Néphrologue à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, elle a écrit le Que sais-je ? sur la méditation de pleine conscience, pratique qu’elle a introduite à l’hôpital pour les patients et à l’université pour les soignants.

Comment se situe-t-elle par rapport à la psychanalyse ?<br/>

C’est une pratique fondée sur l’attention, soit en se focalisant sur un objet qui peut être son corps, sa respiration ou ses émotions, soit en se rendant disponible à tout ce qui survient au moment de l’exercice : les phénomènes physiques, les pensées, les affects. La seule consigne est d’accueillir ce qui est déjà présent, mais bien souvent non perçu, et de le faire sans jugement. Ce dernier point est important. Il s’agit d’être bienveillant à l’égard de soi-même, de laisser venir pensées et émotions en essayant de ne pas les interpréter, mais seulement de les reconnaître, de les identifier et de les nommer. Par exemple, si une douleur est ressentie pendant l’exercice, on laisse venir toutes les inquiétudes et les craintes pour l’avenir qui y sont attachées, mais sans s’y fixer.
La méditation de pleine conscience est héritée de l’une des plus anciennes traditions contemplatives de l’Inde, un art de vivre proposant la transformation de soi par l’observation. Le Dr Jon Kabat-Zinn l’a en quelque sorte rendue laïque et a construit une méthode qu’il a appelée MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), à laquelle je me suis formée et dont je m’inspire dans les projets que je développe en France.
Prenons comme exemple ce que nous appelons le balayage corporel. Le pratiquant est immobile et passe mentalement en revue les différentes parties de son corps. Il est étonnant de constater que beaucoup de gens n’observent des sensations qu’à la condition de bouger ou de regarder. L’exercice permet de reconnecter le mental et le corps. Il est probable que nous passons une bonne partie de notre temps à vivre dans le déni de ce dernier et de nos émotions et que c’est sans doute un phénomène tout à fait physiologique d’évitement de la souffrance.
On peut aussi proposer d’être attentif à sa respiration. Contrairement à d’autres disciplines comme le pranayama (yoga du souffle), on ne la modifie pas, on se contente d’y être attentif et de laisser venir les sensations avec bienveillance, sans culpabilité et sans jugement.
Un exemple très simple est l’envie de se gratter alors que l’on est immobile. On peut décider de le faire ou de s’abstenir. Dans ce dernier cas, on laisse la sensation en place, avec très souvent la surprise de s’apercevoir qu’elle disparaît d’elle-même. Cela peut paraître anodin, voire ridicule, mais chemin faisant nous augmentons notre capacité à mieux ressentir en mettant à profit cette faculté humaine incroyable, la métacognition, c’est-à-dire la conscience d’être conscient de quelque chose. C’est l’un des fondements de la méditation. Cela permet de repérer les sensations attachées à une souffrance, par exemple de s’apercevoir qu’un nœud à l’estomac est en fait de la colère. S’il faut trouver un but à cette méthode, alors c’est d’aider à mieux vivre avec la souffrance, la maladie et la finitude. Pour cela, comme dans certaines thérapies cognitivo-comportementales, il faut d’abord accepter leur présence et en faire l’expérience. Les accueillir avec douceur et tendresse, avoir, comme le dit Kabat-Zinn, de l’autocompassion. Agir avec soi-même comme on le fait avec un ami dans la peine. L’expérience montre que ça n’est pas du tout facile.
Cela n’a rien à voir avec la résignation. Il s’agit de vivre dans l’instant présent, de ne pas anticiper la souffrance future et ses conséquences ni, à l’inverse, s’installer dans des ruminations. La méditation est un bon outil pour lutter contre la dépression, dont on sait que le ressassement autodépréciatif est un facteur important de rechute. Elle permet d’en prendre conscience et de le mettre à distance.
Je suis curieuse de ces pratiques depuis de nombreuses années, mais le côté mystique ou religieux me gênait beaucoup. Par ailleurs, je suis impliquée depuis longtemps dans l’éducation thérapeutique, mais il y a une dizaine d’années, elle était très axée sur le développement des connaissances sur les traitements et la maladie. C’est bien sûr important, mais cela me laissait insatisfaite, parce que cela ne tenait aucun compte des émotions, notamment de l’anxiété. Or en découvrant le programme MBSR, une approche séculaire de la méditation, je me suis aperçue qu’il a été conçu pour des malades. Il permet d’accueillir les ressentis sans en être envahi, de se réapproprier son corps, son mental, ses émotions, d’observer son stress, son anxiété, sa culpabilité, sa colère, etc. J’ai réellement vu des patients transformer leur expérience de la maladie chronique grâce à la méditation.
Bien sûr, on peut la découvrir seul avec des ouvrages ou via des enregistrements. Mais pour s’y mettre vraiment, il faut recevoir un enseignement qui est plutôt un accompagnement, proposé par des enseignants formés et expérimentés. La pratique est assez bouleversante. On y passe 15 à 20 minutes tous les jours en ayant l’impression de n’avoir rien fait, puis on découvre des changements parfois étonnants. Cela rend certaines personnes très enthousiastes et parfois même prosélytes. Dans les stages que j’organise à l’hôpital pour des soignants, j’ai parfois du mal à empêcher certains de proposer la méditation à tous leurs patients ! Or cela n’est pas une méthode universelle, qui conviendrait à tout le monde.
À la faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, nous avons créé un diplôme universitaire, parcours de formation continue dédié à des professionnels de santé, qui poursuit trois objectifs : permettre aux soignants d’informer les patients de ce qu’est la méditation de pleine conscience dans ses aspects les plus pragmatiques ; leur faire découvrir en quoi elle peut changer leurs relations avec les malades ; prévenir les risques psychosociaux attachés aux métiers du soin. J’ai réalisé l’importance de ce dernier point quand je me suis aperçue que la moitié des participants (de tous âges) déclarent avoir expérimenté un burn out ou se posent de sérieuses questions existentielles sur leur avenir en tant que soignants : ils ne supportent plus les malades, ni leurs collègues, et se sentent parfois maltraités par leurs institutions.
Ce diplôme universitaire a vocation à sensibiliser à la méditation mais pas à former des enseignants car cela demande 2 à 3 ans et suppose bien sûr une pratique personnelle de méditation. Il faut en outre avoir suivi un stage MBSR mais aussi faire des retraites méditatives de 5 à 10 jours en silence. Ensuite, des approches de supervision sont proposées pour accompagner dans la mise en œuvre des enseignements. Le DU propose de découvrir la méditation, ses fondements neurophysiologiques, ses applications en médecine et dans la relation de soin.
Nous conduisons également des projets de recherche qui me semblent importants : introduire une telle pratique à l’hôpital impose au minimum une évaluation et un protocole de recherche si l’on en a les moyens. Par ailleurs, nous manquons encore de littérature scientifique qualitative sur la méditation en milieu de soin. J’en ai rendu compte d’une partie dans mon livre et j’ai constaté que beaucoup de questions sont non résolues : quelles sont ses indications ? Avec quel niveau de preuve ? A-t-elle des spécificités selon les pathologies des malades à qui on la conseille ? Quels sont les éventuels effets secondaires ? Quels sont les mécanismes neurocognitifs engagés ? Etc.
Oui, tous les états psychiques non stabilisés. Cela étant, des collègues psychiatres la pratiquent avec des psychotiques et certains autistes, mais il va de soi que n’étant pas spécialisée dans les pathologies mentales je ne m’y risquerais pas !
Je n’en suis pas du tout une spécialiste, mais il me semble qu’il s’agit de deux démarches diamétralement opposées. Dans l’analyse, il y a l’idée de comprendre. Dans la méditation de pleine conscience, vous commencez en groupe, tout le monde étant assis en cercle et faisant les exercices en même temps. L’intention est d’expérimenter sans chercher à comprendre. La tâche de l’enseignant est de créer un espace de bienveillance dans lequel chacun peut s’exprimer, partager son expérience et réaliser qu’elle est à la fois très personnelle et commune à celle des autres. C’est quelque chose de très particulier, que nous nommons l’insight dialogue, qui consiste à prendre conscience ensemble de phénomènes qui ne sont pas du tout de l’ordre du raisonnement. C’est comme de laisser venir une révélation. La méditation de pleine conscience est issue du bouddhisme Vipassana, qui veut dire « vision pénétrante ». Vous comprenez sans expliquer, simplement en accueillant ce que vous ressentez. Beaucoup de personnes changent, sans s’en apercevoir : ce sont souvent les autres qui leur font remarquer qu’elles ont acquis une meilleure qualité d’écoute.
Propos recueillis par Serge Cannasse

journaliste et animateur du site
carnetsdesante.fr
C. Isnard Bagnis déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.