’année.
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Ponnou S, Haliday H, Thomé B, et al. La prescription de méthylphénidate chez l’enfant et l’adolescent en France : caractéristiques et évolutions entre 2010 et 2019.Neuropsychiatriede l’enfance et de l’adolescence (en ligne), 12 février 2022.
Amiel C, Purper-Ouakil D. Quelle prescription des psychostimulants chez l’enfant ?Rev Prat 2020;70(5);509-13.
ANSM. Méthylphénidate : données d’utilisation et de sécurité d’emploi en France. 7 avril 2021.